Déplacement à Rome à l'occasion des 60 ans du traité de Rome

Discours de M. le Président
Conférence des Présidents des parlements de l’Union européenne pour le 60ème anniversaire de la signature des Traités instituant les Communautés européennes
Rome, 17 mars 2017

 
Madame la Présidente de la Chambre des députés, chère Laura,
Monsieur le Président du Sénat, cher Pietro Grasso,
Chers collègues, chers amis,

C’est un grand honneur pour moi, pour nous, de nous retrouver, ici à Rome, lieu fondateur s’il en est, du rêve européen. Ici même, quelques personnes firent mentir tous les appels à la résignation en produisant pour l’avenir une grande lumière.

Jean-François Deniau, à l’époque haut fonctionnaire à Bruxelles, sous l’autorité de Maurice Faure, réussit à inscrire dans le préambule du traité de Rome, je cite, qu’ « une union sans cesse plus étroite entre les peuples européens » était l’objet de la nouvelle Communauté économique européenne. En 1957, les six pays fondateurs n’étaient pas riches. Á la Libération, ils n’avaient rien, et ils fondaient la Sécurité sociale.

En 1957, ils étaient pauvres, et ils fondaient la plus grande construction internationale jamais espérée. Robert Schuman, Jean Monnet, Alcide De Gasperi, Paul-Henri Spaak, Joseph Bech, Johan Willem Beyen, Konrad Adenauer, Altiero Spinelli nous léguèrent une exigence plus philosophique qu’économique. Comme le dit un jour Jean Monnet, c’est par l’Europe que nos États deviendront solidement « libres, vigoureux, pacifiques et prospères ». Amis européens, souvenons-nous de cet héritage que nous portons tous en nous, au fond de notre cœur.

Célébrer le 60ème anniversaire de cette fulgurance, c’est exalter notre courage à dépasser les difficultés qui, il est vrai, assaillent notre rêve européen.

Premier défi, l’Union européenne vit l’expérience du rétrécissement. Pour la première fois, un peuple se sent plus protégé hors de l’Union qu’en son sein.  J’ai d’ailleurs créé à l’Assemblée nationale une mission parlementaire, composée de toutes nos sensibilités politiques, pour réfléchir et agir sur le Brexit.
Deuxième défi, la crise des réfugiés est un des plus grands échecs que connaît notre continent aujourd’hui. Elle confronte son histoire, sa culture, ses valeurs à l’épreuve. La Méditerranée, Mare nostrum comme l’appelaient les romains, de berceau de notre civilisation, devint en 2015 le tombeau de 3.800 réfugiés, 5.000 en 2016.

Les Britanniques nous quittent, l’Union panique face aux nouvelles migrations, et les peuples doutent. D’où viennent nos maux est une question que l’Histoire saura poser. Les politiques d’austérité, les obsessions de la préservation des rentes, les politiques de dépossession de l’Etat et des services publics, les dépendances économiques des peuples, le sentiment de fatalité devant l’explosion des inégalités, voilà des phénomènes politiques internationaux qu’il faudra assumer devant l’Histoire. Á semer l’injustice, les inégalités, les rentes et les confiscations, tôt ou tard, on récolte le malheur et la misère des oubliés.
Des forces politiques d’extrême-droite en ont profité. Je sais que le PVV aux Pays-Bas, l’Ukip au Royaume-Uni, le Front national en France, la Ligue du Nord en Italie, le FPO en Autriche rencontrent des succès.
Ils veulent récupérer le ressentiment populaire qu’ils trahiront, comme toujours dans l’Histoire, à l’instant même d’une prise de pouvoir qu’il ne faut pas souhaiter.

Sommes-nous condamnés à renoncer aux rêves de liberté et d’égalité de nos pères fondateurs ? Non, mille fois non. Nous essayons, ensemble, de porter le rêve. Nous avons signé le 14 septembre 2015, ici même à Rome avec Laura Boldrini, Norbert Lammert, et Mars Di Bartolomeo une déclaration commune où nous appelions à un sursaut européen pour que l’Union s’engage dans davantage d’intégration et se hisse vers son idéal. Nous avons créé le débat au sein de l’Union. Nous avons affirmé face aux doutes, face aux risques, que l’Union est fondée sur des valeurs irréversibles et universelles. Nombreux, parmi vous, ont signé notre déclaration, et je les en remercie chaleureusement.

Mes chers collègues, c’est en retrouvant l’ardeur de nos Pères fondateurs que nous réussirons à rencontrer de nouveau le désir d’Europe de nos peuples. 62 personnes possèdent autant de richesses que les 3,5 milliards les plus pauvres. 10 % de la population mondiale détient 86 % des richesses disponibles.

Quoi d’autre qu’une Europe empreinte des valeurs des Lumières répondra aux défis démographiques du nouveau siècle ? Notre siècle verra en 2050 un quart de la population mondiale en Afrique, 80 % en Asie et en Afrique ? Qui peut penser que construire des murs, réels ou intellectuels, protègera nos enfants de la dureté des temps et des vicissitudes de l’Histoire ? Mais quelle chimère inspire à trop de consciences effrayées l’idée d’une Europe forteresse isolée ?

Nos peuples expriment de grandes colères. C’est notre tâche de savoir les transformer en énergies confiantes, en désirs d’union.
La poésie de Dante, la peinture de Léonard, les façades de Prague, la musique de Mozart ne sont pas des exclusivités nationales, mais notre art commun, divines harmonies tirées des voyages et des cultures européennes d’artistes qui, pourtant, souffraient des villes brûlées et violées par nos guerres civiles séculaires. Le traité de Rome, il y a 60 ans, a rompu la continuité de l’Histoire, en disant Non à la guerre, en promettant à nos peuples que l’égalité et la justice, sur nos terres incomparables de beauté, étonneraient les siècles. Mes chers amis, les œuvres d’art ne sont pas, en Europe, que sur les murs des musées et des palais, elles sont aussi dans le cœur des citoyens européens, qui savent, quand ils le désirent, produire en politique des chefs d’œuvre de solidarité. C’est le moment de reprendre le flambeau allumé en 1957.

Je vous remercie.