Ouverture du colloque "Vers un monde sans armes nucléaires"

Ouverture du colloque
« Vers un monde sans armes nucléaires »
Jeudi 26 juin 2014

Messieurs les Officiers Généraux,
Mesdames et Messieurs les représentants des Think Tanks internationaux,
Cher Paul Quilès,
Mesdames, Messieurs,

C’est un grand plaisir pour moi de vous accueillir à l’Assemblée nationale et je voudrais remercier Paul Quilès d’avoir choisi ce lieu pour débattre de ce sujet majeur qui nous rassemble aujourd’hui.

En effet, je souhaite que ce soit à l’Assemblée nationale française, dans ses commissions, dans ses missions d’information, dans ses salles de colloques qu’aient lieu les grands débats politiques, économiques, sociaux, sociétaux, environnementaux, stratégiques.

Je suis très attaché à cette vocation de notre institution, car c’est finalement ici, dans ce temple de la démocratie et de la liberté d’expression que doivent éclore les idées nouvelles, s’échanger les concepts qui fonderont le monde futur, se rencontrer ceux qui, par leur expérience, leur culture et leurs réflexions, au départ souvent solitaires, apportent les éléments du futur de notre Nation, de l’épanouissement des personnes, de l’organisation du monde.

Vous êtes ces acteurs-là, merci d’être ici.

Oh, bien sûr, vous n’avez pas choisi le thème le plus simple, il touche à la sécurité globale, il touche à la mort, il touche à l’équilibre du monde.

Notre commission de la Défense, sous la Présidence de Patricia Adam, a ainsi procédé depuis le début de l’année à pas moins de 12 réunions plénières sur le thème de la dissuasion.

Elle a auditionné sur le thème de la dissuasion plus d’une vingtaine d’experts, chercheurs, philosophes, représentants de cultes, militaires, industriels, diplomates et responsables de Think Tanks. Je souhaite saluer ce travail remarquable qui n’a pas de précédent dans notre histoire législative.

Cette histoire complexe du rapport de l’arme atomique à la Paix commence à la moitié du XXe siècle.

C’est à la suite de la volonté écrite d’Albert Einstein, des moyens accordés au grand physicien Robert Oppenheimer, et à la volonté politique de Franklin Delano Roosevelt qu’explose le 16 juillet 1945, quelques jours après la mort de celui-ci, près de Los Alamos, la première arme nucléaire de l’Histoire : Ils étaient tous les trois des Pacifistes convaincus.

Quand le Président Truman reçoit, sur un petit bout de papier, le message du succès de l’expérimentation de Los Alamos, il est assis en face de Staline lors d’un conciliabule préparatoire à la Conférence de Postdam.

Les historiens retiennent que celui-ci ne comprit réellement la portée de cette révolution stratégique que quelques jours plus tard les 6 et 9 août quand les villes d’Hiroshima et de Nagasaki payèrent leur lourd tribu à l’Histoire. Nous entrions ainsi dans une période de non guerre mondiale encore heureusement ininterrompue.

Mesdames et Messieurs, nous sommes ici en France, où nous commémorons, hasard des millésimes, la fin de deux guerres mondiales, l’une n’étant que la prolongation de l’autre. Elles se sont déroulées largement sur notre sol.

De l’une a résulté la destruction de notre jeunesse, de l’autre l’occupation, c’est-à-dire le traumatisme quotidien des coups frappés à la porte tôt le matin, où des familles entières disparaissent on ne sait où. On ne tarda pas à savoir où elles disparaissaient et pire encore, on ne tarda pas à savoir comment.

Dès lors, comment ne pas comprendre que les dirigeants politiques français de la IVe République aient voulu traduire le « plus jamais cela » par la construction de la bombe. « Nous ne serions plus jamais attaqués ou occupés ».

Vous connaissez la suite. Ce programme mobilise la France avec la même détermination dans la diversité de ses hommes politiques, de Mendès France à de Gaulle et de ses Républiques successives. Elles le développèrent dans le plus grand secret puisque financé sur le budget des services secrets et expérimenté en 1960 grâce au volet secret des accords d’Evian.

Le militaire Charles Ailleret, le scientifique Yves Rocard, le conceptuel Pierre-Marie Gallois dotèrent ainsi la France de sa force de dissuasion nucléaire.

Cette arme sert-elle encore à quelque chose ? C’est la question que vous posez, c’est la question dont vous allez débattre maintenant avec la difficulté particulière qu’elle est à la fois une arme stratégique, un outil politique et un élément identitaire.

En tout cas, ce qui est sûr, et je crois que cela fait consensus, c’est qu’elle a servi à quelque chose :

Qu’est-ce qui a retenu les 55 000 chars du Pacte de Varsovie face aux 7 000 péniblement rassemblés par les Pays de l’OTAN en Europe Occidentale ?

Pourquoi la Chine et l’Inde ont-ils été au bord de la guerre sans franchir le pas ?

Pourquoi l’Inde et le Pakistan se limitent-ils maintenant à quelques escarmouches dans les montagnes du Cachemire ? Pourquoi les pays arabes n’attaquent-ils plus Israël et ont même signé des accords de paix avec lui ?

Il n’est pas contestable que la dissuasion a fonctionné.

Ensuite, nous entrons dans le débat du futur de la dissuasion et donc de la bombe et je vais prendre connaissance avec grand intérêt de vos apports.

La réponse à chaque question est complexe :
Faut-il mettre en avant l’aspect moral ? Le bombardement de Dresde était-il plus moral que celui d’Hiroshima ? Le Napalm serait-il plus acceptable que le nucléaire ?
Faut-il mettre en avant l’aspect financier ? Des pays qui n’ont que du conventionnel ont des budgets comparables au nôtre. Devons-nous valider la notion de « rapport qualité/prix » de la sécurité ?
Faut-il entrer dans la discussion du concept d’emploi ? Alors que le flou conceptuel, la variété de la puissance des armes et de leur porteur font partie intégrante de la dissuasion par cette imprévisibilité qui interdit le contournement ?
Faut-il envisager un monde où il n’y aurait que des forces conventionnelles ? Les écarts de puissance, de technologies et de budget ne nous obligeraient-ils pas à nous aligner rapidement, puis finalement à confier notre sécurité à une Amérique qui n’en demande sans doute pas tant ?

Comment dissuader la dizaine de pays qui, à la fin de cette décennie, auront des missiles susceptibles de nous atteindre ? Les commissions spécialisées du Congrès des Etats-Unis n’ont elles pas considéré elles-mêmes la Défense antimissiles comme un leurre technologiquement inefficace, coûteux et politiquement contre-performant ?

Quand on voit l’incroyable montée en puissance des forces militaires  et la multiplication des enjeux stratégiques dans la zone Pacifique, qu’est-ce qui peut nous faire penser que l’Amérique et la Chine ne se feront pas la guerre, sinon l’existence d’armes stratégiques qui la rende impossible ?

Ces exemples montrent qu’il est clair que l’arme atomique n’impose pas la Paix mais qu’elle assure simplement la non guerre globale entre grandes puissances, ce qui a été toute l’histoire des guerres mondiales du XXe siècle. La prolifération vient du fait que les pays qui se dotent de l’arme considèrent qu’ils sont assurés dès lors de ne pas être envahis.

C’est un règlement de Paix global et préalable qui seul pourra permettre la non-prolifération puis le désarmement.

Je réclame le droit à l’utopie, pourquoi renoncer à cette espérance, même si ce sont sans doute nos successeurs qui la réaliseront.

L’arme nucléaire est une arme asymétrique, il en existe une autre : le terrorisme.

Le 11 septembre a montré que l’arsenal stratégique ne préserve pas de tout et qu’il n’apporte pas la réponse à ce type d’agression. Les forces conventionnelles, de renseignement et de police seront-elles aussi longtemps nécessaires tant que le monde sera ce qu’il est, c’est-à-dire peu capable de faire précéder les négociations politiques aux actions de force.

Là encore je me refuse à désespérer de l’homme et je ne suis pas un adepte du caractère inexorablement tragique de l’Histoire.

Mais, ne faut-il pas que chacun s’interroge sur ce que doit être un seuil minimal raisonnable de crédibilité ? La Corée du Nord a sans doute 8 armes, Israël 80, l’Inde et le Pakistan 100, la Chine et la Grande-Bretagne 250, la France 300, les Etats Unis 7 000 et la Russie 8 000. Cela veut dire que ces deux derniers pays disposent à eux seuls de 95 % des armes nucléaires du monde, je ne fais pas de commentaire, ces chiffres parlent d’eux mêmes.

Je vous énumère ainsi les principales questions qui sont les miennes en tant que responsable politique de ce pays.

Je me dois simplement de rappeler que la France ne peut pas être montrée du doigt : Nous avons détruit nos missiles stratégiques sol-sol et leurs silos enterrés du Plateau d’Albion, nous avons détruit tous nos missiles à courte portée « Pluton » et à moyenne portée « Hadès ». Nous avons stoppé notre production de matière fissile militaire. Enfin, nous sommes le seul pays membre permanent du Conseil de Sécurité à avoir non seulement démantelé, mais véritablement détruit notre site d’essai nucléaire du Pacifique.

La voie de l’application du Traité de non-prolifération est la bonne. Chacun doit d’abord ramener, comme l’ont fait la France et la Grande-Bretagne, son dispositif au minimum crédible. Nous devons appeler toutes les nations à faire cet effort pour que l’esprit du TNP représente une espérance. L’arrivée de nouveaux acteurs, Israël, le Pakistan, l’Inde, la Corée du Nord, sans parler des pays du seuil et aptes à le franchir, ne facilite pas l’esprit de désescalade. Il faut bien dire que l’Histoire, dans ce domaine, n’évolue pas dans le sens que nous souhaitons tous.

Mesdames et Messieurs, chaque jour nous découvrons de nouveaux conflits, de nouveaux pays en guerre, de nouvelles tragédies. Cette situation est inédite depuis mai 1945. Notre devoir de vigilance est donc impératif, comme celui d’espérer en l’humanité.

Mesdames et Messieurs, place aux échanges, il n’y a pas de sujet tabou, de doute interdit, ni de doctrine sacrée, il doit y avoir un vaste débat entre des hommes et des femmes épris de paix, d’humanisme et de liberté.

Je sais que vous en êtes.

Merci