Conférence européenne des présidents de Parlement au Luxembourg

Conférence européenne des présidents de Parlement
Session II – Le renforcement de l’Union européenne
Luxembourg, lundi 23 mai 2016

Monsieur le Président Di Bartolomeo, cher Mars,

Mesdames et Messieurs les Présidents de Parlements, mes chers collègues,

C’est un grand plaisir pour moi d’intervenir devant vous. Et je remercie avec amitié et reconnaissance notre collègue, notre ami Mars Di Bartolomeo d’avoir conduit avec talent et élégance l’organisation de cette Conférence que je qualifierais de décisive.

En effet, nous avons des choses à nous dire. Nous ne sommes pas de simples partenaires, nous sommes les représentants de peuples frères, et l’Union européenne n’a pas été fondée pour n’être qu’une simple instance d’échanges de bons procédés.

Notre collègue Laura Boldrini, qui vient de prononcer un discours aussi beau que juste, a parlé d’un de nos Pères fondateurs, Altiero Spinelli. Nos Pères fondateurs, Spinelli et Schuman, Monnet, Adenauer, Spaak ou De Gasperi, lorsqu’ils se réunirent, et réussirent à mettre d’accord des peuples jadis ennemis pour construire l’Europe moderne, n’ont pas mis en commun leurs efforts sur un devoir de mathématiques, ou un devoir de gestion. Non, ils ont fait un devoir de philosophie. L’Europe n’est pas une abstraction dont nous héritons comme un actif financier. L’Europe est une réalité politique, vivante, qui respire, qui aime, qui rit et qui souffre comme toutes les réalités humaines.

L’Europe est même plus que cela. Elle est plus grande que nous-même car elle s’identifie à une civilisation, héritière de tant de grands empires, de grandes découvertes, de grandes délicatesses et de grandes fulgurances.

Ici, à Luxembourg, dans cette salle, au XXIème siècle, dans les murmures de l’air, dans les ombres et les lumières qui nous entourent, il y a un peu de Périclès, un peu d’Aristote, un peu d’Auguste et de Trajan, un peu de Clovis baptisé et de Charlemagne couronné, un peu d’Abélard, de Charles IV de Bohème et de Louis XIV de France, de Laurent le Florentin et de la Magna Carta de Londres. Et il y a aussi les rebelles, les hérétiques, les exilés et les condamnés, Giordano Bruno et Jan Hus, Thomas More et Victor Hugo, qui tous, ont souffert d’avoir pensé cette utopie européenne qui aujourd’hui est une réalité dont notre mission est de la faire vivre. Et pourtant, aujourd’hui, nous doutons tous. Comment en est-on arrivé là ?

Il y a trente ans, en 1976, sous l’impulsion de l’immense chef d’orchestre Claudio Abbado, l’Europe créait l’Orchestre des jeunes de l’Union européenne, qui depuis lors initie des milliers de nos jeunes, de tous nos pays, à l’excellence.

Avant-hier, devant la Gare centrale de Bruxelles, ils ont manifesté leur colère devant le projet de leur disparition par souci d’austérité budgétaire. Comment en est-on arrivé là ?

Pour les peuples européens, l’Europe, c’est la paix. Et que voyons-nous ? Plus d’un million de migrants sont entrés en Europe en 2015. 30 000 réfugiés sont aujourd’hui bloqués en Grèce. Ils bravent la mort et la trouvent souvent : 3500 personnes sont mortes en  Méditerranée en 2015, presque 1400 depuis le début de notre année 2016. Les pays limitrophes de la Syrie explosent. 2,5 millions de réfugiés en Turquie, 1,1 million au Liban, plus de 600.000 en Jordanie. La Méditerranée, le berceau de la civilisation, de l’art, de la philosophie et de la liberté, est devenue un tombeau. Comment en est-on arrivé là ?

L’Union européenne créait des solidarités de fait pour, un jour, s’identifier à l’ensemble d’un continent géographique.

Or, dans quelques jours, les britanniques, par référendum, se prononcent sur une question terrifiante, de maintien ou de sortie dans notre famille. Il y a un an, des financiers trop zélés, à l’esprit informatique, ont voulu chasser la Grèce, pays inventeur de la liberté. Comment en est-on arrivé là ?

En 1989, François Mitterrand fait voter une Charte sociale en pacte additionnel à l’Acte Unique, suivant en cela les volontés populaires de nos peuples respectifs qui savent, eux, que l’Europe ne peut pas être seulement incarnée par des standards de dette publique et de politique de lutte contre les aides d’Etat. En effet, si Europe il y a, alors nous devrions espérer qu’un jour prochain, on se soigne aussi bien dans tous les coins du continent, on y craigne aussi peu que possible les risques de l’existence de la même manière, on y ait les mêmes droits au bonheur.

Or, aujourd’hui, partout dans nos pays, la flexibilité générale est plus argumentée que les normes concrètes de standard de vie. Et les peuples doutent, et les peuples se désespèrent. Comment en est-on arrivé là ?

Alors réagissons. Comme l’a dit Laura, avec Norbert Lammert, Mars Di Bartolomeo et Laura Boldrini, nous avons signé le 14 septembre 2015 une déclaration commune où nous appelions à un sursaut européen pour que l’Union européenne s’engage dans davantage d’intégration et se hisse vers son idéal. Quinze d’entre nous ont signé ce texte dans treize pays, je les en remercie chaleureusement.

Mais je veux vous rassurer. Certains d’entre nous expriment un scepticisme face à nos propositions qui seraient, selon eux, une perte de souveraineté et de liberté. Je réaffirme ici qu’il n’est aucunement dans mon propos de remettre en cause les souverainetés des peuples européens.

Je le répète ici : il n’y a pas de démocratie sans souveraineté. Mais il n’y aura pas de souveraineté sans puissance collective.

Alors, vous avez raison. Redonnons le pouvoir aux peuples. Pour que les peuples retrouvent le goût de l’aventure européenne en s’exprimant sur elle, non pas en la subissant, j’ai suivi l’idée de Laura Boldrini de mettre à disposition des citoyens français une plate-forme d’expression, de doléances et de propositions sur le site de l’Assemblée nationale. Ce fut une belle consultation populaire, qui vient d’être close. Comme Laura, je développerai ailleurs en détail les résultats de cette consultation, mais ils montrent que seule une minorité infime des réponses est explicitement europhobe. Les citoyens ont déclaré être fortement attachés à la liberté de circulation des personnes, qu’ils considèrent comme l’un des principaux avantages de l’Union européenne. Leur deuxième attachement est la mise en place d’une Europe sociale.

Dans les réponses ouvertes, qu’Internet nous permettait, les citoyens ont souhaité que l’Europe se mobilise sur deux sujets: d’abord la mise en place d’une politique étrangère et de sécurité commune, ensuite l’harmonisation fiscale entre les États membres et la lutte contre la fraude fiscale.

J’y ajouterai le triomphe d’une Europe à la pointe de l’excellence énergétique et de la lutte radicale contre le réchauffement climatique, et j’engage toutes nos assemblées à inciter les gouvernements à ratifier très vite l’accord sur le Climat de Paris de décembre dernier et à le ratifier elles-mêmes. L’Assemblée nationale a ratifié le 17 mai cet accord dont nous pouvons être fiers et que nos enfants sauront un jour mettre à notre crédit.

J’ai lu attentivement les documents de cette Conférence, et les amendements de tous.
Nous ne sommes pas loin d’être d’accord, puisque nous voulons tous que l’Europe soit digne des promesses de son baptême, celui du bonheur des peuples qui nous ont délégué l’exercice d’une souveraineté si précieuse et si fertile que rien, si nous le décidons, ne pourra la détruire. N’ayons pas peur d’un avenir que rien ni personne ne pourra nous voler si nous joignons nos efforts, nos rêves, notre ardeur à bien faire et nos désirs de grandeur. Rien ni personne ne pourra empêcher l’Europe d’être, encore une fois, à la hauteur de son destin.

Je vous remercie.