Installation de la commission de réflexion et de propositions ad hoc sur le droit et les libertés à l’âge numérique

Installation de la commission de réflexion et de propositions ad hoc sur le droit et les libertés à l’âge numérique

Monsieur le Président de la commission des affaires culturelles et de l'éducation, cher Patrick Bloche,
Madame la Présidente de la commission de réflexion, chère Christiane Féral-Schuhl,
Monsieur le Président de la commission de réflexion, cher Christian Paul,
Mesdames et messieurs les députés, chers collègues,
Mesdames et messieurs les personnalités qualifiées,
Monsieur le président de l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes,
Mesdames, Messieurs,
L’Assemblée nationale vit aujourd’hui une journée un peu particulière, qui marque à maints égards, son entrée dans l’ère du numérique.

Voilà pourtant déjà plus de vingt ans que le numérique a fait son entrée dans nos vies. Voilà plus de vingt ans qu’il s’est introduit dans nos entreprises, dans nos institutions, dans nos familles. 

A travers l’écran de nos ordinateurs, ou de nos téléphones. A travers une multitude d’objets, dotés d’une puce ou de capteurs.

Un immense réseau - constitué de 15 milliards d’objets connectés à travers le monde - qui a bouleversé notre vie.

Qui a bouleversé la vie quotidienne des Françaises et des Français. 9 personnes sur 10 possèdent dans notre pays un téléphone portable. 8 foyers sur 10 disposent d’un ordinateur et d’un accès à Internet. Un quart des foyers détiennent une tablette tactile.
Mais le numérique ne se résume ni à l’informatique, ni à Internet, ni même aux prouesses de la technique.

Le numérique n’est pas un secteur de l’économie.

Le numérique est une révolution industrielle, économique, sociale, et démocratique. Il interroge les cadres juridiques et institutionnels existants.

Il créée un nouveau monde où les coûts de la technologie ne  cessent de baisser, où les échanges de données ne cessent de croître, où la vitesse des réseaux ne cessent de s’accélérer.
Un monde, où le soleil de l’innovation ne se couche jamais.

Un monde, où la valeur ne se crée plus simplement dans la rencontre du capital et du travail, mais aussi dans l’interaction et dans l’échange entre les individus.

Une valeur et une puissance que chaque entreprise, chaque institution, doit être capable de savoir utiliser et faire vivre.
Notre Assemblée n’échappe pas à cette règle. Comme toute institution, elle doit aujourd’hui faire face à cette révolution.

La réunion d’aujourd’hui est la preuve que l’Assemblée nationale n’esquivera pas le débat.

Elle ne l’a d’ailleurs jamais fait. 

Faut-il rappeler que c’est ici que fut voté en 1978, l’un des premiers textes au monde permettant d’encadrer l'usage des données à caractère personnel ?

Faut-il rappeler le travail réalisé par chacune et chacun des députés ici présents, qui se sont depuis longtemps investis sur cette question ?
Mais, je le répète, cette journée est une journée  particulière. Car cette commission n’a pas de précédent.

Elle n’a pas de précédent, au regard de sa composition, de ses objectifs, de ses méthodes.

Ainsi, pour la première fois, des débats publics en ligne vont être organisés sur des thématiques précises. Et viendront alimenter en continu le travail de la commission.

De telle sorte que cette dernière s’inscrira, elle-même, dans un environnement numérique.

S’agissant de sa composition, la commission est triplement paritaire. Elle est composée d’hommes et de femmes, de la majorité comme de l’opposition. Mais aussi de personnalités qualifiées.

C’est une première dans l’histoire de notre Assemblée.

Si une telle composition m’a semblé envisageable, c’est parce qu’il s’agit, ici,  ni de légiférer, ni de contrôler l’action du gouvernement - deux fonctions qui appartiennent, en vertu de la

Constitution, aux seuls  représentants de la Nation.

Il s’agit, ici,  de prendre du recul et d’éclairer le débat.

De nous écarter de la toile, sur laquelle nous appliquons chaque jour des coups de pinceaux, pour mieux saisir les perspectives du tableau.

C’est dans ce cadre qu’une parité entre députés et personnalités qualifiées, prend tout son sens.

Voilà pourquoi je remercie chacune de ces personnalités, d’avoir répondu favorablement à notre invitation.

Vous, magistrat, avocats, universitaires, intellectuels, journaliste, acteurs de la société civile et par-dessus tout acteurs de la société numérique. Vous qui représentez des domaines d’expertise et  des sensibilités si variées.

Je remercie tout particulièrement Mme Christiane FÉRAL-SCHUHL pour avoir accepté d’assumer la coprésidence de cette commission, aux côtés de Christian PAUL.

Nous connaissons tous ici, cher Maitre, la qualité de votre expertise en matière de droit du numérique, ou de « cyberdroit », pour reprendre le terme de l’un de vos ouvrages.

Je remercie également Christian PAUL et le président du groupe SRC de l’Assemblée nationale, Bruno LEROUX, qui m’ont proposé la création de cette commission.

Je dois dire que si j’ai privilégié cette proposition plutôt qu’une autre, c’est parce qu’elle répond à deux de mes principales préoccupations.

D’abord, faire en sorte que l’Assemblée nationale soit le lieu où l’on débat de l’avenir de notre pays. 

J’ai eu l’occasion de le dire à de nombreuses reprises : je regrette que se soit développée, sous la Vème République,  cette pratique qui consiste pour l’exécutif à créer des comités, plutôt que de saisir le Parlement.

Inviter des personnalités qualifiées et des députés à réfléchir ensemble, ici, à l’Assemblée nationale, sous le regard des citoyens, peut-être selon moi une manière de lutter contre cette dérive, et de remettre notre démocratie à l’endroit.

Mais si j’ai décidé de soutenir et de promouvoir ce projet, c’est aussi et surtout parce que la question « du droit et des libertés à l’âge numérique » est une question à la fois transversale et essentielle.

Oui transversale, car elle se pose à l’occasion d’un grand nombre de projets de loi.

Bien souvent au détour d’un article. Il suffit de penser aux récents débats sur la loi de programmation militaire ou la loi relative à la consommation...

Il est donc essentiel de définir une démarche globale, afin d’éviter que nos lois ne deviennent contradictoires ou incohérentes.
Assurer une cohérence d’ensemble, définir une approche commune,  bâtir une doctrine et des principes durables en matière de protection des droits et libertés, telle est la mission qui vous est aujourd’hui confiée.

Cette mission est essentielle car la question « du droit et des libertés à l’âge numérique » est essentielle.

On ne le dit pas assez souvent, mais Internet, avant d’être un espace de dangers…  est une terre de liberté.

Elle démultiplie et amplifie les libertés dont dispose chaque citoyen : la liberté d’expression, la liberté de participation, le droit à l’information…

N’oublions pas le rôle extraordinaire joué par Internet et les réseaux sociaux dans le printemps arabe.

Mais…n’oublions pas non plus, que ces mêmes technologies ont pu parfois être mises au service de dictatures…

C’est tout le paradoxe. Le numérique est un monde qui permet  la mise en place d’un système d’espionnage généralisé. Mais aussi celui qui permet de révéler l’existence d’un tel système… et de le faire tomber.

Oui, Internet est bien une terre de liberté… et de dangers.

Sur cette terre, les données personnelles sont devenues un trésor pour lequel on se bat. Des données sont amassées et stockées dans des centres dédiés à cet effet. Une nouvelle économie nait de l’extraction, de l’exploitation et de l’analyse de ces informations.

Des données massives sont analysées de manière quasiment illimitée, révélant des liens de causalité jusqu’ici insoupçonnés, permettant de lire le monde et d’anticiper certaines de ses évolutions.  Une évolution qui pourrait révolutionner, par exemple, notre système de santé, et plus largement, des pans entiers de notre société.
Ces données, dont nous parlons,  sont en vérité autant de traces de l’activité humaine. Autant de petites pierres que nous laissons derrière nous, tel le petit Poucet, telle la petite « Poucette », pour reprendre une expression chère à Michel Serres.

Des petites pierres qui contiennent, bien souvent,  des pans entiers de notre vie privée. Une vie privée dont les frontières, avec la vie publique, ne cessent de se brouiller.

***

Face à cette révolution, deux grandes thématiques devront être abordées par votre commission : d’une part, la protection de la vie privée et des données à caractère personnel  et, d’autre part, l’exercice des libertés à l’âge numérique.

Il va de soi que ces thèmes ne bornent pas votre champ d’investigation. C’est à vous et à vous seuls qu’il appartient de fixer votre programme de travail.

Votre Commission pourrait ainsi s’interroger sur les moyens qui permettent l’exercice réel de ces libertés. Et cela d’autant plus, que l’illettrisme numérique pourrait être, demain, un facteur majeur d’inégalité. 

***

Mesdames et Messieurs, vous rendrez vos conclusions au printemps 2015. D’ici là, je sais que la représentation nationale peut compter sur votre engagement et votre indépendance d’esprit.

Pour le reste, si cette journée marque l’entrée de notre Assemblée dans l’ère du numérique, elle n’est qu’un début…

Je reviendrai sur ce sujet à l’occasion de la prochaine rentrée parlementaire.

Je vous promets des annonces importantes.
Pour le reste, je vous prie de bien vouloir m’excuser, car je dois vous quitter pour rejoindre le Premier ministre.

Heureusement nos débats étant filmés et conservés, j’aurais la chance de pouvoir visionner vos interventions ce week-end, et ainsi de ne rien rater de vos échanges. C’est aussi cela… la magie du numérique !      

Je vous remercie.