Cérémonie en l’honneur des 80 parlementaires ayant refusé de voter les pleins pouvoirs au Maréchal Pétain

Cérémonie en l’honneur des 80 parlementaires ayant refusé de voter les pleins pouvoirs au Maréchal Pétain

Mercredi 10 juillet 2013

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Discours de M. Claude Bartolone,

Président de l’Assemblée nationale

 

Monsieur le Préfet,

Madame la Sénatrice,

Monsieur le Député,

Monsieur le Maire,

Monsieur le Président du Comité,

Mesdames, Messieurs,

 

Dans la salle du théâtre du Grand Casino de Vichy, c’est une bien vilaine pièce qui s’est jouée ce 10 juillet 1940.

L’Assemblée nationale, c’est-à-dire la réunion des deux assemblées de la III ème République, le Sénat et la Chambre des députés, a cédé ce jour-là des pouvoirs constituants illimités au Maréchal Pétain.

Les Parlementaires, par ce vote, permettaient que les clés du Gouvernement de la République soient remises à une sinistre et trompeuse autorité, celle dite « Gouvernement de l’Etat français ».

La République française était mise à bas.

La France souillait les valeurs et les idéaux de la France.

Patrie des Lumières et des Droits de l’homme, République protectrice et universelle, la France était bradée pour commettre l’irréparable.

La nuit s’abattait. La France trahissait la France.

Le premier message que je souhaite délivrer aujourd’hui parmi vous, c’est celui de la mémoire. Souvenons-nous de notre fragilité, oui, ayons en permanence à l’esprit que cette « étrange défaite » fut possible.

En quelques heures, la République peut défaillir et sombrer.

Ce jour-là donc, le 10 juillet 1940, le vote des pleins pouvoirs était acquis par 569 voix, 20 abstentionnistes et 80 refus.

80 parlementaires ont refusé de céder : 23 sénateurs et 57 députés.

Ce résultat, il n’avait rien de prévisible et si aujourd’hui, nous en connaissons la portée, je crois qu’il faut nous garder, pour autant, de réécrire l’Histoire de France. Le législateur lui-même cède parfois à cette tentation. Je veillerai toujours à nous en prémunir.

Les semaines et les jours qui ont précédé ce vote sont connus. La journée même du 10 juillet, dans son détail, a été largement étudiée. Mais je ne souhaite pas substituer au nécessaire travail de mémoire et de compréhension, une réécriture anachronique qui nourrirait accusation et confusion.

Aujourd’hui, dans la douceur de cette journée, il nous est difficile de nous replonger dans les circonstances de ces heures sombres.

Le 10 juillet, la France est en miettedepuis plusieurs semaines. La débâcle est complète, les armées sont battues et démobilisées. Cette défaite militaire n'a pas de précédent dans l'histoire de notre pays. La population est déboussolée. Elle a été poussée sur les routes. C’est l’Exode.

La France et les Français sont épuisés.D’abord repliés à Bordeaux, les Parlementaires ont sûrement cru trouver un semblant de répit, ici, à Vichy. La recherche d’une protection, d’un recours grandissait. Une forme de résignation aussi.

La vérité était plus froide pourtant, l’objectif clairement établi :accuser l’institution parlementaire, désigner des responsables, pour mieux liquider l’héritage de 1789, mais avant, dans un dernier souffle, il y avait bel et bien la volonté d’arracher un semblant de légitimité, un semblant de légalité.

Chez certains, la suppression du Parlement et les prémices d’un régime d’exception avaient été longuement muries.

En séance, la pression avait été constante.Vincent Badie, député radical socialiste de l’Hérault, avec quelques autres, avait bien tenté de se faire entendre. En vain. Badie sera purement et simplement interdit de tribune et de parole.

Et dès le 11 juillet, le piège se refermait :Pétain signait trois actes constitutionnels, en violation du texte voté la veille… celui qui prévoyait de faire ratifier la nouvelle Constitution par la nation. Pétain s’octroyait les pleins pouvoirs exécutifs et législatifs.

Certains espéraient encore que Pétain allait faire tout ce qu’il pouvait. Mais l’image du protecteur de la nation disparaissait derrière celle d’un vieux traître à la patrie.

Et c’est ce vote qui permettait, quelques courtes semaines après, de promulguer les lois sur l’internement des opposants et le statut des juifs.

Léon Blum, dans ses Mémoires décrira cette pétaudière, aux prises à la lâcheté et à la duplicité :

« J’ai vu là, pendant deux jours des hommes s’altérer se corrompre comme à vue d’œil, comme si on les avait plongés dans un bain toxique. Ce qui agissait c’était la peur : la peur des bandes de Doriot dans la rue, la peur des soldats de Weygand à Clermont-Ferrand, la peur des allemands qui étaient à Moulins ».

De Gaulle, quelques jours avant, avait déjà dit « non » à l’armistice et à la sujétion du Reich. 80 parlementaires tenaient bon, à leur tour.

Après la guerre, d’ailleurs, il est remarquable de rappeler que le Général de Gaulle qualifiait les 80 de « premiers résistants ». Bel hommage venu de celui qui ne fut pourtant pas tendre avec le personnel politique de la III ème République.

Autant que la mémoire, ce que je veux avec vous respecter aujourd’hui, c’est l’Histoire.

Aujourd’hui, nous célébrons le 73 ème anniversaire de ce vote.

L’occasion m’est offerte de saluer le travail de Joseph Blethon, Président du Comité en l’honneur des Quatre-vingts. Il poursuit de belle manière celui conduit par Jean Marielle, lui aussi homme de mémoire et homme de devoirs.

Il y a 25 ans, à son initiative, le Comité des Quatre-vingts installait dans la lumière ce vote en dévoilant une première plaque commémorative : le Comité redonnait un nom et un visage à ces parlementaires.

Ces 80, ils venaient de partout.Parmi eux, on compte
3 anciens communistes, 36 socialistes SFIO, 26 radicaux,
15 autres députés de gauche, du centre ou de droite.

Cette diversité des horizons, c’est effectivement un des prémices de la Résistance.

Mais il est juste aussi de rappeler que tous les parlementaires n’étaient pas présents. Près de trois cents députés et sénateurs n'étaient pas à Vichy ce 10 juillet.

Je me garde des interprétations rapides de ces absences. Elles peuvent s’expliquer en ces jours tragiques par des destins et aussi des choix individuels.

6 d’entre eux étaient morts au combat.

D’autres étaient empêchés. Dans un pays battu, désorganisé, ils n’avaient pu rejoindre Vichy.

Les Parlementaires communistes n’étaient pas là non plus… et pour cause ! Ils avaient été déchus de leurs mandats après l’approbation, en septembre 39, de l’invasion de la Pologne par l’Armée rouge, à la suite de la signature du pacte germano-soviétique.

A ce titre, j’ai remarqué que les parlementaires de Paris et, de ce que l’on ne nommait pas encore l’Ile-de-France, étaient cruellement sous-représentés.

Ce n’est pas une surprise car 45 d’entre-eux étaient inscrits au PCF justement. Ils avaient été exclus, pour la plupart déchus. Sans droit de vote, ils étaient en prison ou déjà entrés en clandestinité.

J’évoquais cette variété des horizons. Elle est importante et elle reste vivante aujourd’hui encore :je pense à Paul Joseph Marie Giacobi, Sénateur radical de Corse. Nous nous honorons, aujourd’hui, que son petit-fils, Paul, siège dans notre Assemblée.

Je pense aussi à Léonel de Moustier, député du Doubs. Léonel de Moustier a voté « non » et il s’est engagé très vite dans la Résistance. Chef de réseau, il est arrêté par la Gestapo, et déporté. Il refusera à bénéficier d'un traitement de faveur que sa condition de parlementaire, pourtant, lui garantissait. Il mourra des terribles conditions de sa détention et sera fait compagnon de la Libération à titre posthume.

Nous nous honorons aujourd’hui que son petit-fils, Charles Amédée de Courson siège dans notre Assemblée. Il est important qu’il soit aujourd’hui à nos côtés.

Enfin, je veux bien sûr associer à cette cérémonie les
27 parlementaires embarqués à bord du Massilia. Ils espéraient poursuivre les combats en Afrique du Nord, ils étaient donc empêchés. Surtout, ils plongeaient dans une machination. Ils seront arrêtés à Casablanca. Parmi eux, je voudrais citer les noms d’Édouard Daladier, de Pierre Mendès France, de Georges Mandel et de Jean Zay.

Jean Zay emprisonné à Riom, assassiné par la milice non loin de Vichy, entre Cusset et Molles, le 20 juin 1944. Aujourd’hui, je salue la présence de ses deux filles, Catherine Martin-Zay et Hélène Mouchard-Zay, présentes parmi nous.

Ce que je souhaite vous dire, c’est d’éviter la simplicité :parmi les « oui », toujours, nous devons nous rappeler qu’il y aura des élus qui deviendront des résistants, qui mourront pour la France.

Si certains désiraient approuver l'action de l'Etat français, 300 environ vont rompre avec lui, et quelque 200 apporteront un soutien direct ou indirect à la Résistance.

Monsieur le Maire, Monsieur le Député, Cher Gérard Charasse, je connais votre vigilance à ne pas confondre, à Vichy, histoire et géographie. Je vous soutiendrai toujours en ce sens.

Et d’ailleurs, comment mieux illustrer cette démonstration en rappelant que 4 parlementaires auvergnats votèrent contre le Maréchal Pétain, dont 3 élus de l’Allier :

-          Eugène Jardon, un ancien de Verdun,

-          Marx Dormoy, ministre du Front populaire, lâchement assassiné par des cagoulards en 1941,

-          Isidore Thivrier, fils du premier maire socialiste au monde, il prendra une part active à la Résistance. Trahi, il sera arrêté par la Gestapo et mourra en déportation au camp du Struthof, en mai 1944.

Je veux rendre hommage aussi à Maurice Montel, Député du Cantal, Député de l’Auvergne donc, qui allait s’illustrer au maquis du Mont Mouchet

Autant que la mémoire, c’est donc l’espoir que nous devons célébrer. Le pire n’est jamais acquis. La résignation n’est jamais obligatoire.

Aujourd’hui nous honorons ceux qui ont su défendre envers et contre tout la République.

Nous honorons ceux qui ont pris leur responsabilité.

Oui, du courage il en fallait pour voter « non » le 10 juillet 1940.

Du courage, de l’esprit de responsabilité aussi.

Pour nous, les élus de la République, ils sont un exemple, ils sont une lumière.

Cette cérémonie, elle nous dépasse. Bien évidemment, elle dépasse l’Assemblée nationale et elle honore le Parlement. C’est pourquoi votre Comité a si justement voulu qu’elle soit alternativement présidée par la Présidence du Sénat et de l’Assemblée nationale.

Cette cérémonie, elle transcende les familles politiques. Qu’il me soit permis de saluer mon prédécesseur, Bernard Accoyer qui était venu parmi vous, en 2009.

Je n’oublie pas son évocation de la belle figure d’Amédée Guy, médecin et député de Haute-Savoie. C’est vrai que les élus des départements de montagne, du littoral aussi, sont nombreux parmi les 80.

Cette cérémonie, elle doit nous aider : écouter, débattre, argumenter, décider, en conformité avec ses valeurs, agir en fonction de ses convictions.

Quand les institutions sont faibles, quand elles étranglent la volonté politique, d’autant plus quand la menace gronde, quand elles ne permettent pas d’agir, alors c’est toute la République qui s’écroule.

Tels sont les devoirs à suivre dans l’exercice des fonctions.

* * * 

Pour conclure, je voudrais vous lire ces quelques lignes que Augustin Malroux, député SFIO du Tarn, un des 80, adresse à sa fille le 8 juillet:

« Ceci est mon testament. Je veux que vous sachiez qu’en des heures tragiques, votre papa n’a pas eu peur de ses responsabilités et n’a pas voulu être parjuré. J’ai été élevé dans l’amour de la République, aujourd’hui on prétend la crucifier. Je ne m’associe pas à ce geste assassin, je reste un protestataire, j’espère le rester toute ma vie pour être digne de ceux qui m’ont précédé et ne pas les faire rougir ».

Augustin Malroux mourra en déportation en 1945, à Bergen-Belsen.

Ce que je suis venu partager avec vous ce jour, au-delà de cette cérémonie, c’est donc une mémoire et un espoir. Vivre avec, en mémoire, le courage de tous ceux qui ont su dire « non », espoir en tous ceux qui aujourd’hui sauraient dire « non ».

Vive la République, Vive la France.