Forum interparlementaire franco-marocain - Discours de clôture

Clôture du Forum parlementaire franco-marocain
Intervention de Claude Bartolone,
Président de l’Assemblée nationale
(16 avril 2015)

Monsieur le Président de la Chambre des Représentants,
Monsieur le Président de la Chambre des Conseillers,
Madame la Présidente de la Commission des Affaires étrangères,
Madame et Messieurs les présidents des groupes d’amitié des Parlements français et marocains,
Mesdames et Messieurs les Parlementaires,
Monsieur l’Ambassadeur,

Le temps est venu de clore cet atelier, ainsi que les travaux de cette deuxième session du Forum parlementaire France-Maroc, pour poursuivre nos échanges autour d’un dîner.

Nous avons choisi d’axer cette deuxième session autour de deux sujets qui me tiennent à cœur, et qui constituent des défis prioritaires pour nos sociétés.

Je ne reviendrai pas dans le détail sur vos échanges, que ce soit ceux que nous venons d’avoir sur les enjeux environnementaux, ou ceux que vous avez eus ce matin, au Sénat, sur notre coopération face aux défis sécuritaires. Un projet de déclaration conjointe, rédigé par nos quatre Assemblées, est à votre disposition, et si ce projet vous agrée, je propose que nous l’adoption à la fin de cette session.

Dans ces domaines comme dans d’autres, France et Maroc ont destins liés. L’actualité le confirme tous les jours et chacune de nos rencontres nous le rappelle.

S’il est une conclusion que nous devons tirer de cette journée, c’est que la géographie et l’histoire nous imposent de nous concerter et de coopérer toujours davantage, qu’ils nous interdisent de nous éloigner. C’est une évidence, et c’est pourtant contre cet état de fait que des forces malintentionnées s’activent.

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Je voudrais vous faire part de mon sentiment. Un mal profond tente de ronger nos sociétés : celui du repli identitaire, qu’il se fonde ou non sur des discours religieux, avec son pendant dramatique, celui du rejet de l’autre.

Je souhaite donc que les réflexions communes que nous menons ne soient pas uniquement abordées sous l’angle opérationnel ou fonctionnel. Ce n’est pas seulement par utilité immédiate que nous devons mutualiser nos efforts. La réalité est que ce sont des défis de civilisation qui se posent à nos sociétés.

Face à ce malaise qui s’installe, comment réagir et que faire ?

Ma réponse tient en trois mots : unité, autorité, solidarité.

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L’unité.

Pour la préserver, chacun d’entre nous doit d’abord tenir sur ses principes et ses valeurs, car ce sont ces fondamentaux qui forgent la cohésion nationale, en France comme au Maroc.

Tenir ensuite sur notre conviction commune que l’ouverture à l’autre permet de trouver des solutions aux crises que nous traversons, et non l’inverse.

Toute autre posture est illusoire et déconnectée des réalités du monde moderne. C’est l’éloignement qui accroît l’ignorance, c’est dans l’ignorance que naissent et grandissent les préjugés, ce sont ces préjugés qui nourrissent la haine.

Recréer du lien social, c’est donc d’abord assumer sa diversité, et aller à la rencontre de l’autre, plonger dans son histoire et ses traditions, pour se donner toutes les chances de le comprendre, dans son identité profonde et complexe. Nous devons lutter contre ceux qui entretiennent des visions monolithiques de nos cultures, prêchent un « choc » inévitable, et deviennent peu à peu, sur les deux rives de la Méditerranée, de dangereux promoteurs des identités simplistes, et de véritables entrepreneurs de la haine.

Dans nos sociétés multiculturelles, c’est tout simplement un enjeu de cohésion nationale.

Le Maroc fait d’ailleurs partie de ces pays qui assument, et de mieux en mieux, leur diversité culturelle et linguistique. La décision d’inscrire dans la Constitution de 2011 la langue amazighe comme langue officielle, aux côtés de l’arabe, en est la démonstration. C’est une avancée sur laquelle comptent beaucoup de Marocains de culture berbère, y compris parmi les résidents en France.

La langue française y est aussi défendue. Savoir que le Maroc accueille par exemple l’un des réseaux d’enseignement français et de coopération culturelle les plus denses au monde me ravit.

Cela me réjouit d’autant plus que cette place du français dans votre pays n’affecte, bien entendu, ni votre ancrage dans le monde arabe et en Afrique, ni vos affinités naturelles avec l’Espagne, ni même la proximité historique du Maroc avec le continent américain – je rappelle que le premier traité international signé par les États-Unis en tant qu’État indépendant l’a été avec le Maroc, dès 1777 !

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L’autorité ensuite.

Tenir sur ses valeurs n’est rien sans garantir leur respect. La France tiendra sur la laïcité, car c’est le fondement de la liberté de tous.

La France tiendra tout aussi fermement sur la lutte contre les actes de haine à l’égard de toutes les religions, et, plus globalement, contre toutes les composantes de sa société.

Je veux profiter de cet instant pour vous dire que je prends la mesure des interrogations et des inquiétudes qui sont les vôtres, chers amis, face à la multiplication depuis janvier dernier des violences commises contre les musulmans, dont de nombreux Marocains et Franco-marocains, et contre leurs lieux de culte.

Sachez que l’Assemblée nationale est mobilisée pour que soient prévenues et réprimées ces violences intolérables, physiques comme verbales, comme elle restera mobilisée contre celles qui s’abattent aussi, de plus en plus fréquemment, sur nos concitoyens de confession juive.

Le Maroc, qui abrite une communauté juive encore importante, bien qu’elle ait connu un déclin regrettable, sait que la richesse de son histoire doit beaucoup à ce vivre-ensemble.

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Enfin, la solidarité. La solidarité entre citoyens, la solidarité à l’égard du reste du monde.

Aujourd’hui, nous avons réfléchi à renforcer nos outils pour assurer conjointement la sécurité et le développement durables de nos deux pays. Cela aura des répercussions très concrètes sur la façon dont nous penserons nos dispositifs législatifs dans les prochains mois et les prochaines années. C’est un exemple concret de solidarité active.

Demain, c’est-à-dire en 2017, je souhaiterais que nous mettions l’accent sur d’autres liens de solidarité : l’échange humain et la coopération culturelle et éducative. Les deux vont de pair : il ne peut y avoir d’échange sans mobilité des hommes. Je veux que nous étudiions précisément et de façon objective l’état de nos législations et leurs conséquences, en particulier économiques, sur nos sociétés.

Je souhaiterais qu’ensemble nous les adaptions aux réalités de nos besoins : je n’ai nul doute sur le fait que renforcer la mobilité des hommes sera bénéfique à nos deux pays.

Sur le plan culturel, je forme un vœu pour la France. Je veux plaider pour des échanges plus intenses et, dans les écoles et les universités, pour un meilleur enseignement de la langue arabe, de l’histoire du monde arabe, et de l’histoire de la France avec le monde arabe.

Nous devons renouer avec cette tradition française – car c’est bien une tradition française – qui consiste à regarder avec fraternité et dans un esprit d’égalité la rive sud de la Méditerranée. Sans reproduire certaines des naïvetés orientalistes, il nous faut renouer avec l’intérêt et la fascination d’un Delacroix, renouer avec l’importante tradition d’islamologie française – à laquelle sont rattachées de grands noms, qui ont d’ailleurs découvert leur passion ou trouvé leur inspiration au Maroc : je pense notamment à Louis Massignon et Jacques Berque.

Il existe aujourd’hui dans le monde académique français des spécialistes reconnus, mobilisés au quotidien pour améliorer cette connaissance en France. Donnons-leur les moyens de raviver la flamme franco-arabe.

Malgré les périodes de repli qui ont jalonné l’histoire de nos deux pays, ils ont le plus souvent exigé d’eux-mêmes ouverture et tolérance et ont contribué au rayonnement scientifique et culturel de la Méditerranée orientale et à la promotion du dialogue interculturel. C’est une communauté de destin qui là aussi nous lie, c’est une mission commune pour laquelle nous devons rester engagés.

Je vous remercie.