Dévoilement de la plaque en l’honneur de Pierre Messmer dans l’hémicycle de l’Assemblée nationale

Discours de M. le Président
Dévoilement de la plaque en l’honneur de Pierre Messmer
Assemblée nationale, mercredi 6 juillet 2016

Mesdames et messieurs les parlementaires, chers collègues,
Chers amis,

Il y a des existences dont les étapes, les péripéties, les ruptures, les beautés et les événements incarnent ceux de leur pays. Il y a des histoires qui dialoguent avec l’Histoire.
A l’heure de célébrer le centenaire de Pierre Messmer, je pose la question : quelle était l’histoire de Pierre Messmer ? Pourquoi la vie de Messmer épouse-t-elle à tel point l’Histoire de France, que lire sa biographie revient à lire l’histoire d’un peuple ?

Ecoutons-le : reçu en 1990 à la section générale de l’Académie des sciences morales et politiques, il déclarait : « J’ai eu le temps de vivre trois vies : soldat pendant la guerre, administrateur en Afrique et en Extrême-Orient à la veille de la décolonisation, ministre de la Ve République pendant cette période prospère qu’un économiste a dénommée les Trente Glorieuses. »

En tant que président de l’Assemblée nationale, je veux ajouter la vie parlementaire : élu de Moselle, maire de Sarrebourg de 1971 à 1989, Pierre Messmer a exercé le mandat de député de 1968 à 1988, période pendant laquelle il a aussi été ministre, puis Premier ministre. Et il y a même eu aussi une cinquième vie, celle d’académicien, au cours de laquelle, ayant quitté les affaires, Pierre Messmer est reconnu comme un gestionnaire particulièrement actif de l’Institut. « L’espoir rarement accompli, disait-il simplement, mais rarement perdu de réaliser l’idée que je me fais de la France a été le ciment de toutes ces vies. »

Messmer, dès l’enfance, avait quelque chose de la France. Le petit français est souvent rêveur. Deux mille ans de gloire l’y prédisposent, de Clovis à Austerlitz. Pierre Messmer, bousculé par les tempêtes et les bouleversements de l’histoire, n’a pas choisi tous ses métiers successifs, à l’exception sans doute de l’administration de l’outre-mer. Son grand-père était alsacien et quitta sa terre pour la France en 1871 ; le petit Pierre grandit avec au-dessus de lui, l’amour de cette nation. Mobilisé en 1939 après sa sortie de l’Ecole nationale de la France d’Outre-Mer comme sous-lieutenant du 12e régiment des tirailleurs sénégalais, il entend, au cours d’une mission dans l’Allier, le 17 juin 1940, l'infâme allocution radiophonique du maréchal Pétain appelant à la cessation des combats. C’est alors qu’avec un groupe d’officiers de l’armée de terre et du futur général Simon, il décide de continuer. Il vole une moto, entamant une équipée rocambolesque qui le conduit jusqu’à Londres via Marseille.

C’est à Marseille qu’il prend connaissance, le lendemain, en ouvrant le Petit Provençal, de l’Appel du général de Gaulle, et où il embarque, après s’être fait embaucher comme docker, sur le cargo Capo-Olmo. Et là, il faudrait un Alexandre Dumas, ou un Tolstoï, et pourquoi pas un Homère, pour raconter ce qui advient. Messmer se met à la barre, et détourne avec le lieutenant Simon et le commandant Vuillemin le bateau vers Gibraltar puis Liverpool. L’équipage est prévenu à la fin de la première nuit. Messmer entre dans la légende de la Résistance. A Londres, il apporte au général De Gaulle les premiers fonds de la France Libre, produit de la vente de la cargaison du Capo-Olmo. L’entretevue avec le général est courte, intense. A Messmer héroïque, digne de Bayard et de Murat, De Gaulle répond, en lui tapotant l’épaule : « C’est bien Messmer ».

Il demande alors à être affecté à la Légion étrangère, dans la 13e demi-brigade. « Pourquoi la Légion ? Parce que je voulais faire la guerre avec des gens sérieux », expliquera-t-il bien plus tard.
Messmer, profondément français, sait que la République n’est pas morte, et qu’elle vit partout où brûle son amour. Officier de Légion exemplaire dans l’accomplissement des missions de guerre, il participe à l’expédition de Dakar, au ralliement du Gabon, se distingue à la campagne d’’Erythrée, ce qui lui vaut la Croix de la Libération remise par le général de Gaulle en mai 1941. En septembre, il est capitaine. Après la campagne de Syrie, c’est Bir Hakeim, en mai-juin 1942, où il commande une compagnie du 3e bataillon de la Légion, puis, en octobre 1942, El Alamein, s’illustrant avec courage dans la prise de Neg Rala. Puis, après la campagne de Tunisie, il est envoyé aux Antilles ralliées au Comité français de libération nationale, et rejoint ensuite la Grande-Bretagne. Il est affecté à l’état-major du général Koenig en janvier 1944 et débarque en Normandie.

A l’automne 1944, de retour en France, la France doit finir la guerre. Messmer est inquiet. Il n’accepte ni la justice expéditive de certains soi-disant Résistants, ni les faveurs distribuées aux combattants de la dernière heure. Il décide de repartir. « J’avais l’illusion, a-t-il écrit, que pour être propre, il suffisait que je risque ma vie ». Il accepte une mission de réorganisation de l’administration française en Indochine après l’occupation japonaise. Il continue à servir la Légion étrangère. Mais à peine parachuté au Tonkin, il est fait prisonnier par le Viet Minh et s’évade au bout de deux mois.
Une deuxième vie commence alors, celle de l’administration de l’outre-mer. « J’aimais ce métier à aucun autre pareil », disait-il. En avril 1946, il suit les négociations entre Hô Chi Minh et Jean Sainteny. Il est convaincu qu’il faut accepter l’indépendance du Vietnam dans le cadre d’une union avec la France.

En 1954, il est gouverneur de la Côte d’Ivoire et fréquente le futur Président Félix Houphouët-Boigny dont il devient l’ami. En 1956, il est appelé à diriger le cabinet de Gaston Defferre, ministre de l’Outre-mer. Aussitôt, il met en chantier le projet visant à réaliser dans chaque territoire une autonomie interne qui deviendra la loi-cadre Defferre votée en quatre mois. Haut-commissaire en Afrique, il voit le monde colonial disparaître et les peuples de l’Afrique noire accéder à l’indépendance. Le colonial qu’il était devient acteur de la décolonisation. Là aussi, il est français. Notre pays, fondateur des droits de l’homme, dont la fondation républicaine, en 1792, est indissociable de l’engagement de nos Pères fondateurs pour la libéralisation des esclaves et leur accession au titre de citoyen, ne sut pas éviter les dérives du colonialisme. Mais il sut aussi inspirer, dans le cœur de ses enfants, l’amour de l’égalité et la force de se révolter.

De Gaulle ne l’oublie pas et lui confie ce qu’il respecte par-dessus tout : l’armée. En février 1960, il est nommé ministre des Armées en pleine crise en Algérie. C’est une troisième vie. Il suit les opérations militaires en Algérie, appliquant la politique déterminée par le général de Gaulle et expliquant aux militaires l’évolution de la politique de défense. Après le putsch des généraux, estimant qu’une partie de l’armée a désobéi, il offre sa démission au général de Gaulle qui la refuse. Ministre jusqu’en juin 1969, un record inégalé depuis Louvois, il aura pris part à 450 conseils des ministres et engagé, au moyen de lois de programme, une réforme profonde des armées inspirée par la dissuasion nucléaire.

De Gaulle lui ordonne d’être député. Messmer, en bon soldat, obtempère. Il se présente dans la 5ème circonscription du Morbihan, celle de Lorient, où, à Saint Gildas de Rhuys, ses parents ont une maison. La majorité n’est conservée qu’à un siège et il est l’un des quatre ministres battus.

Mais 1968 arrive, avec, en juin, les élections où l’on vote massivement pour l’ordre. Pierre Messmer se présente à Sarrebourg, où il est élu, dès le premier tour.
Après le départ du général de Gaulle, il quitte le gouvernement et y revient en 1971 en qualité de Ministre d’État, chargé des Départements et territoires d'Outre-mer dans le gouvernement de Jacques Chaban Delmas. Nommé Premier ministre en 1972, il gagne, huit mois après, les élections législatives. Il conduit les affaires gouvernementales en bon soldat gaulliste, sans jamais faire état de ses doutes. Le premier choc pétrolier le conduit à lancer un important programme électronucléaire, tout en engageant le pays dans les économies d’énergie.

En avril 1974, Georges Pompidou meurt. Se pose la question de sa candidature à la succession. Mais, placé en première ligne, il renonce, car l’exercice du pouvoir n’est pas pour lui une évidence.
Il rend compte dans ses Mémoires, de ses sentiments en quittant Matignon : « Je soupire avec tristesse mais aussitôt, je respire un grand coup : Je me sens libre. » Il retrouve, après une élection partielle, la 8e circonscription de la Moselle, se consacrant aux problèmes socio-économiques de la Lorraine dont il préside un temps le Conseil régional où il siège pendant dix-huit ans.
Passé dans l’opposition sous la présidence de François Mitterrand, il préside, dans notre Assemblée, le groupe RPR pendant la première cohabitation. Les résultats des élections législatives de mars 1986 ne donnent à la coalition du RPR et de l’UDF qu’une majorité très fragile. L’autorité morale de Pierre Messmer s’impose à la tête d’un groupe qui, dans une situation institutionnelle inédite, se doit de faire preuve de cohésion. Aussi, demande-t-il que la majorité poursuive « à son rythme, la mise en œuvre de [sa] plateforme qui concerne toute la législature ».

Retiré sans déplaisir excessif de la vie politique après son échec aux législatives de 1988, il est élu la même année à l’Académie des sciences morales et politiques et en devient Secrétaire perpétuel en 1995. Cette cinquième vie n’est pas la moins remplie. Chancelier de l’Institut de France, il en assure une gestion florissante. Il continue à participer aux débats et aux controverses. En 1999, il entre à l’Académie française au 13e fauteuil, celui de Racine, de Loti, et, juste avant lui, de Maurice Schumann. Il succède au général Simon à la présidence de la France Libre, nommé Chancelier de l’Ordre de la Libération en 2006. En 2005, la séance publique annuelle des Cinq académies lui est dédiée sur le thème du courage.

Comment aurait-il apprécié cette plaque commémorative ? « Je n’aime pas les coups d’encensoir. Ils font mal à la tête » avait-il coutume de dire. Aujourd’hui, nous célébrons l’histoire de cette France qui, quelquefois, doit son salut à l’audace de quelques-uns. Faisons-nous l’histoire ?
Sommes-nous emportés par elle ? Pour Pierre Messmer, « la réponse n’est pas indifférente car la dignité d’un homme ne tient pas aux grades qu’il a atteints, aux distinctions qu’il a reçues, aux fonctions qu’il a remplies, à son intelligence ou à sa richesse mais à l’usage qu’il fait de sa liberté ».

Messmer, décidément, c’était vraiment la France. Indomptable et imbattable, arborant le rire de Voltaire et l’épée de Clotaire,  généreuse et tempétueuse, tombant dans les Frondes pour se relever par des Résistances qui siècle après siècle ornent notre livres d’Histoire des hauts faits des grandes femmes et des grands hommes qu’on admire, la France, décidément, ne se conçoit pas sans grandeur. Il y a des députés qu’on écoute, il y a des députés qu’on admire. Cette plaque de cuivre est un témoignage humble et reconnaissant, mais surtout un puissant geste d’admiration.

Pierre Messmer, en 2016, vous auriez eu cent ans. Mais nous savons, nous, que la France et vous, vous êtes immortels.