La chaîne alimentaire : faut-il changer le contenu de nos assiettes ? - dixième débat du cycle des Mardis de l’Avenir

Les Mardis de l’Avenir
La chaîne alimentaire : faut-il changer le contenu de nos assiettes ?

Monsieur le Ministre de l’Agriculture, de l’Agroalimentaire et de la Forêt, cher Stéphane,
Mesdames et Messieurs les députés,
Madame la Vice-Présidente du Conseil régional d’Ile-de-France chargée de l’environnement, de l’agriculture et de l’énergie, chère Corinne,
Monsieur le Président-Directeur Général du groupe Carrefour,
Mesdames et Messieurs les représentants des agriculteurs,
Mesdames et Messieurs les représentants des associations,
Mesdames et Messieurs,

Je suis très heureux de vous accueillir ce soir à l’Hôtel de Lassay pour aborder ce sujet si crucial pour notre pays, celui de notre système alimentaire, le secteur économique le plus ancien de l’humanité.

Afin de donner une vision globale des enjeux, nous allons aborder dans le débat de ce soir toute la chaîne alimentaire, de la « fourche à la fourchette » si j’ose dire.

Pourquoi avoir choisi ce thème et dans son aspect le plus complet ? Parce que, comme je le dis souvent, notre société a tendance à trop fonctionner en silo. Tant que la pensée unique considérera que l’écologie est un domaine à part, nous ne pourrons pas réussir collectivement et globalement la transition écologique. L’écologie doit irriguer l’ensemble des politiques publiques. Tous les ministres doivent être ministre de l’écologie.

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La chaîne alimentaire dans son ensemble est un pilier de la transition écologique. Je tiens à ce titre à saluer le ministre Stéphane Le Foll pour son engagement en faveur de la réorientation du secteur agricole vers un modèle plus durable, par la promotion de l’agroécologie, ce qui s’est traduit par la loi dont nous avons débattu cette année à l’Assemblée nationale, et qui est désormais promulguée.

Je tiens également à remercier Germinal Peiro, rapporteur de la loi, qui est avec nous ce soir, pour le travail accompli.

Notre système alimentaire n’est pas assez juste. L’alimentation est un grand révélateur des inégalités sociales. L’accès à des produits de qualité ne doit pas être l’apanage de quelques privilégiés qui ont les moyens de se les acheter.

De l’autre côté et à l’origine de la chaîne, il n’est pas normal aujourd’hui que certains producteurs français ne puissent pas vivre du fruit de leur travail. Il n’est pas normal non plus qu’ils soient pénalisés au profit de producteurs étrangers qui ne respecteraient pas les mêmes normes environnementales et sociales. Les agriculteurs ont une place primordiale en termes d’aménagement du territoire et de préservation du vivant.

Nous parlerons ce soir de tous les acteurs qui nous nourrissent. Chacun doit trouver sa place dans notre système alimentaire.

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La chaîne alimentaire est intimement liée au climat et à la biodiversité, et elle en dépend ! Agir sur elle est donc un formidable levier pour préserver l’environnement. Commençons par la production agricole.

Alors que le secteur agricole est responsable de 21 % des émissions de gaz à effet de serre en France, il les a réduites de manière considérable ces dernières années. Je veux citer des chiffres sur l’élevage herbivore en France, responsable de 8 % des émissions totales de gaz à effet de serre, mais qui depuis dix ans les a diminuées de 10 %. Nous devons continuer sur cette voie, et accompagner nos producteurs dans la mutation écologique de leur activité, sans nuire à leur compétitivité.

Dans le même temps, le dérèglement climatique est une menace pour la production agricole. La Banque Mondiale prévenait dans un rapport publié il y a quelques jours, à un an de la COP21, que le réchauffement climatique risque d’aggraver considérablement la pauvreté sur le globe en asséchant les récoltes agricoles et en menaçant la sécurité alimentaire de millions de personnes. Nous devons anticiper et atténuer les impacts du changement climatique sur notre agriculture.

C’est pourquoi, avec un objectif de triple performance économique, environnementale et sociale dans ses fondements, l’agroécologie est l’avenir de notre modèle agricole.

Mais la réduction de l’empreinte écologique doit se faire tout au long de la chaîne alimentaire. Il faut se rappeler que plus un produit est transformé, emballé, conservé et transporté, plus il est consommateur d’énergie et émetteur de gaz à effet de serre. Pourquoi importer des produits de l’autre bout de la planète alors que nous savons les produire chez nous ?

Prenons l’exemple du soja dans l’alimentation animale.

La France est le deuxième importateur direct de soja au monde et l’importe notamment d’Amérique du Sud et du Brésil où ses cultures sont une cause de déforestation de l’Amazonie, pourtant puits de carbone. Donc nous émettons beaucoup de gaz à effet de serre pour un produit, le soja, qui pousse chez nous, en France et en Europe. Nous devons favoriser les circuits courts, l’agriculture biologique, les aliments produits localement et de saison.

En outre, je tiens à insister sur la consommation responsable et l’importance d’un repas équilibré. Cela veut aussi dire réduire notre gaspillage. Car nous ne pouvons pas justifier le gaspillage alimentaire lorsque 850 millions d’individus souffrent de faim chaque jour dans le monde.

A l’échelle mondiale, la nourriture non consommée correspond au troisième pays le plus émetteur de gaz à effet de serre, derrière les États-Unis et la Chine. Je tiens à cette occasion à saluer Guillaume Garot pour sa mission sur le gaspillage alimentaire.

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Une alimentation durable, ce sont aussi des filières agricoles et industrielles durables sur le plan économique, et compétitives.
 
Je reconnais les difficultés des producteurs et des entreprises françaises dans un monde financiarisé, excessivement dérégulé.

Je me félicite de l’engagement de la France en faveur de la préservation de notre modèle agricole dans les négociations avec les États -Unis sur le traité de libre-échange transatlantique.

Il est essentiel pour la santé publique, pour la préservation de l’environnement mais aussi pour la compétitivité des entreprises françaises et européennes que nous soyons intransigeants sur la qualité des produits échangés. La France est reconnue mondialement pour la qualité de ses produits et il faut la protéger, ce qui revient à protéger nos agriculteurs, nos transformateurs, nos distributeurs et nos consommateurs.

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L’avenir de notre système alimentaire se fonde sur des projets territorialisés. Nos territoires sont riches en ressources, qu’elles soient humaines ou naturelles, et nous devons leur donner les moyens de prospérer. Ceci implique de préserver la ruralité, de favoriser la coopération entre zones rurales et urbaines, et de ne pas les opposer. Il s’agit de créer des écosystèmes d’économie de proximité, fondés sur la coopération territoriale. 

La production et la distribution de produits alimentaires forgent un lien fondamental entre les individus. En retrouvant notre lien avec la nature à travers la chaîne alimentaire, nous créons du lien entre les hommes. De nombreuses initiatives démontrent que nos concitoyens sont prêts pour rétablir un lien plus fort entre producteurs, distributeurs et consommateurs.

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Ce qui m’intéresse, c’est une vision d’ensemble de notre système alimentaire et de la préservation de l’environnement.  Il n’y a pas d’opposition entre agriculture et écologie car d’une part, les solutions pour réduire l’empreinte écologique existent et d’autre part, l’agriculture saine et durable est nécessaire pour préserver l’environnement.

Ne pas l’anticiper aujourd’hui revient à se condamner demain à de graves problèmes alimentaires. Nous ne pouvons pas renflouer la terre comme nous avons renfloué les banques en 2008.

Couplé avec la hausse de la population mondiale à 10 milliards d’habitants d’ici 2050, le changement climatique pourrait fortement exacerber l’insécurité alimentaire. Les États sont en pleines négociations internationales sur le climat aujourd’hui à Lima, dernière grande échéance avant la COP21 que nous présiderons.

C’est à nous, en France, et dans nos territoires, d’être exemplaires et de mener la transition écologique de notre modèle alimentaire. Elle ne consiste pas à verdir notre modèle actuel mais à construire un nouveau modèle qui repose sur le « mieux vivre ensemble » et sur le « mieux consommer ». Comment faire ? Nous allons en discuter ce soir.

Sans plus attendre, je passe la parole à Amandine Bégot qui anime nos débats. Je vous remercie.