Ouverture de la cérémonie de clôture du partenariat ONACVG-Mémorial de la Shoah

Discours Ouverture de la Conférence conclusive de la commémoration des Juifs de France dans la Shoah
Lundi 15 décembre 2014 à 10h
Salle Victor Hugo, Assemblée nationale

Monsieur le Ministre,
Monsieur Serge Klarsfeld,
Monsieur Jacques Fredj,
Mesdames, Messieurs,
Bienvenue à l’Assemblée nationale.

Nous parvenons au terme de cette année 2014, qui fut rythmée par les commémorations du 70ème anniversaire de la Libération du territoire français.

Ces commémorations, nous l’avons vu tout au long des mois que nous venons de vivre, sont tout, sauf des moments froids de réminiscence. Ce sont des occasions d’entretenir le feu des valeurs fondamentales qui fondent le métier de citoyen. Ce sont des occasions de détecter ce qui peut, à toute époque, à tout moment, éteindre, atténuer, émousser la vigilance collective face à ce qui peut dégrader l’esprit public.

L’Office national des anciens combattants et victimes de guerre (ONACVG) et le Mémorial de la Shoah ont organisé conjointement en 2014 une quinzaine d’événements sur cette période, ses horreurs et ses responsabilités. Je crois qu’unanimement, ce partenariat et ces événements peuvent être salués pour leur qualité, leur puissance de transmission, et leur audience. Tout au long de l’année, comme fil rouge des commémorations, l’exposition « les Juifs de France dans la Shoah » a replacé devant nos yeux l’horreur nue de la persécution des Juifs en France durant ces sombres années. Cette exposition est ancienne, elle est toujours aussi remarquable. Les panneaux complémentaires qui exposent des documents iconographiques et explicatifs sur les rafles et les persécutions, notamment de 1944, répondent à cette qualité. Bravo à toutes les personnes qui ont réussi cette synthèse de pédagogie, d’enseignement et d’édification.

Il serait faux de dire que l’exposition est, selon une expression journalistique à la mode, « sans concession ». Elle est vraie, elle transmet la vérité pure d’événements que certains esprits pervers tentent actuellement de remettre en cause dans des essais aussi approximatifs que médiatiquement trop bien traités. Regardez, parcourez l’exposition.

Les persécutions infligées aux juifs, la législation antisémite mise en place par le régime de Vichy, les rafles et la déportation des Juifs ne pourront pas faire l’objet de je ne sais quelle réhabilitation. Un exemple entre des dizaines. Les rafles de la police de l’été 1942, qui conduisirent à la déportation vers l’Allemagne de 10 000 juifs et de leurs enfants français, concernèrent des personnes qui ne virent pas une seule minute un uniforme allemand. C’est la France, les fonctionnaires de la police française, qui expulsaient de leur propre patrie des personnes et des familles dont on ne transmettra jamais assez la mémoire.

Les évènements que vous avez organisés cette année conjointement entre vos deux institutions rendent impossibles les manipulations de pensées.

Et combien, combien avons-nous besoin que l’Histoire nous redonne le courage de lutter contre les lâchetés et les résignations.

Nous le savons bien, nous députés. Nous qui entrons dans l’hémicycle avec les ombres de tous les représentants de l’Histoire qui nous donnent la force et l’ardeur de servir la France.

Nous qui montons à la tribune avec les ombres de Mirabeau, de Danton, de Jaurès, nous savons qu’il y eut une séance noire de l’histoire du Parlement, une séance de l’Assemblée nationale qui aurait pu éviter, si l’issue en avait été différente, et surtout plus courageuse, la démission de l’État français. Oui, je pense à la loi accordant les pleins pouvoirs à Philippe Pétain, ce 10 juillet 1940. Je pense à l’État autoritaire, les droits fondamentaux bafoués, la Déclaration des droits de l’Homme niée par le pays qui la fit naître. Je pense, l’esprit en rage, à ces 569 voix qui votèrent oui. Je pense aux 20 abstentions, je pense aux 176 absents. Et je pense, et surtout je m’incline, devant les 80 héros qui votèrent non, et dont je voudrais voir les noms inscrits en lettres d’or dans l’hémicycle, pour qu’ils nous transmettent encore, et tous les jours, la force d’être dignes, la force d’être libres. Parmi ces 80, il y eut Léon Blum, bien sûr, il le paya d’une déportation. Il y eut Vincent Auriol, le futur Président de la République. Il y eut Max Dormoy, il le paya d’un assassinat en 1941. Il y eut les autres, ces noms glorieux, je ne cite hélas que Paul Giaccobi, Léon Martin, Paul Fleurot, Jules Moch, Justin Luquot, Augustin Malroux, Séraphin Buisset, François Carmel.

Faire transmission de mémoire, c’est faire de l’Histoire appliquée.

C’est en pensant à ces députés, c’est en pensant à toutes les victimes de la barbarie que nous voyons sur les panneaux de votre exposition, c’est en pensant à toutes les souffrances racontées, narrées, peintes, photographiées au cours des événements de cette année, que certaines résurgences actuellement constatées m’ont semblé non seulement inacceptables, mais requérant une réaction prompte. Oui, je pense aux fractures identitaires exploitées par certains marchands de peur et de haine. Oui, je pense à l’antisémitisme qui sévit brutalement ici et là dans la population. Oui, je pense à l’agression criminelle et la séquestration du jeune couple de Créteil il y a quelques jours. Oui, je pense à l’absence de réaction collective après ces actes indignes, je pense aux anciennes grandes marches de la tolérance qui ne se constituent plus. C’est parce que je pense à la nécessité de l’action que j’ai demandé qu’un groupe d'études sur l'antisémitisme soit créé à l'Assemblée nationale. Le bureau de l'Assemblée a donné mercredi dernier son agrément. Il sera très vite en action. Il aura du travail. Il devra être intraitable.

Quand on fait de la politique, on s’occupe d’organisation sociale, on se tient donc prêt à défendre le cours d’Histoire de ces outrances que, périodiquement, elle connaît. Mais quand nous sommes face à la mémoire de la Shoah, nous ne sommes pas face à une outrance. Le phénomène historique, en dépassant toute barbarie, en livrant l’Europe à la furie exterminatrice d’une volonté technicienne implacable, a triomphé d’institutions qui auraient dû résister. Non, les pleins pouvoirs n’auraient pas dû être votés le 10 juillet 1940. Non, les administrations n’auraient pas dû suivre la mise en place de l’Enfer. Non, les préfets, les magistrats, les électeurs, les groupes d’intérêt n’auraient pas dû participer à l’effondrement de leur propre conscience. Ces institutions, aujourd’hui démocratiques, l’étaient aussi dans la France de 1939. C’est pourquoi nous ne pouvons pas abandonner à lui-même le travail de sape de l’esprit public. Nous ne pouvons pas laisser la défiance se transformer en haine, le poujadisme se transformer en fascisme, la stigmatisation se transformer en malédiction, l’intolérance se transformer en répugnance, l’aigreur se transformer en fureur, le mot de trop se transformer en coup de couteau. Non. Nous sommes les fils de la France de 1789.

Il y a des héritages qu’on ne refuse pas sans lâcheté. Il y a des inactions dont on répond devant le tribunal de l’Histoire. Nous sommes les fils de la Bastille, et nous en prendrons encore,et nous en libérerons encore.

Par l’Europe, bien sûr. Le peuple allemand sut après la guerre défendre tout de suite de manière remarquable les valeurs de la démocratie en s’engageant tout entier et sans retour dans l’aventure historique du couple franco-allemand et dans la construction européenne.  

Par la lutte contre la haine et l’antisémitisme, la lutte contre les racismes. Par la promotion de la paix. Par l’effort de ne jamais oublier, de toujours se souvenir, de toujours montrer ce qui s’est passé. Par l’ardeur à toujours chercher à être plus humain encore le lendemain que la veille.

Le 20 janvier 1942, quelques dignitaires se réunissent à la villa Marlier, encore debout, à Berlin. Reinhard Heydrich, chef du RSHA, l’Office central de la sécurité du Reich, convoque une petite conférence, qui restera dans l’Histoire comme la conférence de Wannsee. Selon ses termes, il demande aux participants de réfléchir avec lui à, je cite, « trouver une solution finale à la question juive ».

Il n’y a qu’une quinzaine de participants, leurs noms sont connus, réprouvés par la postérité. La décision politique est déjà prise, Hitler, Goering et Himmler l’ont déjà signifié à Heydrich. A Berlin, ce soir d’hiver, quinze personnes prennent acte d’une décision dont ils savent qu’ils ont les moyens de la mettre en œuvre. Ils ont des armées, des camps, des canons et des fusils. Mais cela ne suffit pas. Ils savent qu’ils le feront parce qu’ils pensent avoir gagné la bataille de la haine et de l’indifférence contre la Résistance, la bataille de l’autoritarisme absolu contre l’humanisme, la bataille de la puissance aveugle contre la vie. Ils avaient tellement de confiance, au cours de ce séminaire de l’Enfer. Plus jamais, jamais chez nous, en France, jamais chez nous, en Europe, jamais chez nous, sur la Terre, quinze personnes ne devraient avoir cette confiance.

J’en conclus sur cette espérance, vous remercie de vos remarquables efforts tout au long de cette année, et en appelle aux lumières de l’avenir pour éclairer désormais la marche de l’humanité dans la solidarité et la fraternité.

Merci à tous.