Colloque « La place de l’autorité judiciaire dans les institutions »

Discours Colloque Cour de cassation :
La place de l’autorité judiciaire dans les institutions
25 mai 2016
Une justice indépendante pour des institutions renouvelées

 

Monsieur le Premier président Bertrand Louvel,
Monsieur le Procureur général Jean-Claude Marin,
Mesdames et Messieurs les députés, mes chers collègues,
Mesdames et Messieurs,

C’est avec un grand plaisir que j’accueille la plus haute hiérarchie judiciaire à la Présidence de l’Assemblée nationale, pour ce colloque consacré à la place de l’autorité judiciaire au sein des institutions de la Vème République.

Faire sortir cette réflexion des palais de Justice et de l’échange entre les seuls professionnels du droit, est une nécessité politique. Interroger la place de l’autorité judiciaire au sein de nos institutions ne peut être réservée aux seuls magistrats, avocats et auxiliaires de justice.

Bien sûr, ces sujets revêtent pour les femmes et les hommes de justice une importance considérable, puisqu’ils éclairent leur engagement au service de la société. Mais plus largement, la place dévolue à la justice interroge notre République toute entière.

Dès mon élection à la présidence de l’Assemblée nationale, j’ai exprimé le souhait d’instaurer un nouveau mode de dialogue entre les institutions, un dialogue qui ne se limite pas au traditionnel tête-à-tête entre l’exécutif et le législatif, mais intègre les échanges entre le Parlement et la Justice.
Ce dialogue avec la Justice, je n’ai eu de cesse de le mettre en œuvre, dans le cadre du groupe de travail que j’ai initié avec M. Michel Winock sur la rénovation des institutions, ou en accueillant votre prédécesseur Monsieur le Premier président et vous-même Monsieur le Procureur général autour d’une rencontre sur la question prioritaire de constitutionnalité.
Ce dialogue se poursuit aujourd’hui. 

Notre pays a expérimenté dans son Histoire, bien des modèles en matière de Justice : des parlements de l’Ancien Régime, rejetés pour leur gouvernement des juges, à notre modèle actuel, des juges acquérant une charge de judicature, aux magistrats recrutés aujourd’hui principalement sur concours, en passant par l’expérience révolutionnaire des juges élus. 

Notre justice contemporaine est l’héritière de cette histoire. L’architecture judiciaire est le résultat de touches successives : loin de constituer une fresque murale, bâtie dans l’urgence de l’emplâtre frais, qui fixe à jamais ce que l’artiste a tracé, la justice ressemble aujourd’hui à une peinture à l’huile.
Le peintre, inlassablement, revient sur les couleurs qu’il a façonnées, appliquées, laissant apparaître l’épaisseur du trait, la trace du pinceau. Ces reprises, retouches, refontes, se succèdent sans que, jusqu’à présent, une main soit venue poser le vernis fixant définitivement la composition alors achevée.

Dans la production de cette œuvre, le Parlement occupe un rôle central. Tel le peintre, c’est lui qui tient le pinceau, intervient en nuance, en finesse, ou au contraire à la spatule et à gros trait.
C’est lui qui devra faire en sorte que les différentes touches  maintiennent l’harmonie de l’ensemble de l’œuvre.
Il doit également s’assurer que ses interventions ne détruisent pas l’équilibre entier de la composition picturale.
Non seulement il doit respecter l’harmonie de cette toile, mais celle-ci doit s’intégrer dans le triptyque de la séparation des pouvoirs. L’équilibre de la dimension des toiles voisines, représentant les pouvoirs législatif et exécutif, doit être maintenu. Il faut éviter que les couleurs de l’une débordent sur les teintes de l’autre.
Cette recherche du juste équilibre entre les pouvoirs et la place réservée à l’institution judiciaire suscite les débats les plus vifs au sein de notre Assemblée. La place du juge, de l’autorité judiciaire, est d’ailleurs au cœur du travail parlementaire récent.
Nombre d’heures ont été consacrées par les députés à ces questions. Depuis le début de l’année, l’hémicycle a été le théâtre des discussions relatives au projet de loi constitutionnelle sur la réforme du Conseil supérieur de la magistrature. 

Les députés viennent de débattre du projet de loi organique relatif aux garanties statutaires, aux obligations déontologiques et au recrutement des magistrats, concomitamment au projet de loi de modernisation de la Justice du XXIème siècle. Je salue à ce titre l’engagement des rapporteurs de ces projets de lois, Monsieur Dominique Raimbourg,  Madame Cécile Untermaier et Monsieur Jean-Yves Le Bouillonnec.

Ces trois textes interrogent directement la place de l’institution judiciaire au sein de notre République et le rôle du juge.
Ces préoccupations ont également été présentes dans les débats relatifs au projet de loi sur la lutte contre la criminalité organisée, le terrorisme et leur financement.
Au cœur du travail parlementaire, de l’élaboration de la loi qui dessine les contours de notre justice, cette question, toujours la même :
Quelle justice voulons-nous pour notre pays ?
Quelle justice pour demain ?
Quelle justice pour nos concitoyens, justiciables souvent malgré eux, pris dans une machine dont les ressorts leur échappent ?

Le citoyen se trouve au cœur de ce triptyque institutionnel : c’est de lui que l’élu tire sa légitimité. C’est « Au nom du Peuple français » que la justice rend ses décisions.
Le citoyen est au cœur des priorités de mon engagement depuis mon élection à la présidence de l’Assemblée nationale.
Comment ne pas voir que celui-ci se détourne de plus en plus de nos institutions, vues comme captant la démocratie au bénéfice de quelques-uns, alors qu’elles devraient au contraire être source de vitalité et de relais des élans démocratiques de nos concitoyens ? Comment ne pas voir que cette méfiance touche également l’institution judiciaire ?

Depuis mon élection, je n’ai eu de cesse d’affirmer la nécessité de garantir l’indépendance de la justice. Le groupe de travail que j’ai présidé avec M. Michel WINOCK a affirmé la nécessité de mettre fin à la tutelle de l’exécutif sur l’institution judiciaire.
Les réformes entreprises au cours de la présente législature laisseront chez certains une impression d’inachevé.
Que voulez-vous, il arrive que le geste du peintre soit mal assuré, que sa main tremble sous l’effet de forces qui s’opposent …

Mais notre détermination ne doit pas pour autant vaciller.
La Constitution doit consacrer l’indépendance et l’impartialité de l’institution judiciaire, enfin reconnue comme un pouvoir.
Une indépendance véritable ne peut pas être garantie par un autre pouvoir. Il est inéluctable que le Président de la République - qui n’est déjà plus le président du Conseil supérieur de la magistrature - lui cède la place.
L’indépendance effective dépendra alors exclusivement du Conseil supérieur de la magistrature, dont la composition devra permettre une représentation équilibrée entre magistrats et personnalités qualifiées.
Le mode de désignation des membres du Conseil supérieur de la magistrature doit également être modifié. Je l’ai dit dès mon entrée à l’Hôtel de Lassay. Je souhaite que demain le pouvoir de nomination de certains membres du Conseil supérieur de la magistrature ne soit plus réservé au Président de l’Assemblée nationale, mais soit confié à l’Assemblée elle-même. 

Ces nominations feraient ainsi l’objet d’une discussion entre députés de la majorité et de l’opposition au sein de la commission des lois. L’indépendance des membres du Conseil ainsi nommée n’en sera que plus grande.
Le Conseil supérieur de la magistrature doit en outre voir ses pouvoirs élargis, notamment en matière de nomination des magistrats. Réaffirmer l’indépendance de la nomination des juges, affirmer celle du ministère public est essentiel.

Il est temps d’en finir avec l’image d’un parquet,  relais du pouvoir exécutif dans le processus judiciaire. Il est urgent de mettre fin à ce que vous ne cessez de dénoncer, Monsieur le Procureur général, notamment à l’occasion des audiences solennelles auxquelles j’ai le plaisir d’assister : l’illusion que le ministère public ne serait que le bras armé de l’exécutif au sein de l’institution judiciaire. Faire taire ce « murmure insupportable », pour reprendre vos mots, Monsieur le Procureur général,  afin que le justiciable maintienne sa confiance dans l’institution auprès de laquelle il confie ses plus grandes difficultés personnelles, ses ruptures, ses fragilités.

C’est par la question de la nomination des magistrats que vous allez débuter.
Je me dois également de saluer l’organisation de la seconde table ronde de la matinée consacrée à l’administration de la justice.
Le respect des principes d’indépendance et d’impartialité constitue une condition essentielle à la légitimité du juge.

Les juges doivent rendre leurs jugements en toute indépendance, loin du soupçon d’une mainmise du politique sur les décisions rendues.
Cela ne saurait suffire. Au-delà, il importe de garantir une justice digne. Je suis élu d’un département où la Justice montre des signes d’asphyxie, à la limite de l’apoplexie. Toutefois, la justice ne peut regagner la confiance du citoyen que si elle dispose des moyens  de répondre, dans des délais raisonnables, avec une qualité d’écoute appropriée, à ses attentes lorsqu’il se retrouve devant elle.

Le Garde des Sceaux a publiquement admis ce qui nous remonte des juridictions depuis des années : la justice, à qui l’on demande tant, ne peut plus faire face aux attentes de nos concitoyens. L’état de la Justice nous renvoie à nos propres responsabilités. Le prochain défi des parlementaires devra être relevé lors de la discussion de la prochaine loi de finances.
Les députés doivent s’engager à mettre fin à l’indigence de notre justice, parent pauvre de nos institutions.

Nous ne pouvons admettre que des procédures soient retardées parce que des experts n’apportent plus leur concours faute d’être payés. Nous ne pouvons accepter que des juges d’instruction n’aient pas de feuilles de papier pour imprimer leurs interrogatoires afin qu’ils soient relus par la personne qu’ils viennent de mettre en examen. Nous ne pouvons tolérer que des personnes victimes d’accidents du travail patientent parfois cinq ans pour que leur affaire soit appelée devant le tribunal des affaires de sécurité sociale, comme c’est le cas aujourd’hui dans certains ressorts.
La question des moyens interroge également le modèle de l’administration des cours et tribunaux. Les modes d’organisation de nos voisins européens, doivent nourrir notre réflexion commune. La question de la tutelle de l’exécutif sur la gestion des moyens de la justice se pose, et se posera inévitablement dans les prochaines années.

La solution des moyens réside-t-elle dans l’institution d’une autonomie budgétaire, en vertu de laquelle l’institution judiciaire défendrait directement son budget devant la représentation nationale ?
Le débat vaut d’être posé, notamment au sein du Parlement.
Quoi qu’il en soit, une chose est sûre : le renforcement des moyens de la Justice, tel doit être notre combat.
Notre combat premier, notre combat central, notre combat essentiel.

Et parce que c’est pour moi un combat essentiel, je le dis ici : veillons à ce que ce dernier ne soit pas affaibli  par un retour de je ne sais quelle « guerre des juges », qui ne saurait être.
La dualité de juridiction est consacrée au niveau constitutionnel. Le juge administratif remplit pleinement son office, en toute indépendance et en toute impartialité, de même que le juge judiciaire, gardien constitutionnel de la liberté individuelle. Cette dualité et ces principes sont une richesse pour notre pays et notre République. 

***

Dans ses Pensées, Montesquieu écrivait :
« La raison pourquoi la plupart des gouvernements de la Terre sont despotiques, c’est que cela se fait tout seul. Mais, pour des gouvernements modérés, il faut combiner, tempérer les puissances ; savoir ce qu’on donne à l’un, ce qui reste à l’autre ; enfin il faut un système, c’est-à-dire une convention de plusieurs et une discussion d’intérêts ».

Notre rencontre aujourd’hui répond à cette injonction d’échange et de dialogue. Les députés n’ont qu’à gagner à pousser les portes des palais de justice et voir comment les lois qu’ils votent sont mises en œuvre au service de nos concitoyens. De même, la justice est trop longtemps restée dans l’ombre de ses cours et tribunaux. Elle doit en sortir, exposer les défis qu’elle relève, comme elle le fait ce matin, afin que ses difficultés soient comprises et partagées.