Ouverture de « Mardigital »

« Mardigital #CivicTech »
Hôtel de Lassay, mardi 24 mai 2016

Madame la Secrétaire d’État, chère Axelle Lemaire,
Mesdames et Messieurs les députés, chers collègues,
Mesdames et Messieurs,

Bienvenue à l’Assemblée nationale à tous les visiteurs et intervenants à l’occasion de Mardigital co-organisé avec la Secrétaire d’État chargée du Numérique, Madame Axelle Lemaire.

Quel meilleur endroit que l’Assemblée nationale, symbole de la démocratie représentative pour vous accueillir, vous les acteurs de la Civic Tech dont je sais l’énergie et l’audace pour revitaliser l’engagement citoyen et notre démocratie grâce aux technologies de l’information et des communications.

Les initiatives dites de Civic Tech fleurissent chaque jour pour informer, susciter le débat et l’engagement, participer à la décision publique, et contrôler le gouvernement.

Une référence du secteur de la Civic Tech – Pia Mancini, la fondatrice de la plateforme argentine democracyOS, résume bien l’enjeu du débat quand elle affirme que « Nous sommes des citoyens du XXIe siècle qui faisons de notre mieux pour faire fonctionner des institutions qui ont été conçues au XIXe siècle et sont basées sur un support d’information qui remonte au XVe siècle. Il est temps de commencer à nous poser la question : quelle démocratie voulons-nous à l’ère d’internet ? »

L’idéal de l’agora athénienne fait figure de modèle pour le citoyen de 2016 qui n’est pas celui de 1958. La technologie donne corps à la possibilité d’une démocratie directe et électronique, que certains rêvent de substituer à la démocratie représentative. On entend dire qu’après « l’ubérisation » de pans traditionnels de l’économie, ce serait au tour de la politique et de la démocratie d’être frappées par ce phénomène.

La révolution numérique serait selon de nombreux acteurs de la Civic Tech en voie d’entraîner une révolution politique.

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Le langage informatique est binaire. Son langage universel est 0 ou 1. Mais, la démocratie n’est pas binaire. Il serait erroné de vouloir opposer la « démocratie représentative » à « la démocratie directe ». La co-production de la loi avec le citoyen, c’est par exemple la marque de fabrique de « Parlements et Citoyens »  qui offre une plateforme de consultation ouverte aux députés et sénateurs souhaitant associer les citoyens à la rédaction de leurs propositions de loi. Les initiatives se multiplient et j’ai la conviction que nous devons saisir cet élan créatif pour renouveler les institutions.    

D’ailleurs, en ce moment-même, des débats se tiennent sur la modernisation numérique de l’État, avec une participation active des députés Corinne ERHEL, André CHASSAIGNE ou Patrice Martin-Lalande et bien d’autres qui ont compris l’enjeu pour l’État de la révolution numérique.                       
 
D’abord, parlons de ce qui nous fédère : la démocratie et ses valeurs de liberté, d’égalité et de fraternité que notre Constitution consacre. Parce que notre République protège la liberté d’opinion, d’expression, d’association, d’entreprise, nos citoyens et vous-mêmes – acteurs de la Civic Tech – pouvez lancer vos projets. La citoyenneté pour laquelle vous œuvrez puise ses racines mêmes dans les institutions que nous devons faire vivre ensemble. La technologie est non la fin de la politique, mais un formidable outil pour organiser la vie dans la Cité.

Ensuite, nous partageons ensemble le même diagnostic sur la crise démocratique qui mine nos institutions. Le rapport que nous avons produit avec l’historien Michel Winock, dresse un constat sans concessions sur cette crise.

« Nous avons changé de monde et les institutions de la Ve République n’ont pas été pensées pour ce monde-là » caractérisé par le transfert de pouvoir à l’Europe, aux collectivités locales, changeant la donne dans le fonctionnement de nos institutions.

La globalisation et le capitalisme financier exercent des contraintes de plus en plus fortes sur les responsables politiques et les entreprises.

Le fossé entre les élites et le peuple se creuse. Je le comprends, par exemple, lorsque l’on constate la croissance des écarts de rémunérations entre les dirigeants et leurs salariés qui atteignent 354 fois la moyenne salariale des employés aux États-Unis et 104 fois en France. On entend régulièrement la défiance de nos citoyens vis-à-vis des élites. On constate un taux d’abstention croissant aux élections et des mouvements issus de la société civile pour proposer des alternatives aux institutions.

Ce rapport sur la rénovation des institutions soumis à une consultation n’a pas été le « énième rapport » faisant l’écho de la crise de la Ve République.

C’est d’abord un rapport qui a rendu compte et émis des propositions à l’image de ce monde porteur de nouvelles promesses, où émergent de nouvelles formes de coopération et de solidarités, d’engagements et d’expressions citoyennes, en marge de toute institution traditionnelle.

La révolution numérique est une chance pour revitaliser la démocratie et l’engagement citoyen, et introduire une boucle vertueuse entre nos institutions et vos initiatives citoyennes. Cette révolution décuple les possibilités de dialogue, de coopération, de mobilisation et de participation des citoyens. Les réseaux sociaux et les forums de discussion sont devenus incontournables pour être plus proches des citoyens. Comment ne pas se réjouir de votre initiative – Monsieur MASSIET : la création de « La Vie Publique », l’émission de décryptage des Questions d’Actualité au Gouvernement sur YOUTUBE, accessible en direct par les internautes qui ont même la possibilité d’interagir via un « Tchat » intégré ?

Je me souviens de nos débats dans cette assemblée dans les années 90 sur la mise en place d’une démocratie de proximité dont plusieurs lois [loi d’orientation sur la ville de 1991, loi sur l’administration territoriale de 1992] ont posé le principe de la consultation, de l’information, et de la concertation des habitants. Conseils de quartiers, Comité National du Débat Public, les exemples de démocratie de proximité sont nombreux. Même les collectivités locales comme Paris redécouvrent les vertus de la démocratie participative en instaurant un budget participatif, comme avaient pu le faire la municipalité de Porto Alegre en 1989.

Je vois tout le potentiel qu’offre la Civic Tech à nos concitoyens qui peuvent, grâce aux technologies, devenir des acteurs ou des partenaires des collectivités et institutions publiques. Je vois le potentiel que vous offrez pour mobiliser l’intelligence collective et l’innovation. La révolution numérique apporte une nouvelle vision du politique et une nouvelle culture de la politique, qui rompt avec une tradition hiérarchique, centralisée, et verticale de nos institutions.

L’opposition entre la démocratie représentative et la démocratie-internet n’a pas de sens. La tentation est grande dans l’imaginaire numérique de tout déconstruire pour reconstruire sur le pinacle de la modernité technologique. On voit bien comment l’exploitation d’une donnée au service d’une politique publique n’est pas qu’une affaire de « data » ou de technologie. Il s’agit d’abord de comprendre ce qu’est la politique publique ou la réalité du terrain. La passerelle entre la Civic Tech et les collectivités publiques est ainsi impérative pour donner du sens à la donnée et à la politique.

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Depuis le début de la législature, j’ai souhaité faire de l’Assemblée nationale le fer de lance de la révolution numérique. Parce que la transparence est une exigence démocratique au service des valeurs de liberté et d’égalité, j’ai décidé de mettre à disposition nos données en format « open data », c’est-à-dire accessibles à tous sur Internet, dans un format librement exploitable et réutilisable sans restrictions.

Cette évolution technologique constitue une avancée démocratique majeure pour notre pays. L’ouverture des données améliore la transparence de l’action parlementaire, et favorise la participation des citoyens à la vie publique et leur innovation.

Au terme de la montée en puissance du dispositif, plus de 800 000 documents seront accessibles dans le format « open data ».

J’ai aussi fait de la participation citoyenne une priorité dans une perspective de modernisation culturelle, démocratique et sociale.

Une grande consultation citoyenne a ainsi été lancée en 2015 à l’occasion de l’examen de la proposition de loi sur la fin de vie. Les internautes ont été invités à publier sur le site de l’Assemblée nationale leurs commentaires sur les articles de ce texte, avis qui ont ensuite été versés au débat public.

Près de 12 000 contributions ont été déposées en quinze jours. De même, la rédaction du projet de loi pour une République numérique s’est faite conjointement avec la participation de 21 330 contributeurs qui ont modifié la teneur du texte définitif.

Et prochainement, sera clôturée la consultation en ligne sur projet de loi « Égalité et Citoyenneté ».   L’esprit de ces consultations en ligne est bien d’ouvrir le processus législatif – au-delà des lobbys ou experts – aux citoyens pour tendre vers la co-production de la loi, en faisant le pari de l’intelligence collective.

Confiant dans votre esprit d’innovation, j’en profite pour vous annoncer qu’en octobre 2016 ces murs accueilleront leur premier « data camp » avec l’objectif d’exploiter les données parlementaires et de faire émerger des applications ou des logiciels utiles pour notre institution et les citoyens.  

 
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La « Civic Tech » émerge et l’Assemblée nationale y prendra sa part, tout en se portant garante des valeurs de la démocratie. Si la Civic Tech peut être une source de revitalisation démocratique et d’innovation, veillons à ce qu’elle ne devienne pas un marché de la donnée sensible. Il en va de la protection de nos libertés, de l’égalité, et de la vie privée Comment participer au débat public par la voie du numérique sans sacrifier la protection de ses données personnelles ?

Imaginez, qu’une entité détienne des informations sur le vote et les opinions d’une population. Il faut une éthique de responsabilité concernant toutes les données sensibles.

Veillons aussi à ce qu’à côté des valeurs de « liberté, de transparence, et d’efficacité » qui sont érigées en valeurs fondamentales par la « Civic Tech », le principe d’égalité puisse lui aussi devenir une valeur effective. La Maison-Blanche, dans son rapport récent du 4 mai sur le « Big Data et droits civils», vient de dénoncer l’impact discriminatoire des biais algorithmiques et ses risques pour la société.

Comme vous le dites si bien Monsieur Cardon, parce que « derrière l’algorithme, il y a une représentation du monde », nous devons plus que jamais développer les techniques d’audit algorithmique pour garantir une objectivité.

Vous comprenez bien que la démocratie ne pourrait survivre en cas de capture de l’algorithme ou de la plateforme par une minorité qui s’arrogerait un pouvoir politique sans légitimité à des fins partisanes ou marchandes.  

La « Civic Tech » sait ce que signifie cette objectivité qui constitue le pendant de l’exigence d’égalité. Comme dans la justice, la conception des solutions ou des applications mérite un débat contradictoire entre toutes les parties prenantes et participe à l’émergence d’une démocratie délibérative. Il nous faut veiller à ce que les plus vulnérables ne soient pas les exclus de la démocratie numérique, à l’instar des barbares – les esclaves de la démocratie athénienne qui étaient exclus de la vie politique.

Je crois en la capacité de la Civic Tech de renforcer l’égalité formelle – l’égalité d’accès des citoyens à la vie politique. J’espère que vous saurez, à côté de l’idéal de liberté politique, contribuer à nos côtés à lutter contre toutes les formes d’injustices sociales pour instaurer une égalité réelle entre les citoyens. Rendez-vous donc au prochain « Data Camp ».

Je vous remercie.