Conférence débat d’ATD Quart Monde organisée à l’occasion de la Journée mondiale du refus de la misère

Madame la Ministre,

Monsieur le Défenseur des Droits,

Monsieur le Président d’ATD Quart Monde,

Mesdames et Messieurs les Députés,

Mesdames et Messieurs,

Chers amis,

Merci à vous tous, du fond du cœur, d’avoir répondu à mon invitation et à celle de Pierre-Yves MADIGNIER, Président de l’association ATD Quart Monde. Merci à vous d’avoir pris de votre temps, d’être venus, parfois de loin, pour participer à ce moment d’échange et de réflexion dans une journée déjà bien remplie : je sais que le moment que nous allons passer ensemble est un moment de répit, avant une belle et longue marche en direction du Trocadéro !

En cette journée mondiale du refus de la misère, où la première place est offerte à ceux qui d’ordinaire sont les derniers, j’ai souhaité vous accueillir à l’Assemblée nationale, dans cette maison qui est avant tout la vôtre. C’était d’autant plus naturel que le thème de cette journée interroge directement les parlementaires que nous sommes.

Car, quand on parle de pauvreté, on pense d’abord aux 8 millions et demi de personnes qui vivent, en France, sous le seuil de pauvreté, parmi lesquelles on compte 2,7 millions d’enfants de moins de 15 ans. On pense aussi aux 3 millions et demi de personnes mal logées. On pense encore aux 800 000 personnes qui ont recours à l'aide alimentaire. On pense enfin et surtout à ces millions de nos compatriotes qui vivent avec moins de 964 euros par mois.

La pauvreté n’est plus l’apanage d’une marge de notre corps social. Elle frappe des populations diverses, elle frappe bien sûr les jeunes, les familles, notamment les familles monoparentales. Elle frappe les personnes porteuses de handicaps, elle frappe aussi des retraités. Elle frappe des populations dont les parcours de vie sont de plus en plus chaotiques, hachés, faits d’une succession de hauts et de bas, de fins de mois difficiles et de quelques embellies. Oui, depuis 20 ans, la pauvreté touche des Français qui semblaient jusqu’alors en être protégés. Selon un récent sondage, près d'un Français sur deux se considère aujourd'hui comme pauvre ou en passe de le devenir. C’est par exemple l’histoire banale et brutale d’un cadre qui se retrouve à la rue du jour au lendemain parce qu’il a perdu son travail. Telle est l’image d’une époque, où le sentiment de précarité est devenu prégnant pour tout le monde.

Mais la pauvreté, vous le savez, n’est pas que monétaire, c’est aussi un sentiment diffus de privation, d’exclusion de la cité, c’est le sentiment terrible de ne compter pour personne, de n’être représenté par personne, de n’être écouté de personne. Ce que la pauvreté met en lumière, avant tout, c’est la perte du lien social et parfois du lien familial.

Pour toutes ces personnes, pour toutes ces familles qui connaissent ponctuellement ou durablement la pauvreté, l’enjeu n’est pas simplement de leur venir en aide, même si c’est bien entendu nécessaire et vital. C’est aussi et surtout de les accompagner jusqu’à leur retour au cœur même de la société. Vous le savez, beaucoup de nos concitoyens finissent par ne plus y croire. Ne se percevant plus comme des citoyens à part entière, ils ne vont nulle part, ne sont aidés par personne et perdent petit à petit confiance.

Alors, Mesdames et Messieurs, que faire ?

Je suggère que nous commencions par demeurer ce que nous sommes. Nous sommes la France. Nous sommes les artisans d’une République sociale. Nous sommes les héritiers du Conseil national de la Résistance. Nous sommes animés par le goût du progrès social.

Pas simplement par manie ou par tradition. Le goût du progrès social est constitutif d’une part de notre identité nationale.

Le jour où, par effet de mode ou par mimétisme de je ne sais quel modèle dont on nous vanterait les mérites, nous rompons avec cette part de notre identité, nous rompons avec nous-mêmes.

Quand on est la France, on n’accepte pas de laisser un seul de nos enfants au bord du chemin.

Quand on est la France, on offre à tous la carte verte à l’entrée de l’hôpital, on n’exige pas la carte bleue.

Quand on est la France, on n’est davantage heurté par l’allongement des files d’attente devant les Restos du cœur, que par le flottement d’un pourcentage de déficit nominal.

Quand on est la France, on considère l’Humanisme et la générosité non pas comme un supplément d’âme, mais comme notre ADN national.

Tout cela, Mesdames et Messieurs, il nous faut le réaffirmer et le réaffirmer encore. C’est le combat des valeurs.

La journée mondiale du refus de la misère fait bien sûr apparaître le lien universel et fraternel qui relie tous les continents, et c’est heureux. Mais notre pays tient, par son histoire et ses révoltes, une place et une responsabilité particulières dans ce refus. Notre République s’est, pour partie, construite grâce à ce refus : liberté certes, mais aussi égalité et fraternité. Elle en garde la mémoire vive, qui doit continuer de nous guider.

Être ce que nous sommes, donc, mais aussi faire ce que nous avons à faire.

Quel est notre rôle ? C’est bien sûr de faire tout, je dis bien tout, pour sortir de cette interminable crise : c’est faire renaitre une croissance durable et riche en emplois, c’est continuer à lutter d’arrache-pied contre le chômage, notamment le chômage des jeunes et des séniors, c’est encore améliorer l’accès aux soins et à un logement digne. Sortir de cette crise, c’est fixer des objectifs, c’est établir des plans pluriannuels d’actions, c’est lancer des diagnostics et proposer des dispositifs. Bref, c’est obtenir des résultats tangibles dans la vie des Français.

Mais je l’ai déjà dit et je le répète : ça ne suffit pas. Les Françaises et les Français attendent plus : on ne peut pas répondre à cette menace diffuse de déclassement et à cette insécurité économique grandissante par des chiffres et des moyennes.

Il est urgent de rendre à chacun sa dignité, de prendre en compte, dans chacune de nos décisions, la réalité du vécu des Françaises et des Français en ce qui concerne l’emploi, l’école, les services publics de proximité ou la sécurité.

Mais, il faut, aussi, ne jamais négliger ces petits riens du quotidien qui inquiètent et qui désorientent. Il est urgent d’aller au contact de Françaises et de Français, d’écouter, d’être proche de leurs préoccupations et de leur garantir que pour eux aussi l’ascenseur social fonctionne encore : c’est la seule façon de garantir à toutes et à tous qu’il a sa place dans la République Française. Nul n’est besoin d’invectiver, d’opposer, de stigmatiser, certes. Mais il faut dire les choses sans craindre de choquer, de gêner, de perturber. Ce qui me choque, chers amis, c’est cette violence sociale quotidienne inouïe subie par nos concitoyens et que décrit si bien Florence AUBENAS dans le Quai de Ouistréham, ce qui me choque c’est la mine déjà fatiguée de tous ces jeunes de 20/25 ans que je rencontre régulièrement et qui luttent depuis déjà de nombreuses années contre le chômage et la précarité !

Enfin, la place des personnes en situation de pauvreté dans l’élaboration des politiques publiques passe par un contact très direct et très régulier avec nos concitoyens. Car la solidarité, c’est avant tout la proximité. C’est pourquoi votre rôle de militants associatifs est déterminant : associations de quartier, de bas d’immeuble ou association à vocation nationale comme ATD Quart Monde, vous contribuez tous à la cohésion sociale de notre pays. Et les Français reconnaissent celles et ceux qui agissent chaque jour pour rompre leur solitude et pour faire partager l’espérance d’une société meilleure. C’est ce que vous faites en tant que responsables associatifs et, au nom de toute la Représentation nationale, je vous rends hommage. Mais bien sûr, le besoin de proximité passe aussi et surtout par un maillage efficace des services de l’Etat et des collectivités territoriales. Les partenaires sociaux ont également un rôle à jouer et les entreprises doivent s’engager. Bref, une union sacrée autour de la lutte contre la pauvreté est nécessaire. Nous avons déjà été capables, par le passé, d’unir nos forces. Aujourd’hui, encore c’est d’un véritable sursaut collectif dont nous avons besoin.

Je vais maintenant céder la parole à Murielle GÉLIN et Manuella LECANU, militantes ATD Quart Monde, puis nous écouterons Dominique BAUDIS, Défenseur des droits et Marisol TOURAINE, Ministre des Affaires sociales et de la Santé.

Mais avant cela, chers amis, je voudrais conclure mon propos en vous remerciant une nouvelle fois pour votre participation et en rappelant ce qui est exprimé simplement dans le préambule de la Constitution de 1946 : « La Nation assure à l'individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement. Elle garantit à tous, notamment à l'enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs. Tout être humain qui, en raison de son âge, de son état physique ou mental, de la situation économique, se trouve dans l'incapacité de travailler a le droit d'obtenir de la collectivité des moyens convenables d'existence. » Puissent ces principes clairs et généreux être respectés dans la France du 21ème siècle !