Conférence européenne des Présidents de Parlement à Strasbourg

Conférence européenne des Présidents de Parlement
Session - Migrations et crise des réfugiés en Europe
Strasbourg, 15 septembre 2016

Monsieur le Président de l’Assemblée parlementaire, Cher Pedro,
Chers collègues, Chers amis,

La crise des réfugiés est un des plus grands défis que connaît notre continent aujourd’hui. Elle confronte son histoire, sa culture, ses valeurs à l’épreuve. Persévérer dans l’échec, c’est forcer la postérité à nous mépriser, quels que soient, par ailleurs, nos réussites et nos enthousiasmes. 3.500 êtres humains sont morts en Méditerranée en 2015. 3.200, pour l’instant, en 2016. Cette situation est un défi à nos valeurs les plus profondes, les valeurs fondatrices du Conseil de l’Europe.

Je sais que des forces politiques conservatrices, en France bien sûr, mais ailleurs aussi, veulent étouffer le problème en soutenant que les réfugiés économiques profitent de nos temps mondialisés compliqués, que l’accueil des réfugiés a un coût. Il y a toujours des gens pour mettre un prix sur tout.

Notre action commune doit être améliorée. Nos pays doivent attribuer plus généreusement des répartitions de réfugiés, mettre en place des procédures plus rigoureuses de recensement et d’assistance aux réfugiés, ne pas faire de tri entre les bons et mauvais réfugiés selon les nationalités, s’engager à des actions profondes avec les États concernés du Moyen-Orient. Ils ont, avec nous, une mission, un destin communs : faire la paix du nouveau siècle pour des millions d’êtres humains. Nous pouvons nous mettre d’accord sur le fait qu’il faut aider la Grèce, l’Italie, la Turquie, à partir d’initiatives bilatérales, pour soulager le sort terrible des dizaines de milliers de réfugiés en danger immédiat.

Nous devons soutenir activement les mesures sociales en Liban et en Jordanie car, je vous le dis, personne ne traverse la Méditerranée sur un radeau par plaisir. Ces quelques mesures, qui peuvent nous rassembler, peuvent sauver nos principes de liberté de circulation et de continent commun.

Cela, c’est l’objectif. Et qui peut l’affirmer mieux que nous, parlementaires ? Nous sommes les voix des peuples, la vigie de leurs valeurs.  Combien de nos compatriotes ont rêvé que le droit d’asile soit enfin, et c’est arrivé, un droit universel, au cœur des valeurs humanistes de l’Europe ? Sommes-nous condamnés à renoncer aux rêves de liberté et d’égalité de nos pères ? Non, mille fois non. Bien sûr, certains de nos concitoyens sont déstabilisés. Nous devons les convaincre qu’intégrer les réfugiés ne conduit pas à les négliger, particulièrement nos compatriotes qui se trouvent dans la précarité.

Les évolutions démographiques, les structures sociales, l’organisation des métiers au sein de nos sociétés montrent que l’immigration n’est pas une menace, mais une occasion de prospérité et de conquête sociale. Des décisions importantes ont été prises pour soulager la Grèce et l’Italie du poids des arrivées massives sur leur territoire, mais, franchement, ce n’est pas assez. Amis grecs et italiens, vous êtes encore trop seuls.

Avec ses millions d’habitants, l’accueil et l’intégration des réfugiés ne représentent pas un fardeau pour l’Europe. Surtout en comparaison avec d’autres pays comme le Liban qui a accueilli plus d’un million de personnes, un quart de sa population et la Jordanie avec 635.000 personnes, 10 % de ses habitants. Il faut mieux expliquer les termes de l’accord entre l’Union européenne et la Turquie du 18 mars 2016 (rappelons que la Turquie accueille 2,5 millions de Syriens et 300.000 Irakiens) et ne pas cacher ses imperfections.

Les Parlements nationaux doivent aussi exercer pleinement leur pouvoir de contrôle et vérifier la mise en œuvre des politiques migratoires. Ils doivent interpeller les gouvernements sur les blocages des mesures décidées au niveau européen. Est-il normal que la Grèce n’ait toujours pas reçu l’appui logistique qu’elle réclame depuis des mois pour accélérer l’instruction des demandes d’asile ? Le Bureau européen d'appui en matière d'asile déplore que les États n’aient toujours pas honoré leurs engagements de fournir des renforts en officiers de protection. Un autre exemple crie la nécessité d’un travail plus étroit avec les ONG : dans les camps de réfugiés du Calaisis, des mineurs isolés qui ont de la famille au Royaume-Uni se heurtent à des lenteurs administratives pour être autorisés à rejoindre ce pays et, abandonnés, sont victimes de tous les trafics.

Enfin, les Parlements nationaux sont des forces d’action pour les actions de développement avec les pays du Sud.
Lors du sommet de La Valette de novembre 2015, la gestion des migrations a été reconnue de la responsabilité commune des pays d'origine, de transit et de destination. Un Fonds fiduciaire d’urgence pour l’Afrique a été créé pour appuyer des projets de développement. Là encore, les Parlements nationaux doivent surveiller leur application.

Nous savons que la crise migratoire concerne non seulement des réfugiés du Moyen-Orient mais aussi d’Afrique noire. Il s’agit de migrants qui fuient la guerre, mais aussi la sécheresse et le sous-développement. Les considérer comme des migrants économiques est réducteur car les causes de leur exil sont multiples. Qui sommes-nous pour étiqueter un désespoir ?

À plus long terme, les pays européens seront confrontés longtemps encore à des mouvements migratoires. Certains pays européens, enclins au vieillissement démographique, auront besoin de jeunesse.

Le respect de l’état de droit doit rester notre fil conducteur, notre totem, même si nous devons harmoniser certains aspects du droit d’asile. Quand nous aurons retrouvé l’apaisement des grands acteurs historiques, quand nos peuples respireront de nouveau, nous n’oublierons pas, j’espère, d’où venaient nos maux. Les politiques d’austérité, les obsessions de la préservation des rentes, les politiques de dépossession de l’État et des services publics, les dépendances économiques des peuples, le sentiment de fatalité devant l’explosion des inégalités, voilà des phénomènes politiques internationaux dont il faudra se défaire. A semer l’injustice, les inégalités, les rentes et les confiscations, on récolte, tôt ou tard, le malheur et la misère des oubliés. Contre cela, contre les désastres sociaux, nous ne réussirons qu’ensemble.

Je vous remercie.