Colloque « La QPC, une question pour la démocratie »

Monsieur le Président du Conseil constitutionnel,
Monsieur le Vice-Président du Conseil d’État,
Mesdames et messieurs les Parlementaires,
Monsieur le Premier Président de la Cour de cassation,
Monsieur le Procureur général,
Monsieur le Président de l’ordre des avocats au Conseil d’État et à la Cour de cassation,
Monsieur le Président du Conseil national des Barreaux,
Madame la Ministre, chère Ana Palacio,
Monsieur le Ministre, cher Robert Badinter,
Monsieur le Juge, cher Stephen Breyer,
Mesdames, Messieurs,

 

Le 26 août 1789, une poignée d’hommes nouvellement élus, gravèrent dans une Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, les principes fondamentaux de notre démocratie.

Ce jour-là, les représentants de la Nation mirent fin à un monde fondé sur l’inégalité et l’arbitraire.  

Ce jour-là, l’Assemblée nationale -  qui venait de naitre -  fit autant pour la grandeur et la renommée de notre pays, que bien des armées qui combattirent en son nom.

Ce que savaient les premiers parlementaires, c’est que la puissance d’un pays ne se réduit pas au nombre de ses canons. Qu’elle réside également dans la force de ses valeurs, dans le rayonnement de ses idées, et dans le génie de ses institutions.

Ce que savaient ces hommes des Lumières, c’est que si certaines règles sont précaires, d’autres doivent être défendues avec passion. Car elles portent en elles notre projet, notre histoire, notre ambition.

Ce qu’ils ne savaient pas, en revanche, c’est qu’en écrivant ce texte, ils mettaient en place les fondements de la République.

Ce qu’ils ne savaient pas, c’est que leur œuvre serait prolongée à travers les âges, à travers les siècles.

Qu’à cette déclaration viendraient s’ajouter de nouveaux droits, de nouvelles libertés, de nouveaux principes.

Que les droits de la déclaration de 1789 trouveraient leur prolongement dans les « principes fondamentaux reconnus par les lois de la République ».

Qu’aux droits civils et politiques, s’ajouteraient les droits « économiques et sociaux, particulièrement nécessaires à notre temps ».

Et que ces droits de l’Homme seraient, un jour, complétés par une Charte de l’environnement.

Mais, ce que les députés de 1789 ne pouvaient par-dessus tout imaginer, c’est que 221 ans plus tard, des hommes et des femmes se rendraient dans les tribunaux de France, pour invoquer cette Déclaration à l’encontre d’une loi.

Ils ne pouvaient le savoir, et pour cause : pour la majorité de ces hommes,  il était impensable, que la loi, expression de la volonté générale, puisse être soumise au contrôle d’un juge quel qu’il soit.

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Je ne suis ni juge, ni avocat, ni juriste.  Mais je sais en tant que législateur, en tant que Président de l’Assemblée nationale, que notre République a besoin de lois fortes, de lois stables, de lois respectées et respectables pour exister.

Que notre République ne peut tenir et ne peut survivre, que si elle reste fidèle à ses valeurs fondamentales, aux principes qu’elle a gravés dans le marbre, dans « le bloc de constitutionnalité ».

Et que la question prioritaire de constitutionnalité, en renforçant nos lois, renforce notre République.

Parce que lorsqu’une loi en vigueur méconnaît nos principes fondamentaux, lorsqu’elle ignore un droit ou une liberté, lorsqu’elle bavarde ou, à l’inverse, lorsque est trop discrète, elle fragilise la République.

Trois ans après son entrée en vigueur, la QPC a rempli les principaux objectifs que nous lui avions assignés. Trois ans après son entrée vigueur, grâce à elle, notre État de droit est plus solide. Grâce à elle, notre République est renforcée.

Il suffit de penser à tous les progrès qu’elle a permis de réaliser. Des régimes juridiques entiers ont été modifiés : le régime de la garde vue, le régime de l’hospitalisation d’office, le régime relatif aux pensions des anciens combattants étrangers, qui ont combattu pour notre pays.

Mais, si la QPC a renforcé notre République, ce n’est pas simplement par ce qu’elle a consolidé notre État de droit… C’est également parce qu’elle est venue enrichir notre démocratie.

Oui, elle l’a profondément enrichie.  

D’abord, parce qu’il n’y a pas de grande démocratie sans un parfait respect des droits et des libertés. 

N’oublions jamais que la démocratie elle-même est l’expression d’une liberté : la liberté politique. La liberté de participer au débat public. La liberté de concourir à la formation de la volonté générale.

Ensuite, parce que les décisions prononcées par le Conseil constitutionnel forcent bien souvent le législateur à combler un vide juridique, ou à remédier à une inconstitutionnalité.

Parce que la QPC force les représentants de la Nation à se pencher sur d’anciennes législations et à les réexaminer au regard de nos droits et de nos libertés.  

Je citerai un seul exemple, le plus emblématique. Comme vous le savez, le Conseil constitutionnel a abrogé le  4 mai 2012,  l’article du Code pénal relatif au  harcèlement sexuel.

Face à ce vide juridique, notre Assemblée est intervenue en urgence. Les députés ont voté un texte à l’unanimité, détaillant de façon précise les éléments constitutifs d’un harcèlement. Ils ont ainsi répondu directement aux exigences formulées par le Conseil constitutionnel.

Mais, les députés ne se sont pas contentés d’en rester là…. Ils en ont profité pour renforcer la protection des victimes de harcèlement en doublant la peine prévue pour un tel acte.

On l’aura compris : la QPC est une source de vitalité pour notre démocratie parce qu’elle conduit le Parlement à renforcer la législation existante.

Elle conduit le Parlement à se saisir de sujets, sur lesquels il ne se serait pas spontanément prononcé.

Ces sujets,  ils n’ont pas été choisis par le gouvernement. Ils n’ont pas été choisis par les parlementaires. Ils ont été choisis par les citoyens, par les justiciables eux-mêmes. Par les syndicats, les associations, les collectivités territoriales de la République…

Comme beaucoup d’entre vous le savent, avant d’être élu  Président de l’Assemblée nationale, je présidais le conseil général de la Seine Saint Denis. En revanche,  ce que peu d’entre vous savent, c’est qu’à ce titre, j’ai eu moi-même l’occasion de présenter une QPC.

Je vous le dis tout de suite : nous n’avons pas gagné...

Pour autant et comme le prouve ce colloque, je ne suis pas rancunier…

Mais, plus sérieusement, à l’occasion de cette procédure, j’ai compris à quel point la QPC constituait une véritable révolution juridique pour tous les citoyens, et plus largement, pour tous les justiciables.

Enfin, si la question prioritaire de constitutionnalité a  renforcé la démocratie, c’est aussi parce qu’elle l’a rendu plus forte. Plus sûre d’elle-même et de ses valeurs.  Une démocratie guérie de ses propres excès.

Une démocratie où la loi de la majorité n’aboutit pas à l’écrasement de la minorité. Une vision de la démocratie qui est nécessairement celle d’un Président de l’Assemblée.

Nous savons tous à quel point l’ouverture de la saisine du Conseil constitutionnel, en 1974, a fait de l’article 61 de la Constitution un instrument au service de la démocratie.

Depuis cette date, vous n’avez pas juridiquement tort parce que vous êtes politiquement minoritaire.

La question prioritaire de constitutionnalité va encore plus loin dans ce sens.  Elle permet à un individu, à un seul homme, à une seule femme, de faire annuler une loi votée par plus de 900 parlementaires.   Parce que cette loi a méconnu un droit ou une liberté constitutionnelle qui fait partie de notre ADN, de l’ADN de la République.

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La QPC, c’est aussi le symbole d’une République où les pouvoirs s’écoutent, où les pouvoirs dialoguent, où les pouvoirs se respectent et sont respectés.  

C’est le symbole d’une République prête à affronter de nouveaux défis.

Prête à faire face au nouveau monde.

Parce qu’elle est unie, et parce que les pouvoirs coopèrent pour trouver les réponses les plus appropriées aux défis du temps présent. Chacun à sa manière, chacun selon ses compétences.

C’est d’ailleurs ainsi, que la QPC a été conçue et imaginée, ici même, à l’Assemblée. Elle a été imaginée au travers des échanges entre les parlementaires, le gouvernement, les autorités juridictionnelles, les avocats et les universitaires.

C’est le travail  de préparation, ce dialogue, qui ont fait de cette procédure un véritable succès.
Fidèle à son origine, la QPC continue  à contribuer au renforcement du dialogue entre les autorités de la République.

Tout d’abord entre les juridictions, parce que la question prioritaire de constitutionnalité a conduit à l’émergence, à côté du Conseil d’Etat et de la Cour de cassation,  d’une véritable Cour constitutionnelle.

Conseil d’État, Cour de cassation, Conseil constitutionnel, c’est vous qui, chaque jour, faites vivre ce dialogue des juges, en France et par-delà nos frontières.

Cette polyphonie juridictionnelle est une chance. Bien sûr,  il se peut que parfois apparaissent entre vous quelques désaccords, quelques divergences. Mais ce dialogue est source d’émulation et, au fond,  d’enrichissement pour nos droits et nos libertés.

Et puis… cela ne doit  pas être si terrible…  Puisque nous avons réussi à vous réunir dans la même pièce !

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A côté du dialogue des juges, existe un autre dialogue, un dialogue tout aussi essentiel et sur lequel repose en partie  l’avenir de la République. Le dialogue des pouvoirs et des institutions entre elles.  

C’est un dialogue que renforce également la QPC. Il suffit de regarder les personnes qui sont présentes aujourd’hui dans cette salle. Ce ne sont pas simplement tous les acteurs de la chaîne juridictionnelle. Ce sont, plus largement, les acteurs de la République.

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Ce dialogue est pour moi essentiel. Mais il ne peut exister sans le respect d’un certain nombre de principes au premier rang desquels : l’indépendance de la justice.

Ce principe s’impose à l’exécutif comme au législatif.  Il s’impose à moi en tant que président de l’Assemblée nationale.

C’est pour cette raison, que j’ai demandé, dès mon élection, à être dessaisi de mon pouvoir de nomination au Conseil supérieur de la magistrature.

Je me félicite, à ce titre, du projet de loi que vient de présenter le gouvernement relatif à la réforme du CSM.

Non seulement ce projet reprend ma proposition, mais il apporte également bien d’autres garanties supplémentaires à l’indépendance de la justice.

C’est également au nom de cette même indépendance, que je me suis toujours refusé à commenter une décision de justice. Qu’elle émane du Conseil constitutionnel, du Conseil d’État ou de la Cour de cassation.

Mais ce dialogue entre les pouvoirs, exige également que chacun assume son rôle et respecte celui de l’autre.

Nous ne pouvons pas reprocher au juge d’appliquer la loi sur laquelle nous lui avons demandé de veiller.

Si la législation n’est pas satisfaisante, ce n’est pas la faute du juge. C’est à nous de la modifier. C’est aux députés et aux sénateurs de se prononcer. La jurisprudence n’est pas là pour pallier au défaut de débat dans notre Assemblée.

Si nous avons un hémicycle, c’est justement  pour débattre de notre avenir, de l’évolution de nos droits et de nos libertés, des problèmes économiques et sociaux de notre pays.

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Nous le savons tous ici, le gouvernement, le Parlement et la justice concourent, chacun au regard des fonctions qui sont les siennes, à l’expression du peuple français.

Chaque institution, chaque pouvoir, chaque autorité est l’expression d’une temporalité politique différente : le temps long de la Constitution et des droits fondamentaux, le temps court de l’opinion, le temps périodique du suffrage politique.

Cette démultiplication des canaux d’expression de la souveraineté est précieuse. Elle permet de réaliser au mieux le projet démocratique. Elle permet de donner une réalité sans cesse renouvelée à l’expression de la souveraineté du peuple français.    

Chacun à notre place, et dans le cadre des missions que la Constitution nous a confiées, à l’écoute et dans le respect des autres pouvoirs,  nous permettons à la République d’avancer, avec force et unité.  

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Je cède maintenant la parole au « père » de la QPC : Robert Badinter, qui nous fait le grand plaisir d’être parmi nous aujourd’hui,  dans cette maison qu’il connaît si bien, et cela entre deux airs d’opéra !

Je vous annonce, en revanche, que Christiane Taubira ne pourra malheureusement pas être des nôtres.

Je le regrette mais elle est d’ores et déjà pardonnée car si elle n’est pas là, c’est pour une bonne cause : elle est retenue sur les bancs du Sénat qui examine actuellement le projet de loi relatif au mariage.