Cérémonie de remise du masque mortuaire de Georges Mandel

Discours remise du masque mortuaire de Georges Mandel

Vendredi 11 juillet 2014, 10h

Hôtel de Lassay

 

Monsieur Marcel Wormser, président des amis de Georges Clemenceau, donc de Georges Mandel,

Mesdames, Messieurs,

Bienvenue à l’Assemblée nationale, notre maison commune. Une maison que Georges Mandel connaissait bien, puisqu’il en fut un des élus les plus écoutés, les plus débattus, les plus emblématiques. A plusieurs reprises, en 1919, en 1928, en 1932, en 1936, les citoyens du département de la Gironde portèrent votre beau-père, votre grand-oncle à la tribune de la Chambre des députés qui, d’ailleurs, n’a pas tellement changé. Ce sont ces mêmes couloirs, ces mêmes salles résonnantes, ces mêmes cours passantes qui accueillirent, jours après jour, ce député si soucieux du bien de son pays, si préoccupé de l’avenir de la France, si amoureux de l’intégrité de sa nation.

Aujourd’hui, vous venez remettre à l’Assemblée nationale le masque mortuaire de ce personnage illustre.

Ce geste nous honore profondément. En vous remerciant, je veux ici, au nom de la représentation nationale, vous assurer non seulement de notre reconnaissance, mais de notre émotion devant ce témoignage paradoxal de l’actualité de votre aïeul.

Pourquoi, Georges Mandel, êtes-vous si actuel ? Pourquoi l’écrivain Jean-Noël Jeanneney a-t-il éprouvé le besoin, très récemment, en publiant cet ouvrage bouleversantL'un de nous deux, de donner à Léon Blum votre parole contradictoire ?  Au printemps 1943, les Allemands vous déportèrent, avec Léon Blum, à Buchenwald. Les nazis apprennent alors l'exécution par la Résistance de Philippe Henriot, député de sinistre mémoire, secrétaire d’Etat à l’Information du gouvernement de Vichy, autre député de la Gironde d’ailleurs. Avec Léon Blum, vous redoutez à juste titre des représailles terribles. Ce sera vous en effet que les Allemands livreront à Vichy, vous que la Milice assassinera le 7 juillet 1944 dans le silence coupable de la forêt de Fontainebleau. Des Français oui, ce sont des Français qui vous ôtèrent la vie. C’est le geste de Français qui nous rappelle en cette matinée d’été, ce même été que vous n’avez pas vu finir il y a 70 ans, que certains de nos compatriotes furent bien coupables.

Dans le livre de Jean-Noël Jeanneney, vous conversez avec le grand Léon, vous opposez à la chaleur de son enthousiasme socialiste la grandeur de votre idéal républicain.

Cet idéal, il vivait en vous comme en aucun autre. Vous, qui fûtes tout d’abord l’homme de l’ombre de l’immense Clemenceau auprès de qui vous avez appris aussi l’art de l’ironie froide et de la critique mordante, art si français, aussi élégant qu’efficace. Vous avez suivi votre mentor du journalL’Auroreaux postes ministériels, passant du ministère de l’Intérieur à la Présidence du Conseil, toujours dans les pas du «Tigre». Lorsque Clemenceau est rappelé à Matignon en 1917 pour voler vers la victoire, vous devenez son chef de cabinet,  son plus proche collaborateur, son confident, son bras droit.

Député et ministre à plusieurs reprises, vous saviez porter avec ténacité des projets qui vous tenaient à cœur. Rappelons ici votre réforme des Postes et des Télécommunications. Rappelons-la en ces temps où le modèle social français doit être défendu, que votre vision des services publics doit non seulement survivre, mais prospérer.

Rappelons votre réforme qui permit à la France de moderniser son action dans ce secteur stratégique et d’assurer l’accès de toute la population, de tous les territoires aux services de la modernité. C’est d’ailleurs en 1935 que vous inaugurez la télévision française, promise à un bel avenir.

Rappelons aussi votre sens de l’Etat, qui était d’abord une certaine vision de l’indépendance de la France, une certaine idée de sa grandeur, que vous avez su si bien, dès juin 1940, partager avec le tout nouveau général De Gaulle.

Ce même sens de la grandeur qui conduira Georges Mandel à ne pas vouloir fuir et à résister, à sauver cette France de la haine et de l’antisémitisme qui la rongeaient alors.

Dès les années 30, il avait élevé la voix pour avertir des dangers de l’Allemagne nazie. Le ministre énergique opposé à tout compromis avec les États totalitaires avait obtenu dès 1935 la condamnation par la Société des Nations du rétablissement du service militaire obligatoire par le chancelier Hitler. Mandel s’oppose ensuite à Pierre Laval sur la question de la guerre d'agression menée contre l’Éthiopie par l’Italie de Benito Mussolini.

Cette constance dans la défense de la paix, les collaborateurs ne l’oublient pas. Arrêté au Maroc, jugé lors de l’ignoble procès de Riom, emprisonné dans le fort pyrénéen du Portalet, les Allemands ne le laissent pas longtemps en France.  

J’y reviens : qu’est-ce qui fait l’actualité de Georges Mandel ? Pourquoi faire revivre ce dialogue Blum/Mandel comme on fait régulièrement renaître le dialogue Jaurès/Clemenceau ? Qu’est-ce que cela signifie pour notre époque qui cherche dans ces controverses du poids, de la force pour sa légèreté de penser ?

Ce qui fascine chez Mandel, c’est cet idéal, cet état d’esprit qui peut se retrouver dans tous les cœurs dès lors que les Droits de l’homme sont mis en doute, que l’Humanité est violentée. C’est cette patiente et constante recherche de la modération, du compromis, du juste milieu. Mandel, assurément, refuse l’ardeur révolutionnaire que l’on ne peut, sans les trahir, ôter à Jaurès, à Blum, à la gauche du Front populaire. Mais il refuse aussi, au sein de cette droite qui aurait pu l’accueillir, l’autoritarisme que certains de ses collègues voulaient voir enchaîner la France comme il était en train d’enchaîner l’Europe.

En cela, par cet amour de la modération, il est le symbole de toutes ces personnalités politiques de la Troisième République qui, pris en étau entre la révolution et la réaction, voulaient juste, de temps en temps, tout simplement, quelque peu, juste un peu, respirer. Respirer, rassembler, faire confiance, se libérer des défiances, et aimer la France.

Aujourd’hui, son visage endormi vient retrouver notre Assemblée. Quelques semaines après la célébration du 70ème anniversaire du Débarquement en Normandie, quelques jours avant le centenaire du déclenchement de la Première guerre mondiale et de l’assassinat de Jean Jaurès,  évoquons le souvenir de l’homme politique, de l’homme de paix, de l’homme de tolérance Georges Mandel, victime de sa bataille de la paix, victime de la haine de l’intelligence, de la haine de la patience, de la haine du juif, victime d’avoir tout fait pour que la France restât libre et grande, telle qu’il la rêvait, telle qu’il l’exigeait. 

Rentrez ici Georges Mandel, rentrez ici parmi les vôtres, parmi celles et ceux qui n’oublient jamais que la main des bourreaux se perdent dans les puits de l’Histoire, que l’esprit des héros nous rappelle toujours que nous, vos héritiers, nous ne sommes pas seuls. Vous nous accompagnez, vous nous guidez, vous nous éclairez, pour l’éternité.

Je vous remercie.