Discours sur les évolutions démographiques et leur impact sur les politiques publiques

Réunion des Présidents d’Assemblée du G 8 à Washington

Samedi 8 septembre 2012 – 2ème session (après-midi)

 
Changing demographics and the impact on public policy

Les évolutions démographiques et leur impact sur les politiques publiques

 
Intervention de M. le Président Claude Bartolone

 

 

Dear Mister Speaker, Dear Colleagues,

Mesdames, Messieurs les présidents,

 

Connaître, anticiper et traiter les impacts pour les politiques publiques des évolutions démographiques : le sujet de notre réunion est à l’évidence un sujet majeur pour tous les décideurs publics et en particulier pour les Parlements. Je remercie le Président Boehner de l’avoir inscrit à notre ordre du jour.

Deux tendances semblent structurantes pour l’avenir : la population mondiale va augmenter dans les décennies à venir, mais moins vite qu’hier, ce qui signifie que nous allons assister à un vieillissement de la population mondiale.

L’accroissement de la population mondiale s’est accompagné de l’augmentation et du perfectionnement de la production et de la mise à disposition des biens et services nécessaires à la vie de chacun.

L’accroissement démographique a été à la fois le résultat et le moteur d’une mobilisation sans précédent du génie humain au service du progrès de la condition humaine.

Pourtant beaucoup de ces besoins restent encore non satisfaits aujourd’hui, y compris dans nos pays dits développés ! Les politiques publiques devront trouver les moyens de satisfaire ces besoins, tout en préservant la qualité de notre environnement et les ressources naturelles. Répondre à l’augmentation de la population mondiale sera d’autant plus difficile que notre planète reste marquée par les nations, voire par les regroupements locaux, davantage que par une gouvernance mondiale.

Le vieillissement de la population mondiale constitue un défi incontournable, auquel beaucoup des pays développés sont déjà confrontés et qui concernera rapidement beaucoup de pays « émergents » ou en développement. Une société composée de plus de « seniors » – qui vivent de plus en plus longtemps – doit mobiliser des moyens suffisants pour offrir aux troisième et quatrième âges des conditions de vie décentes et pour faire face au risque de perte d’autonomie.

L’intensification des solidarités intergénérationnelles sera inévitable. Là aussi, il s’agit d’un défi pour les politiques publiques : comment protéger nos aînés, comment les « remercier » d’avoir travaillé et agi leur vie durant pour la prospérité de nos sociétés et pour l’éducation de leurs enfants, sans décourager l’initiative des plus jeunes ? Comment inciter une société à innover, à créer, à se projeter vers l’avenir, tout en la maintenant accueillante pour les plus âgés d’entre nous ?

L’immigration est aussi un élément de réponse à la détérioration du rapport entre actifs et inactifs.

Comme je l’ai déjà signalé, le solde migratoire reste nettement positif en France depuis une décennie, avec l’entrée, selon des procédures régulières, chaque année de plus de 150 000 étrangers. A moyen terme l’arrivée d’une population jeune et active est une chance pour notre économie. Cependant, il nous faut rester ferme dans la lutte contre l’immigration irrégulière qui est source de terribles drames humains, comme nous l’avons vu au large des côtes italiennes ou espagnoles et de difficultés d’intégration dans nos villes.

Par ailleurs, le Président de la République française a annoncé que désormais  l’Assemblée nationale déterminerait chaque année les secteurs nécessitant une immigration économique. M. le Président Boehner, mes chers collègues, je serais très intéressé de savoir si de tels débats ont lieu à la Chambre des Représentants des Etats-Unis et dans vos  assemblées respectives et comment ils sont menés.

La France connaît et connaîtra des évolutions démographiques semblables aux grandes tendances mondiales.

Notre population continue d’augmenter de façon soutenue : la France compte aujourd’hui plus de 65 millions d’habitants, contre à peine plus de 60 millions il y a un peu plus de 10 ans. 73 millions de personnes vivront en France métropolitaine en 2060 selon un scénario envisagé, il y a un an, par notre Institut national de la statistique.

Le nombre de naissances excède dans notre pays le nombre de décès et constitue encore aujourd’hui le moteur le plus puissant de l’augmentation de la population, et ce devant un solde migratoire sans doute durablement positif.

Durant toutes ces dernières années, l’indice de fécondité des femmes vivant en France – autour de 2 enfants par femme en âge de procréer – a largement soutenu le rythme d’accroissement démographique.

Dans le même temps, la population française vieillit.

Nos systèmes sociaux et nos politiques économiques devront répondre à trois impératifs :

– assurer l’accueil, la prise en charge et la scolarité d’un nombre d’enfants qui demeurera important. Il s’agit de garantir le libre choix de l’activité pour les parents, mais aussi de commencer de préparer nos enfants à la vie en société et à la citoyenneté, par l’apprentissage de l’autonomie et de la solidarité ;

– il faudra aussi renforcer le potentiel de notre économie en formant de façon adéquate les jeunes et les salariés et en encourageant la création d’entreprises et l’activité, en particulier dans des secteurs économiques porteurs, c’est-à-dire les plus susceptibles de créer les richesses nécessaires à une juste répartition entre tous ;

- il importera enfin d’assurer une vie digne à nos aînés, en garantissant à chacun d’entre eux un niveau de pensions, un accès généralisé à une médecine de qualité et une protection au regard du risque de dépendance.

Dans ce contexte, le dynamisme de la natalité française n’est pas une charge. C’est bien au contraire une chance, une source de vitalité renouvelée, le signe que notre pays fait preuve de confiance en lui-même.

Notre natalité est d’ailleurs le résultat de politiques publiques familiales équilibrées, à la fois généreuses et protectrices des choix individuels, professionnels et affectifs de nos concitoyens.

En tout état de cause, ce dynamisme nous oblige à réinventer les politiques publiques en direction des jeunes. C’est  le choix du Président de la République française de donner la priorité de son quinquennat à la préparation de l’avenir de notre jeunesse.

Les pouvoirs publics, et en particulier les collectivités locales, devront maintenir, entretenir, rénover et souvent élargir les capacités d’accueil des jeunes enfants dans les crèches et les établissements scolaires.

L’État fait par ailleurs un effort considérable – à travers notamment des aides fiscales aux ménages – pour élargir et rendre solvable le secteur économique de la garde d’enfants.

Sans remettre en cause une filière qui aujourd’hui fonctionne à une large échelle, il conviendra bien entendu de bien calibrer ces aides publiques, qui ont pour caractéristique de concerner un grand nombre de ménages aisés.

Au-delà des enjeux propres à la jeunesse, le maintien d’une démographie dynamique nous contraint à repenser les modalités de multiples politiques publiques.

Permettez-moi de prendre pour exemple la situation dans ma région, l’Île-de-France, la région capitale, cette région parmi les plus riches d’Europe, qui attire beaucoup de Français et d’étrangers pour y construire leur vie professionnelle et familiale, mais aussi terre de contrastes sociaux saisissants où sont concentrées, sans vraiment se côtoyer, de grandes fortunes et une pauvreté parfois aiguë.

Un effort considérable en matière de construction et d’accès aux logements devra être produit en Île-de-France, pour répondre à une demande encore très largement non satisfaite. La question des transports est également centrale en Île-de-France.

Atteindre rapidement les zones d’activité professionnelle et désenclaver les quartiers et les villes isolées nécessiteront des investissements massifs pour répondre à une pression démographique qui a dépassé toutes les capacités de transport imaginées. Il faudra sans doute aller plus loin, s’interroger sur la densité urbaine dans un contexte où l’on sait que l’étalement des villes est source d’une empreinte écologique renforcée.

Malgré une démographie dynamique, la France n’échappera pas à une détérioration du rapport entre actifs et inactifs. Les richesses produites par les actifs seront donc réparties entre un nombre de personnes plus important. Dans notre modèle de protection sociale par répartition, c’est la richesse produite par les actifs qui finance la solidarité envers nos aînés.

Le dernier défi auquel nous sommes confrontés, c’est bien entendu celui du vieillissement de notre population. Je ne ferai qu’évoquer la question du coût des pensions de retraite : selon des projections récentes, les dépenses pour nos pensions devraient passer de 13,4 % du PIB en 2008 à une fourchette se situant entre 14,6 % et presque 16 % du PIB en 2050.

Nous devrons combler dans quelques décennies un besoin de financement de 100 milliards d’euros par an !

La dépendance constitue désormais en France un « cinquième risque », qui s’ajoute aux quatre champs plus classiques couverts par notre système social : la santé, la famille, la retraite et le chômage. Pour autant, le financement de ce cinquième risque est loin d’être assuré. L’État a exigé de certaines collectivités territoriales, les départements, de financer une prestation d’aide sociale sans leur donner les moyens nécessaires. La question méritera dans des délais rapprochés des réponses d’une autre nature et d’une autre ampleur.

La France est donc face à des changements démographiques qui l’obligent non seulement à adapter ses politiques publiques, mais aussi à les repenser.  La solidarité entre générations, le respect de notre environnement, la capacité à créer des richesses, ce sont autant de questions posées par l’évolution de la démographie et qui bien évidemment seront au cœur des débats de l’Assemblée nationale pendant la législature qui vient de s’ouvrir.

M. Claude Bartolone devant le Capitole à Washington
©Ambassade de France aux États-Unis