Déplacement à Clermont Ferrand dans le cadre de la réunion du bureau de l’Assemblée parlementaire de la Francophonie

Ouverture du Bureau de l’Assemblée parlementaire de la francophonie
Lundi 26 janvier 2015 – 9h30

Monsieur le Président de l’Assemblée parlementaire de la francophonie,
Monsieur le Premier vice-président,
Messieurs les Présidents d’Assemblée,
Monsieur le Secrétaire général parlementaire,
Monsieur le Président délégué de la section française,
Madame la sénatrice,
Monsieur l’administrateur de l’OIF,
Mes chers collègues,

J’avais eu l’honneur d’ouvrir les travaux du Bureau de l’APF en 2013, lorsque la section française vous avait reçus à Paris.

J’avais ce jour-là axé mon intervention sur l’importance de la diversité culturelle et sur l’éducation comme moyens de combattre l’intolérance et le fanatisme, en résonnance aux évènements qui se déroulaient alors au Mali. Vous et moi faisions face à une réalité géopolitique inquiétante, celle d’un monde où la violence le disputait à la raison et où, plus que jamais, les femmes et les hommes politiques devaient s’enrichir les uns les autres, se rencontrer et dialoguer, afin de mieux se connaître, de jeter des ponts entre leurs peuples et de coopérer sur les questions essentielles : le développement économique et social, l’approvisionnement en eau et en nourriture pour les 7 milliards d’êtres humains que porte notre planète, le réchauffement climatique et les équilibres écologiques.

Je pourrais, malheureusement, tenir le même discours aujourd’hui, devant les tragédies qui se déroulent chaque jour, dans plusieurs de nos pays, et à la suite des actes terroristes dont la France a été victime du 7 au 9 janvier. Je souhaite à ce propos vous remercier pour les marques de solidarité que vous nous avez tous témoignées après le drame que nous avons vécu.

Certains de vos chefs d’État étaient présents à la marche républicaine du 11 janvier. Cela nous a beaucoup touchés.

Alors que divers groupes terroristes cherchent à nous éloigner, à nous diviser de l’intérieur, la réponse de nos peuples, dans l’unité et la dignité, nous impose – à nous, responsables politiques – d’aller de l’avant, de préparer l’avenir sans lamentation, de rendre toujours plus démocratiques nos modèles politiques, pour nous projeter collectivement, concrètement, dans un monde de paix. Plus que jamais, la politique doit rassembler, fédérer, unir les hommes autour des questions essentielles, sans jamais céder à la haine, à l’intolérance et à la violence.

Savoir écouter, savoir dialoguer, unir nos forces : tel est le projet de la Francophonie, tel est le message qu’elle porte depuis sa création. Elle doit le porter encore plus fortement, en s’adaptant aux urgences et aux réalités de notre temps. 2015 est une année de renouveau pour l’espace francophone. Cela ne rend que plus importantes les deux journées que vous passerez ici, à l’hôtel de ville de Clermont-Ferrand.

Je remercie à cet égard très chaleureusement M. Olivier Bianchi, maire de Clermont-Ferrand, pour avoir accepté d’accueillir nos travaux et j’adresse également à Mme Michèle André et à M. Jean-Pierre Dufau ma gratitude pour avoir organisé une nouvelle fois cette réunion si importante.

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En 2014, une page s’est sans doute tournée, avec la fin du mandat de M. Abdou Diouf, fils spirituel de Léopold Sedar Senghor, l’un des pères de la francophonie. Je veux rendre hommage au travail considérable qu’il a accompli, et à son engagement militant constant, inlassable. Il a su faire de l’OIF dont je salue ici l’administrateur, M. Clément Duhaime, l’organisation active et utile qu’elle est aujourd’hui, au service des institutions et des peuples des pays francophones. A travers ses programmes de coopération (notamment avec les Parlements), ses missions d’observation électorale, son appui, discret ou assumé, aux médiations de crise (comme ce fut encore récemment le cas au Burkina Faso) : l’OIF s’est imposée comme une organisation utile et responsable, respectueuse et ambitieuse.

Un nouveau chapitre s’ouvre. Le visage de Mme Michaëlle Jean, qui fut Gouverneur général du Canada, incarne désormais l’OIF.

Les commentateurs ont été nombreux à souligner que le poste échappait pour la première fois aux Africains. Chers collègues, il ne faut pas, me semble-t-il, s’arrêter à cette analyse.

Penser qu’il y aurait, dans ce choix, un désaveu de l’Afrique, reviendrait d’abord à ne pas considérer l’espace francophone comme un ensemble solidaire. Cela reviendrait ensuite à nier la place incontournable qu’y occupent l’Afrique et les Africains : ils forment aujourd’hui (et ce sera encore davantage le cas demain), le principal foyer démographique de la Francophonie.  

La nomination de Mme Michaëlle Jean, aux compétences unanimement reconnues, au poste de Secrétaire Générale de l’OIF, est à la fois la consécration du rôle important que jouent le Canada et les Provinces canadiennes, au premier rang desquelles le Québec, au sein de l’OIF, mais aussi un merveilleux symbole d’unité et de mixité.

Elle a concilié avec bonheur trois cultures dans sa vie personnelle et professionnelle, et dispose de toutes les qualités pour conduire à bien sa nouvelle mission : Monsieur le Président McIntyre, vous pouvez lui faire part de la confiance et du soutien de l’APF.

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De son côté, l’APF pense aussi son renouveau.

Je veux d’abord saluer le travail de modernisation considérable qui a été accompli, sous la conduite de Mme Andrée Champagne, puis sous votre présidence, cher M. McIntyre, et sous l’impulsion également de notre collègue Pascal Terrasse, secrétaire général parlementaire, dont je salue le dynamisme et la solidité des liens qu’il a su tisser avec l’ensemble de nos collègues parlementaires.

Vous avez adopté l’an dernier un nouveau cadre stratégique, dont 2015 marquera la première année d’application. Ce point est à l’ordre du jour de votre réunion, ici, à Clermont-Ferrand.

Sans doute est-il difficile à une assemblée parlementaire internationale d’exercer une influence visible sur la scène diplomatique car son rôle est statutairement consultatif. Mais notre Assemblée a la chance d’être un interlocuteur direct et apprécié de l’OIF, d’offrir la possibilité de conduire des débats très libres, et de compter parmi elle des membres exerçant de hautes responsabilités politiques dans chacun de nos pays : nous avons donc la capacité de stimuler l’action de nos gouvernements ; j’ajouterai que nous en avons le devoir.

Plusieurs dossiers et plusieurs chantiers ont été ouverts. Ils vont de la communication institutionnelle à l’examen des situations politiques en passant par l’intensification des programmes de coopération, pour lesquels vous pouvez compter sur le soutien et la participation de l’Assemblée nationale française. Nous devons poursuivre ces actions, et poursuivre nos réformes, si l’on veut que la francophonie soit vivante et qu’elle fasse sens pour les populations.

Certes, compter 274 millions de locuteurs et être classé parmi les cinq langues les plus parlées de la planète est flatteur. Encore faut-il que la réalité corresponde aux chiffres, que nos Etats défendent notre langue à l’international, et que l’usage du français soit concrètement bénéfique aux populations, y compris sur les plans économique et commercial.

Dans des cas encore trop nombreux et des pays où c’est pourtant la langue officielle, la maîtrise du français recule, accentuant une fracture insupportable entre les États et les peuples, et au sein des peuples eux-mêmes, le français faisant souvent office de langue de cohésion nationale.

Trop souvent, dans les principales instances internationales, et je pense notamment à l’ONU où le français est pourtant une langue de travail, nous acceptons, à tort, de négocier des textes en anglais. Est-il tolérable que des résolutions concernant au premier chef des pays francophones soient négociées dans des langues qui leur sont étrangères ? Est-il acceptable que les résolutions sur le Mali aient été négociées dans une autre langue que celle de l’État malien et de ses voisins ?

Trop souvent enfin, nous négligeons la force économique collective que nous pourrions tirer du partage d’une langue commune.

Le défi d’une francophonie économique se pose clairement. L’Assemblée nationale l’avait examiné l’an dernier avec le rapport d’information de M. Pouria Amirshahi, et je sais que c’est une question sur laquelle l’APF s’interroge également. C’est pour moi un chantier prioritaire pour la Francophonie au XXIème siècle.

Ce ne sont là que quelques exemples des efforts qu’il nous faut encore déployer, en termes d’éducation, et de diplomatie politique et économique.

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La Francophonie porte en elle le changement, de son sens et de ses ambitions.

Le terme même a évolué au fil du temps. Créé par le géographe Onésime Reclus en 1880, il devait au départ simplement qualifier un ensemble de langue, de culture et de valeurs. Après les indépendances des années 50 et 60, il fut repris par les pays africains pour nouer une forme de coopération apaisée avec l’ancienne métropole.

Ils avaient la conviction que l’unité linguistique était un instrument de libération, de fraternité et de progrès.

Par définition, la Francophonie est ouverte. De même que le nombre de locuteurs augmente, celui des États membres s’accroît. Dans cette ouverture sans cesse plus large, nos langues et nos cultures s’enrichissent, de nouveaux horizons, de nouveaux accents… le tout avec une incroyable floraison de talents, dans la littérature, la musique ou encore le cinéma, comme en témoigne le succès du film Timbuktu auprès du grand public. Nous devons en être fiers.

Je n’ai donc aucun doute que nous pouvons faire vivre et se développer la francophonie, l’adapter aux exigences nouvelles du siècle, pour éviter la menace d’un monde uniforme, où se perdraient nos identités réciproques. De même que de grands écrivains contemporains du Canada, d’Haïti, d’Albanie, du Cameroun ou encore du Maroc conjuguent avec bonheur plusieurs identités, qu’ils font « courir à la langue les hasards du monde », pour reprendre la belle expression d’Édouard Glissant, je ne vois pas pourquoi nous ne ferions pas preuve de la même audace que nos peuples.

Mes chers collègues, je souhaite plein succès à vos travaux.