Matinale de l’économie

Matinale de l’économie
Jeudi 15 mai

Mesdames et Messieurs les députés, mes chers collègues,
Mesdames et Messieurs les journalistes,
Mesdames, Messieurs,

Bienvenue à l’Assemblée nationale pour parler d’économie.

Le 26 septembre 1786, les ministres des affaires étrangères de George III et de Louis XVI signaient un accord commercial, un accord de libre-échange entre la France et la Grande-Bretagne qui fit date. Les débuts de la révolution industrielle purent alors se diffuser plus aisément entre nos deux pays en favorisant la mécanisation, la division du travail, la rationalisation des unités de production. La production de masse s’annonçait. Les élites, les économistes, les personnalités politiques, au cœur de Lumières, se félicitaient de ces sages et responsables dispositions qui donnèrent un coup d’innovation et de modernité à nos économies.

Ils incitèrent les structures corporatistes existantes à se réformer pour faire face aux nouveaux impératifs de la compétitivité de cette première mondialisation naissante. Quelques mois plus tard, le 27 avril 1789, les ouvriers du faubourg Saint-Antoine prirent d’assaut violemment la fabrique de papiers peints Réveillon. Les machines anglaises condamnaient au chômage ces premiers nostalgiques du made in France. Les mêmes prirent la Bastille trois mois plus tard.

Les négociations actuelles entre l’Europe et les États-Unis relatives à l’accord de libre-échange pour un Grand Marché Transatlantique m’évoquent ce moment de notre Histoire. Qui avait tort ? Les élites économistes voulaient moderniser leur pays, bien sûr, ils avaient raison. Les ouvriers, en détruisant les machines, avaient-ils tort alors ? Mais la souffrance n’est-elle pas un absolu ? Et la démocratie moderne, les objectifs d’égalité, de liberté, ne sont-ils pas nés dans les rues de Paris en 1789 pour conquérir ensuite le monde ? Il n’y a pas de vérité dans cette Histoire, personne n’avait tort.

La conciliation de la croissance future et de la souffrance présente, objet de nos veilles, est chose compliquée. Il faut consulter, il faut réfléchir, il faut, c’est vrai, ensuite, décider.

C’est pourquoi nous avions eu le plaisir, le 21 février 2013, en partenariat avec JECO, d’organiser la 1ère Matinée de l’économie à l’hôtel de Lassay, autour de deux tables rondes, dont les sujets étaient  « Quel avenir et quels leviers pour notre industrie ? » et « Comment construire la croissance en France ? ». Les députés étaient confrontés à des économistes, des experts et des acteurs économiques pour y voir plus clair sur ces questions fondamentales. Le succès fut au rendez-vous, avec 400 personnes qui ont honoré de leur présence ce grand moment d’échanges.

Aujourd’hui, 15 mai, nous organisons donc une deuxième édition. Après le modèle de croissance, voici le modèle social ! En effet, l’âpreté de la mondialisation, la cruauté des concurrences pures et parfaites, les nécessités d’une réduction drastique de nos endettements publics, conduisent à poser avec fermeté les limites d’un périmètre que nous voulons voir demeurer à l’action publique.

C’est, en d’autres termes, nous interroger sur les moyens et les méthodes pour sauver et pérenniser notre modèle social.

D’où les sujets des tables rondes de ce deuxième événement.

La première sur « Réduire la dépense publique sans freiner la croissance », une deuxième sur « Quel avenir pour l’Etat providence ».

Les invités sont à la hauteur de l’importance de ces questions et ne tremblent pas, je suis sûr, devant la difficulté de leur tâche ! Je salue ici Patrick Artus, qu’on ne présente plus et Selma Mahfouz (Commissaire adjoint à la stratégie et à la prospective) ; Jean-Claude Mailly, Secrétaire général de Force Ouvrière, Yann Algan, Professeur d'économie à Sciences Po, François Bourguignon, Directeur d'études à l’EHESS et Raymond Soubie, Président de sociétés. Nous avons tenu à ce que des députés de tous les bancs confrontent leurs certitudes, leurs doutes et leurs expériences à de telles personnalités. Ce sera le rôle de mes collègues Valérie Rabault, toute nouvelle rapporteure générale du budget à l'Assemblée nationale, et Henri Guaino, à qui je souhaite bonne chance !

Un grand merci enfin aux journalistes qui ont bien voulu prendre de leur précieux temps pour modérer, animer et orienter les débats qui promettent d’être vifs et passionnés.
 
Cette manifestation est très importante pour l’engagement de la représentation nationale dans le compromis que l’actuelle majorité cherche à trouver entre croissance et dépenses, entre sauvetage du modèle social et désendettement. C’est le défi de cette majorité, mais c’est le défi de tout le monde, de nos grands pays engagés dans cette bataille du nouveau monde.

Elle est importante car elle révèle un dialogue nécessaire pour trouver des solutions, elle nous engage à nous poser la question du sauvetage de notre modèle social, et, enfin, elle nous incite à suspendre quelques instants le fil du temps pour que l’on réfléchisse, que l’on se demande si un discours social est encore possible, et vous imaginez que la réponse est oui, que ce oui, c’est vers l’Europe qu’il regarde, et c’est l’Europe qu’il veut changer .

La nécessité du dialogue tout d’abord

On a dit, souvent, que les personnalités politiques n’écoutaient pas assez les économistes. On a dit, et on le dit encore malgré l’éclatant démenti des faits, que les femmes et hommes politiques de gauche, ou du camp progressiste, manquaient de formation économique, n’étaient pas assez contraints par l’évidence du réel que seule l’étude de l’économie permettrait.

Bien sûr, je crois cette impression fausse. Je la crois fausse car je suis convaincu que les hommes politiques non seulement font beaucoup d’économie, étudient sérieusement et rigoureusement l’économie, mais je crois qu’ils aiment l’économie. Je la crois fausse parce que je n’oppose jamais le réel à l’idéal. Aimer les idéaux, c’est aimer le réel. Aimer les idéaux, ce n’est pas ignorer les mécanismes de fonctionnement d’une société, ignorer l’ingénierie productive d’une économie, ignorer les rapports de force, les conséquences des phénomènes de rareté, les contraintes qui pèsent sur les décisions politiques. Pas du tout ! Aimer les idéaux, c’est prendre une société et ne pas se satisfaire de voir des mécanismes produire des souffrances et des injustices. L’économie s’étudie, beaucoup, longtemps. Mais, et c’est cela qui fonde notre action, nos veilles et nos sueurs, l’économie se corrige, l’économie s’améliore ! La politique prime et primera toujours car la politique organise les méthodes de choix collectifs puis les applique. Elle structure le champ des possibles et change la vie.

Tout cela pour dire quoi ? Tout cela pour dire que l’économie sans la politique opprime. Pour dire que la politique sans l’économie égare.

Que seuls les rapports entre économie et politique peuvent éclairer un chemin et réunir les conditions d’un choix apaisé et informé. C’est pourquoi je me réjouis de vous voir ici tous rassemblés.

Sauver notre modèle social. C’est en effet l’objectif de la politique économique du gouvernement

Sauver notre modèle social, c’est un souhait, c’est une nécessité, c’est une urgence. Pour paraphraser le général de Gaulle, on se fait tous une certaine idée de la France. Franchement, les yeux dans les yeux, voyez-vous cette certaine idée compatible avec le démantèlement de notre modèle social ? Croyez-vous que les facteurs de résistance à la crise que l’économie française révèle depuis 2008 ne sont pas directement liés à notre modèle social ? Les entreprises internationales qui s’installent en France cherchent des transports de qualité et accessibles, des écoles pour leurs employés, des cinémas, des théâtres, une vie culturelle. Elles associent la France à quelques idées simples. Et pour les résidents, qu’auraient été les conséquences de la crise en l’absence des prestations sociales, des aides au logement, des aides à la construction, des assurances chômage ?

Comment aurait évolué la cohésion sociale si l’État ne s’occupait pas de préserver un jeune ou un sénior qui tombe au chômage de la faim, du froid et de l’isolement ?

Qu’aurait concrètement été la réaction de l’économie sans les aides aux entreprises, les réductions de cotisations pour relancer l’activité ? Je sais, une frange de plus en plus importante des acteurs politiques et économiques modernes ont une tendance aussi facile que paresseuse à confondre souffrance et assistance. Après trente ans de réflexion, d’observation, de dialogue avec les forces économiques sur ce sujet, je vous assure que l’ingénierie économique d’incitation de retour à l’activité existe, et que si l’État ne s’occupe pas de quelqu’un qui ne peut plus manger, qui ne peut plus se chauffer, qui ne peut plus tisser de liens avec ses semblables, alors c’est l’État qui n’est pas responsable et c’est nous tous qui sommes condamnables.

Un homme qui a faim n’est ni un assisté ni un condamné, ni une case économique. C’est un homme qui a faim, et c’est notre problème.

Le débat de ce matin permettra, j’en suis sûr, d’admirer le crépuscule de certaines idoles qui depuis trop longtemps entravent la créativité de notre pays.

Non, la gauche n’a plus de problème depuis longtemps avec la compétitivité ! C’est ce que j’ai toujours dit aux chefs d’entreprise : votre argent m’intéresse ! Plus vous gagnez d’argent, plus vos employés travailleront dans de bonnes conditions, plus la croissance irriguera le pays. Il y a une loi d’airain dans l’histoire de l’économie mondiale : les services publics sont d’autant plus de qualité que les entreprises sont florissantes ! Avez-vous déjà vu de belles écoles, des hôpitaux ultra-modernes dans des friches économiques et désindustrialisées ? Bien sûr que non.

Mais attention, notre économie doit aussi se protéger des faucons ultralibéraux qui utilisent ce discours non pas pour créer du souffle et de la souplesse pour l’action entrepreneuriale, mais pour externaliser l’assistance et faire en sorte que les puissances de la rente récupèrent les actifs publics.

Les mêmes n’ont également de cesse de ne voir le salut de la régulation du capitalisme actionnarial que dans ce qu’ils appellent une régulation du rapport salarial aux nécessités de la productivité, c’est-à-dire la flexibilité managériale, prélude à l’essor que l’on connaît de la souffrance au travail.

Peut-on sauver le discours social ?

Oui, nous devons sauver le discours social. A défaut de cette entreprise de salut social, la désespérance gagnera nos concitoyens.

Pour combattre les faucons que je viens de mentionner, plusieurs pistes me semblent exploitables. La fin de l’obsession de certains chiffres insincères, comme le taux de prélèvement obligatoire. Le taux de PO doit cesser d’être l’épouvantail des économistes. Un exemple : les dépenses de santé s’élèvent à 12 % du PIB en France et à plus de 17 % aux États-Unis. Les américains affichent peut-être un taux de PO plus bas dans les comparaisons internationales, mais, dans la réalité, payent beaucoup plus de dépenses obligatoires en matière de santé. Si vous payez en mutuelle privée dans un autre pays trois fois ce que vous payez en France par la cotisation sociale, le taux de PO plus bas est une imposture.

Stigmatiser l’impôt n’est pas économiquement responsable.

A-t-on encore le droit d’espérer en France ? Oui, plus que jamais. Pour revenir aux débuts de mon propos, le droit d’espérer en France passera par le droit de changer l’Europe.

Changer l’Europe, pour que la politique économique européenne ne soit pas un poids, mais un atout pour les conditions d’existence du peuple européen. Aujourd’hui, ce n’est pas le cas, tout le monde le sait. Les cartes sont rebattues, les choses changent ! Lisons les derniers rapports du FMI Taxing times du 10 octobre 2013, lisons son rapport budgétaire semestriel de ce 9 avril. L’austérité thatchérienne, c’est fini !

L’obsession de l’inflation, du matraquage fiscal, du recul des services publics, c’est fini même à Washington !

Changer l’Europe, pour sauver l’euro, pour le rendre irréversible. L’abandonner ne résoudrait rien et renchérirait soudainement nos importations et nos produits énergétiques.

Changer l’Europe, pour disposer d’une Commission forte et résolue, moderne et populaire pour qu’elle puise dans cette force et dans cette popularité la légitimité de s’engager dans des négociations commerciales internationales conformes à nos intérêts économiques.

C’est le cas pour le traité de libre-échange transatlantique que nous avons évoqué, auquel il faut adjoindre l’exclusion des services audiovisuels et culturels, la préservation des préférences collectives, et celle de la capacité de nos États à réguler.

Changer l’Europe, pour construire des cohérences fiscales qui atténueraient ce dumping absurde qui incite à s’engager dans une guerre civile économique européenne. Le dumping fiscal est à l’Europe ce que l’absinthe est à la poésie : elle semble stimuler mais à la fin, le poète meurt et l’Europe meurt.

Changer l’Europe, pour conclure, enfin, un pacte d’investissement qui nous manque tant. Une Europe détachée de ses tristes obsessions inflationnistes, proche de la production, proche des producteurs, en unmot proche de son peuple.

Ces changements, ces modernisations, ces avancées vers la réalité de demain, nos échanges, vos contributions, vos intelligences, y seront pour beaucoup.

Merci.