Clôture du colloque annuel de doctrine de l'armée de terre

Discours de Claude Bartolone
Président de l’Assemblée nationale
11e colloque « doctrine de l’armée de Terre »
3 décembre 2014

Madame la Présidente de la commission de la Défense, Chère Patricia,
Monsieur le Chef d’Etat-Major de l’armée de terre,
Messieurs les officiers généraux,
Mesdames, Messieurs,

Je suis venu vous saluer et rendre hommage à vos travaux. D’abord, c’est toujours avec satisfaction que je constate que c’est à l’Assemblée nationale que se tiennent les grandes réunions et colloques qui, sur les thèmes les plus divers, voient s’évaluer les faits, se comparer les analyses, se confronter les projets.

Le Parlement n’est pas seulement l’endroit où se fabrique la loi, c’est aussi celui où se construit la pensée du futur. Les travaux du Centre de doctrine et d’emploi des forces, à travers son 11e colloque de doctrine de l’armée de Terre, trouvent donc tout naturellement leur place ici.

L’année dernière vous avez développé vos réflexions sur le retour d’expérience de l’opération Serval au Mali. Depuis, l’implosion de la Centrafrique, la globalisation des activités terroristes et mafieuses sur le Sahel et l’apparition spectaculaire de DAECH sur la scène géostratégique nous démontrent la caractéristique fondamentale de la période, l’imprévisibilité des crises et la rapidité de leur développement.

Qui a vu venir DAECH ? Personne. Ni nous, ni la CIA, ni le pouvoir irakien, ni les israéliens, ni les iraniens, personne… Pouvoir répondre à la surprise stratégique tant sur le plan politique que militaire est donc le défi que doit relever en permanence une Nation comme la nôtre qui entend tenir son rang.

Tenir son rang ! Voilà la réflexion centrale qui structure votre premier thème de réflexion « les coalitions ». Qui peut aujourd’hui tenir son rang, mais surtout qui veut le tenir ? Nous avons tous ressenti l’hésitation de l’administration américaine à s’engager sur le théâtre nord irakien, un peu comme un an auparavant sur le théâtre syrien.

Nous avons tous constaté l’absence de l’Europe, sauf quelques soutiens de l’ordre du symbole, sur le terrain africain pour contenir une poussée terroriste de grande ampleur qui pourtant menace la sécurité de toute l’Europe.

Certes, nous avons construit en France un outil militaire souple qui a prouvé sa réactivité et son adaptabilité doublé d’un outil constitutionnel remarquablement efficace permettant à la fois des décisions immédiates et un contrôle démocratique qui donne satisfaction.

D’autres pays européens ne disposent pas de ce dispositif politico-militaire efficace. Mais est-ce la raison véritable de leur quasi absence ? On aurait pu imaginer être rejoint après un certain délai.

Force est de constater que la conscience de sécurité collective européenne n’est pas au rendez-vous. Cela aurait été une terrible erreur pour la France d’adopter aussi une attitude frileuse. Beaucoup d’entre vous ici présents savent ce qui se serait passé en Afrique sans la présence française.

Il faut rappeler toujours et toujours aux Français qu’il y a un continuum de sécurité. L’action de nos troupes, en faisant baisser l’insécurité à l’extérieur, fait baisser l’insécurité à l’intérieur.

Tenir notre rang ! Certes nous le voulons, mais le pouvons-nous ? Chacun le sait nous sommes dans un contexte financièrement plus contraint que jamais. Les armées ont l’impression, à juste titre, d’être en restructuration permanente.

Il faut dire que la fin de la guerre froide imposait une restructuration totale, la professionnalisation aussi, la révolution stratégique aussi, la révolution technologique aussi et les contraintes financières également.

Les restructurations difficiles, dont il faut bien le dire l’armée de Terre est la principale « bénéficiaire » (entre guillemets) sont le résultat de tous ces facteurs. Même sans contraintes financières, de toute façon, ces adaptations massives auraient été nécessaires.

Il faut considérer ces contraintes comme une chance. Nous sommes condamnés pour longtemps à l’imagination permanente. Transformons la contrainte en une force, celle qui oblige à réinventer, à revérifier les concepts, à innover. Par la moyenne d’âge de ses personnels, le ministère de la Défense est un ministère de jeunesse. C’est aussi sa force. Les contraintes et la jeunesse, voilà les atouts qui libèrent l’imagination.

Si je considère le résultat opérationnel, je constate que nous supportons largement la comparaison avec les autres, mais je connais aussi les efforts que cela peut représenter sur le plan humain.

Les coalitions que j’appellerais « par le haut » relèvent sur le plan technique des travaux internes de l’OTAN et cela fonctionne bien à partir du moment où les budgets sont au rendez-vous. Par contre, les coalitions de terrain relèvent beaucoup plus de questions culturelles, de renseignement et d’expérience ancienne. Les observateurs internationaux reconnaissent que la France est le pays qui réussit le mieux à concilier à la fois les unes aux autres.

On voit donc bien que les questions posées par les coalitions sont beaucoup moins des questions techniques que politiques.

Quels sont ceux qui voient plus loin que leur intérêt immédiat? Quels sont ceux qui ont un minimum de sens de l’Histoire ? Quels sont ceux qui ont les intuitions des enjeux de sécurité ?

Quels sont ceux qui veulent tenir leur rang ?

Je profiterai de cet instant pour dire qu’il ne faut pas se tromper d’époque. Le danger pour la paix du monde et donc la sécurité de l’Europe, c’est DAESH, la lutte d’influence que se livrent sunnites et chiites dans de nombreux pays, le fondamentalisme islamique et ses métastases en Afrique  .

Même si ce qui se passe à l’est de l’Ukraine n’est pas acceptable et les armes là-bas doivent céder immédiatement la parole aux négociateurs, un certain nombre de pays d’Europe feraient une erreur en considérant la Russie comme le principal danger pour la paix : ne détournons pas nos énergies, la guerre froide est terminée, concentrons nos efforts à faire échouer l’offensive de l’Etat islamique au Moyen-Orient et aussi en Afrique que nous devons préserver de cette tragédie. Pour la sécurité de l’Europe notre attention ne doit pas être détournée de l’offensive terroriste au Sud. C’est là que cela se passe.

Vous avez choisi aussi de parler de l’innovation technologique et vous avez raison, car la modernité ne s’arrête pas au monde aérien, maritime ou cybernétique. A chacun de mes déplacements dans le cadre de nos OPEX, je constate que l’armée de terre utilise les technologies les plus pointues. D’ailleurs, nous n’obtiendrions pas l’efficacité opérationnelle dont je parlais tout à l’heure sans cela.

Le développement de « Scorpion » est la dynamique centrale du dispositif. C’est évidemment par l’innovation organisationnelle et technologique que nous transformerons les contraintes en facteurs de progrès.

L’évolution des technologies me semble aller dans le sens d’une généralisation totale de leur caractère dual. Il n’y a pratiquement plus de technologies exclusivement militaires. La question est donc celui du choix de l’endroit où faire porter l’effort du budget de recherche militaire.

Il y a des domaines où la recherche civile fait le travail, il y en a d’autres où l’effort du budget militaire est nécessaire pour se maintenir au premier niveau, en n’oubliant jamais le problème de la surprise stratégique : tous nos matériels doivent être capables d’adaptations rapides à des situations imprévues.

C’est la grande difficulté ; elle me semble être bien prise en compte par la DGA. Permettez-moi en cet instant de saluer le remarquable travail de ses ingénieurs.

Enfin, je crois qu’il n’est pas possible de parler d’innovation technologique sans parler de protection de l’innovation. Nous avons fait de grands progrès en termes d’intelligence économique, mais nous devons aller au-delà, spécialement vers nos PME innovantes, pour protéger nos brevets, nos secrets, garder nos ingénieurs, veiller à la propriété capitalistique des PME stratégiques etc… Ces actions sont aussi importantes que l’innovation elle-même.

Je vais arrêter là mon propos, vous avez bien compris que ces sujets m’intéressent, mais qu’au-delà, je suis d’abord venu pour saluer l’armée de terre, lui dire l’importance de ses missions, la confiance que lui apporte toute la représentation nationale et la certitude qui est la mienne que notre peuple comprend parfaitement les services éminents que rendent à notre pays l’armée de terre et ceux qui la servent.