Les nouveaux indicateurs de développement - douzième débat du cycle des Mardis de l’Avenir

Les Mardis de l’Avenir
Les nouveaux indicateurs de développement

Mardi 3 mars 215

Monsieur le ministre, cher Christian,
Monsieur le ministre et député fédéral de Belgique, Jean-Marc NOLLET,
Mesdames et Messieurs les députés,
Mesdames et Messieurs les élus,
Mesdames et Messieurs les Professeurs,
Mesdames et Messieurs,
Chers amis,

Nous voici réunis pour une nouvelle édition des Mardis de l’Avenir, ce soir consacrée aux nouveaux indicateurs de développement et de richesse. J’ai souhaité que nous traitions de leur place éminemment importante et nécessaire dans la transition écologique. L’adoption de nouveaux instruments de mesure est une condition sine qua non à l’engagement réel, total et universel de notre société dans la transition écologique, et à sa réussite. Je pars d’un constat simple : Si l’on ne change pas notre système d’évaluation et de « notation », comment voulez-vous que nous changions nos comportements et nos politiques ?

Si l’on ne mesure pas ce qui compte et tout ce qui compte vraiment, comment changer notre modèle de développement ?

Le débat d’aujourd’hui s’inscrit dans une séquence où les nouveaux indicateurs de développement sont au cœur de l’actualité, notamment pour la Représentation nationale.

Je pense bien sûr à l’adoption en première lecture par l’Assemblée nationale le 29 janvier dernier de la proposition de loi visant à la prise en compte des nouveaux indicateurs de richesse dans la définition des politiques publiques. La députée Eva SAS, qui en est à l’origine et qui en était la rapporteure, est à nos côtés ce soir pour débattre et je l’en remercie.

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Aujourd’hui, l’indicateur prédominant est le Produit Intérieur Brut, le fameux PIB. Il est au cœur des préoccupations politiques et médiatiques. C’est l’instrument de mesure hégémonique de notre comptabilité nationale et le guide suprême de l’évaluation de nos politiques publiques. Sa croissance est le « Graal » de l’action de tout Gouvernement.

Mais le PIB ne suffit plus à mesurer la croissance soutenable et le bien-être d’un pays.

Il ne permet plus de garantir le progrès d’une société et son développement durable. En particulier, il ne dit rien sur l’accroissement des inégalités sociales, sur les inégalités d’accès à l’éducation et à la santé, sur la dégradation environnementale, qu’il s’agisse de perte de biodiversité, d’empreinte écologique ou d’épuisement des ressources naturelles, ou plus simplement sur le temps de loisir ou la qualité de vie. Le PIB n’a pas non plus permis de prédire la crise de 2008, ni sa violence, car il cache la dimension spéculative que peut présenter la croissance et occulte l’insoutenable trajectoire de notre économie.

Je veux citer quelques chiffres et quelques exemples.

-    Les économistes de l’OCDE ont montré que la courbe des inégalités de revenus est en forme de U depuis le début du XIXème siècle : elles ont d’abord baissé avant de remonter dans les années 1970-1980. Et le résultat questionne : en 2000, on se retrouve au même niveau qu’en 1820 en termes d’inégalités de revenu dans les pays !

-    Le deuxième exemple, tout aussi frappant, vient des États-Unis, première puissance économique mondiale à l’aune du PIB. Pendant les 25 années qui ont précédé la crise des subprimes, le PIB par habitant a augmenté, conférant une image de réussite à ce pays.

Mais si l’on avait regardé le revenu médian, on aurait remarqué qu’il diminuait pour atteindre son plus bas niveau depuis plus de 25 ans en 2009. Il n’y a pas eu d’augmentation du niveau de vie pendant ces 25 ans, mais bien un accroissement des inégalités de revenus. C’est l’exemple qu’a choisi Joseph Stiglitz lors de sa venue à l’Assemblée nationale en janvier dernier pour décrire les insuffisances du PIB.  

Le PIB correspond à un choix dans une société donnée : celle de l’après-guerre, celle d’une humanité qui a besoin de rebâtir et de se reconstruire. Historiquement, le PIB a eu tout son sens comme indicateur phare. Mais la société de 2015 n’est pas celle de 1945. Nous traversons plusieurs crises : économique, sociale, environnementale et même démocratique. Comment un chiffre pourrait-il suffire à tout compter et à tout révéler ? C’est aujourd’hui un instrument de mesure limité et incomplet... il est devenu un indicateur imparfait.

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Une fois dressé ce constat, que fait-on ? Des indicateurs alternatifs et complémentaires existent déjà, et ne sont pas si nouveaux que cela d’ailleurs.

La France a été pionnière en 2008 avec la création de la Commission STIGLITZ, pour répondre aux interrogations croissantes sur la pertinence du PIB comme indicateur de performance économique et mesure du bien-être social et du développement durable. Toutefois, au plus haut niveau de l’État, force est de constater que la publication du rapport de cette commission a eu plus de résonance à l’étranger. L’Australie, l’Allemagne, le Royaume-Uni ou la Belgique, dont nous aurons un témoignage direct, se sont saisis du sujet. Nous verrons ce soir grâce à l’Institut du Développement durable et des relations internationales, qui a analysé ses expériences étrangères, quels indicateurs ont été choisis, et quels usages en sont faits.

Néanmoins, comme très souvent en matière de développement durable et de transition écologique, les collectivités territoriales n’ont pas attendu que les Gouvernements inscrivent le sujet des nouveaux indicateurs de richesse à leur agenda pour agir. Elles ne sont pas restées à patienter devant les blocages politiques et les barrières institutionnelles. Il existe en France des initiatives locales, et notamment celle du conseil régional du Nord – Pas-de-Calais, dont des représentants sont à nos côtés – je les en remercie.

Au niveau national, des indicateurs de développement durable sont toutefois publiés chaque année par Bercy, au moment du dépôt du projet de loi de finances. Mais ils sont cachés dans une annexe du rapport économique, social et financier de la nation, lui-même joint au projet de loi de finances. Peu de monde y prête attention. Ils n’alimentent aucun débat. Et ils ne sont pas exploités, ni pour évaluer les orientations budgétaires présentées, ni pour réorienter les objectifs de notre activité.

Alors, au vu de tout ce qui existe déjà, de nombreux questionnements restent en suspens : Quels indicateurs utiliser ? Combien ? Comment les construire ? Comment les choisir ? Pour quelle utilisation ? Comment s’assurer qu’ils seront adoptés par les politiques et la société civile, le grand public et les médias ? Quels sont les freins ? Quelle articulation trouver entre les initiatives régionales, nationales et internationales ? Telles sont les grandes questions que nous nous poserons ce soir.

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S’il n’y a pas de réponses toutes faites et simples, je veux quand même vous livrer quelques-unes de mes convictions :

-    Comme je l’ai dit il y a quelques instants, nous traversons une crise aux nombreux visages : économique, sociale et environnementale.

De même, le développement durable s’appuie sur ces trois piliers. Face aux problèmes complexes de notre société, un chiffre ne peut suffire : il faut plusieurs mesures pour les appréhender et les résoudre.

-    Les difficultés statistiques et le décalage temporel dans l’obtention des données sont souvent mis en avant pour justifier les retards, voire l’impossibilité de l’adoption de ces nouveaux indicateurs de développement. C’est un faux problème. Si la demande est là, l’offre suivra. Rappelons aussi que le PIB repose sur un certain nombre d’hypothèses, et comprend une part d’arbitraire. Or, cela ne l’a pas empêché de s’imposer.

-    Leur élaboration se doit d’être un processus démocratique et participatif. Voici encore un sujet sur lequel la transition écologique œuvre en faveur du nécessaire renouveau démocratique. L’implication citoyenne est nécessaire, car le choix de ces instruments de mesure reflète l’adoption d’un projet de société et d’un modèle de vie. La participation du public permettra de donner de la légitimité à ces nouvelles balises, mais surtout de garantir leur appropriation et leur utilisation par la société civile. Le politique ne pourra ainsi plus les ignorer et se devra de les exploiter.

-    Enfin, la sélection des nouveaux indicateurs est une démarche éminemment politique, puisque ces derniers servent à piloter des politiques publiques.

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Ce que l’on mesure guide ce que l’on fait. Il ne faut pas avoir peur de ce que ces indicateurs alternatifs peuvent montrer. Il faut une forte volonté politique pour changer la boussole de notre économie. En cette année où le climat est cause nationale et où la France préside la COP21, nous devons montrer que l’économie mondiale est prête à faire sa révolution en adoptant d’autres balises.  

Je finirai par où j’ai commencé : si nous avions adopté un nouveau modèle de développement soutenable, nous exploiterions déjà d’autres indicateurs. Les nouveaux indicateurs de richesse sont les leviers de la transition écologique. Ils sont primordiaux pour mettre en cohérence toutes nos politiques et garantir que l’enjeu économique ne vienne sacrifier ni l’enjeu social, ni l’enjeu environnemental.

Lutter contre les conservatismes, ce n’est pas seulement réformer l’économie, mais c’est aussi en changer les instruments de mesure quand ils sont dépassés. Je vous remercie.