Colloque « Mieux légiférer »

Mieux légiférer
28 novembre 2014,
Discours prononcé par M. Claude Bartolone,
Président de l’Assemblée nationale

Monsieur le Président du Conseil constitutionnel,
Monsieur le Vice-Président du Conseil d’État,
Monsieur le Ministre,
Mesdames et messieurs les Parlementaires,
Monsieur le Président du comité de la politique réglementaire du Royaume-Uni,
Monsieur le Président du Conseil national de contrôle des normes d’Allemagne,
Mesdames et Messieurs les professeurs,
Mesdames et Messieurs,

Je suis très heureux de vous accueillir aujourd’hui, à l’Assemblée nationale, pour ce colloque intitulé « Mieux légiférer ».

Je tiens à remercier tout particulièrement les intervenants, aux premiers rangs desquels les intervenants étrangers, qui nous font le plaisir d’être parmi nous aujourd’hui.  Cher Michael Gibbons, cher Johannes Ludewig, merci d’avoir répondu favorablement à notre invitation.

Votre présence est en elle-même une forme d’encouragement. Elle nous prouve que la France n’est pas le seul pays à  être confronté à la question de la qualité de la norme. Elle nous prouve surtout qu’il n’y a pas, dans ce domaine, de fatalité, et qu’il est possible d’obtenir des résultats concrets, à condition de repenser véritablement ce qu’il est convenu d’appeler la « fabrique de la loi ». 

C’est la raison pour laquelle nous avons réuni aujourd’hui les principaux acteurs de la procédure législative. Je tiens également à les remercier pour leur présence. 

La question qui nous est posée est d’autant plus importante à mes yeux, qu’elle interroge directement le rôle de l’Assemblée nationale et plus largement du Parlement. Car je suis convaincu que l’autorité et la crédibilité du Parlement dépendent largement de l’autorité et de la crédibilité de la loi.  Et cela d’autant plus dans la perspective du non-cumul des mandats.

On le sait, l’un des objectifs de la réforme du non-cumul qui entrera en vigueur en 2017 est de faire en sorte que les députés et les sénateurs soient demain encore plus actifs qu’ils ne le sont aujourd’hui.

Qui pourrait s’en plaindre ? C’est une excellente nouvelle pour notre démocratie. Mais encore faut-il savoir dans quel but ?

Pour voter davantage de lois ? Pour amender davantage de textes ? Pour déposer davantage de propositions ?

Pour ma part, je ne l’espère pas. Mais le risque est bien là.

Voilà pourquoi il est d’autant plus urgent, à mon sens,  de penser la fabrique de la loi. 

De penser la chaîne législative : la conception, la fabrication, le contrôle, et l’évaluation de la loi. Qu’à chaque stade, les députés puissent intervenir ou être associés. Que le rôle du parlementaire ne se limite pas à voter des textes ou à les amender.

C’est l’une des raisons qui m’a poussé à créer une mission sur la simplification législative en novembre 2013. Cette mission a duré près de neuf mois. Elle a adopté un rapport à l’unanimité de ses membres et cela, par-delà les sensibilités politiques.

Un rapport qui formule 15 propositions particulièrement innovantes et qui seront aujourd’hui, je l’espère, au cœur de nos débats.

Je tiens, dans ce cadre, à remercier sincèrement la Présidente de la mission, Laure de La Raudière, ainsi que son rapporteur, Régis Juanico, pour la qualité du travail qu’ils ont accompli.

Je remercie également Thierry Mandon, Secrétaire d’État à la Réforme de l’État et à la Simplification, qui a été un temps rapporteur de cette mission avant d’intégrer le gouvernement.

***

Mesdames et Messieurs,

Je dois l’avouer : ce colloque est l’expression même d’un paradoxe. Notre présence à tous ici prouve que nous sommes parfaitement conscients que l’instabilité juridique et le « trop-plein législatif » qui caractérisent notre système juridique pèsent sur la vie de nos concitoyens et sur l’économie de notre pays.

Pourtant, cela fait bientôt près de vingt ans que nous faisons  le même constat. 

Le paradoxe est aujourd’hui d’autant plus criant, que la situation actuelle est loin d’être de nature à rassurer. Car si on ne vote pas plus de lois aujourd’hui qu’hier, le volume des lois lui ne cesse de s’accroître. L’année 2013 restera à ce titre dans les annales. Jamais depuis dix ans,  les lois promulguées sur une année n’auront représenté un tel volume. L’ensemble des lois publiées en 2013 représentent plus de 3 800 000 caractères, soit deux fois plus qu’en 2002 !

En vérité, tout se passe comme si le flot législatif était devenu un raz-de-marée que nulle digue ne parvient à entraver.

Cette situation engage notre responsabilité collective. Elle engage notre responsabilité de citoyen et d’acteur de la société. Car d’un côté, nous nous plaignons de l’inflation législative, mais de l’autre nous exigeons bien souvent l’intervention du législateur. Dans le même temps, nous nous désolons  du nombre de lois et ne cessons d’exiger de nouvelles règles.

Cette situation engage la responsabilité des hommes et des femmes politiques, qui trop souvent cèdent à l’urgence et à l’hystérie médiatique en proposant un nouveau texte. Tant et si bien que, comme l’a écrit le regretté Guy Carcassonne : « La loi est (devenue) une réponse à défaut d’être une solution ».

Cette situation engage enfin, la responsabilité des administrations. On se souvient des critiques formulées déjà en son temps par le doyen Carbonnier, lui qui dénonçait « l’invasion du droit bureaucratique ».

« Les préoccupations des bureaux, écrivait-il, deviennent par symbiose les préoccupations du ministre. De là découle un reproche grave : c’est que chaque compartiment légifère sur les problèmes de sa spécialité sans les intégrer dans une vision d’ensemble du système juridique ».

Près de trente ans plus tard, il n’y a pas grand chose à ajouter. Si ce n’est, peut-être, que ces phénomènes tendent à s’aggraver. Premièrement, en raison de l’accélération du temps politique et donc législatif.

Il suffit d’observer le recours croissant à la procédure accélérée. Entre 2002 et 2004, le gouvernement y a recouru 27 fois, entre 2007 et 2009, 59 fois, entre 2012 et 2014,  115 fois ! Par-delà les effets de l’alternance et l’urgence économique, nous ne pouvons pas nous résigner à cette situation.  

Deuxièmement, nous constatons que les textes qui sont déposés sur le bureau des Assemblées sont non seulement de plus en plus longs, mais je le dis, ici, de moins en moins préparés et pensés en amont.

J’en veux pour preuve le nombre de dispositions qui sont ajoutées après le dépôt du projet de loi, par le gouvernement lui-même. Là aussi, nous venons d’atteindre un record : entre juin 2012 et septembre 2014, le gouvernement a fait adopter 1767 amendements, soit un chiffre jamais atteint depuis plus de dix ans.

Je n’ignore pas non plus la responsabilité du Parlement qui, par son droit d’amendement, peut faire sensiblement varier le volume d’un texte.

Mesdames et Messieurs,

Il ne s’agit nullement de pointer du doigt telle ou telle  Institution. Je le répète, notre responsabilité est collective. Mais ne soyons pas naïfs : aucune raison ne justifie que les comportements des acteurs se mettent soudainement à changer simplement parce que nous dressons ce constat. Les dernières décennies ont même prouvé l’inverse.

Bien sûr, nous pouvons continuer à mener à bien des travaux de simplification sur le droit existant. C’est même essentiel. Et je tiens à ce titre à saluer le travail considérable accompli par Thierry Mandon  et ses équipes.

Mais si en même temps nous ne réformons pas la procédure, si nous continuons à produire cette logorrhée législative, alors nos successeurs pourront dans dix ans organiser exactement le même colloque.

Nous ne pouvons pas simplifier d’un côté le droit en vigueur si nous continuons, de l’autre, à le complexifier.

Voilà pourquoi nous devons réformer la fabrique de la loi, afin que l’objectif de simplification soit pris en compte au stade même de la confection de la norme. C’est tout l’objet des deux tables rondes de cette matinée. 

De nombreuses propositions seront débattues. Pour ma part, j’aimerais simplement insister, à ce stade, sur le fait  qu’une bonne procédure législative est nécessairement une procédure  qui garantit l’existence d’un débat éclairé. 

Oui, un débat éclairé. Sur ce point, nous avons fait incontestablement des progrès. Ainsi, depuis la révision constitutionnelle de 2008 et la loi organique du 15 avril 2009,  tout projet de loi est désormais accompagné d’une étude d’impact.

En invitant le gouvernement et les parlementaires à se soucier davantage des conséquences pratiques et notamment financières du texte proposé, l’instauration de cette obligation a eu incontestablement des effets positifs.

Pour autant,  les études d’impact n’ont pas permis de sensiblement simplifier notre droit. Tout d’abord, en raison des items que les études d’impact doivent comprendre au regard de la loi de 2009. Ensuite et surtout, du fait que ces études sont rédigées par les mêmes  administrations que celles qui ont rédigé le projet de loi. Or, en  l’absence de toute contre-expertise, on voit mal l’auteur d’un texte expliquer de lui-même que ce qu’il propose va dans le mauvais sens…

Au regard de ce constat, je suis convaincu comme les auteurs du rapport, qu’il est indispensable d’enrichir les études d’impact. Celles-ci pourraient avoir ainsi désormais pour obligation, de préciser les charges administratives créées par le texte proposé et les charges supprimées en contrepartie. Avec la règle suivante : une charge supprimée pour une charge créée.

Par ailleurs, il serait extrêmement utile pour les parlementaires que cette étude d’impact fasse l’objet d’une contre-expertise par une autorité administrative indépendante, avant son dépôt au Parlement. 

Les députés et les sénateurs auraient ainsi la garantie de disposer de tous les éléments nécessaires pour pouvoir se prononcer en toute connaissance de cause sur le texte qui leur est soumis.

Je suis très intéressé de pouvoir entendre, sur ce point, nos deux intervenants étrangers, et qu’ils puissent nous préciser comment ce mécanisme fonctionne concrètement dans leur pays.

Parce que le débat doit être clair, notamment au regard des enjeux juridiques,  je souhaite également que soit rendu public l’avis du Conseil d’État sur tout projet de loi déposé sur le bureau de l’Assemblée nationale ou du Sénat.

Sur ce point, je vais plus loin que la proposition des rapporteurs.  Le rapport propose en effet de rendre public la seule partie relative aux études d’impact.

Je pense, pour ma part, qu’il serait utile pour le Parlement et pour le débat, que l’intégralité de l’avis soit rendu public, dès lors que le projet est soumis au vote des parlementaires.

Aujourd’hui, ces avis ne sont connus que du seul gouvernement. Pourtant, ils portent un regard  juridique de grande qualité sur les textes qui nous sont adressés. Ils permettent notamment d’identifier les éventuels risques d’inconstitutionnalité.

Certes, je connais les arguments qui s’opposent à cette publicité. Je les entends.

Mais franchement, est-il sain de soumettre au vote  des députés, des articles d’un projet de loi, dont le Conseil d’État lui-même a estimé qu’ils présentaient des risques d’inconstitutionnalité, sans au préalable les en informer ? Honnêtement, je ne le pense pas.

***

Voilà quelques réflexions que je souhaitais partager avec vous en guise d’introduction. Elles n’épuisent pas le vaste sujet qui est le nôtre aujourd’hui. Bien d’autres questions devront être évoquées.

Une chose est sûre : nous ne pourrons pas en rester au stade de la réflexion.

Je vous remercie.