Pemière session de la Grande Commission France-Algérie

Allocution d’ouverture de M. Claude Bartolone,
Président de l’Assemblée nationale

Alger, 10 mars 2013

 

Monsieur le Président de l’Assemblée Populaire Nationale,
Monsieur le Président de la Commission des Affaires étrangères, de la coopération et de l'émigration,
Chers collègues algériens,

 
Nous sommes très heureux d’être accueillis aujourd’hui à l’Assemblée Populaire Nationale à l’occasion de cette première session de la Grande commission interparlementaire.

J’attache, les députés français attachent, une très grande importance à ce nouveau cadre de concertation entre nos deux assemblées.

L’Assemblée nationale n’entretient de relations comparables qu’avec un tout petit nombre de pays : l’Allemagne, le Canada et, plus récemment, la Russie et la Chine. Si nos liens parlementaires sont si étroits, c’est parce que la France et l’Algérie ont noué des liens humains, affectifs et culturels d’une exceptionnelle intensité, dans tous les domaines. En tant que parlementaires, représentants de peuples qui portent la mémoire de cette longue histoire commune, nous avons une contribution essentielle à apporter à ce dialogue, que je veux respectueux et d’égal à égal entre nos deux pays.

Les échanges interparlementaires – ce que l’on appelle parfois la « diplomatie parlementaire » – accompagnent toujours, précèdent parfois, la diplomatie « tout court » pour un certain nombre de sujets. Les deux groupes d’amitié parlementaire ont ainsi conçu leur action depuis la reprise des relations entre nos deux assemblées en 2001 : se parler, en permanence, avec franchise, et contribuer à faire avancer les dossiers.

Je salue ici MM.  Belkacem Belabbes et Patrick Mennucci, les deux présidents de ces groupes, qui sont non seulement parmi les plus importants, en nombre de parlementaires, dans chacune des deux assemblées, mais aussi parmi les plus actifs.

Née de la volonté de quatre présidents d’assemblée, dont Jean-Louis Debré qui est à l’origine de cette initiative en France, la Grande Commission sera, j’en suis convaincu, un outil puissant pour nourrir cette relation particulière et la porter à un niveau conforme à son potentiel et aux aspirations exprimées par nos concitoyens, les Français comme les Algériens. En effet, la Grande Commission doit jouer à mon sens un double rôle. Elle permettra d’évoquer les domaines qui unissent nos deux pays par des liens forts dont il faut préserver le caractère mutuellement avantageux. Mais elle nous donnera surtout l’occasion d’apprendre à mieux nous connaître encore, d’échanger en toute franchise des points de vues parfois différents, mais en ayant toujours le meilleur pour ambition, la solidarité et l’égalité pour horizons.

Notre rencontre est la première depuis la visite d’État du Président de la République française en décembre dernier. C’est également la première depuis les élections législatives françaises et algériennes, et la nouvelle composition de nos assemblées. Elle participe de cette volonté que je sais partagée de donner un nouvel élan à notre relation bilatérale, et je tiens à vous remercier pour l’excellente organisation de notre visite et pour l’accueil chaleureux qui nous est réservé.

Voilà un peu plus de 50 ans, l’Algérie conquérait son indépendance. Nous pouvons aujourd’hui mesurer le chemin parcouru par votre pays, qui pèse sur la scène internationale, dont les ressources sont considérables, dont la population est jeune et dynamique. Parce que nous partageons une histoire, une langue, une mer, l’avenir de la France et de l’Algérie ne peut s’écrire qu’en commun. Or pour construire l’avenir, il faut reconnaître le passé, en être conscient et l’assumer. Le Président de la République l’a dit clairement, ici même, devant vous, devant les deux chambres de votre Parlement réunies.

Il l’a redit lors de sa conférence de presse : « Vérité sur le passé, vérité sur la colonisation, vérité sur la guerre avec ces drames, avec ces tragédies, vérité sur les mémoires blessées ». La connaissance du passé est nécessaire car une civilisation qui oublie son passé est condamnée à le revivre. Mais il ne doit pas s’agir de mettre en concurrence les mémoires et les souffrances. Il faut au contraire que notre passé commun, mutuellement assumé, nous conduise à la compréhension, à un rapprochement, à une construction commune.

Comme le note Benjamin Stora, il faut« sortir de la rumination du passé ». Il ajoute, et je le crois aussi,« les fils et filles d’immigrés, de pieds noirs et de harkis, … veulent bien sûr rester fidèles aux combats livrés par leurs ancêtres, mais ils entendent aussi se débarrasser des vêtements du passé pour ne pas vivre toujours en état de ressentiment perpétuel ».

Le rôle des responsables politiques que nous sommes, c’est justement de préparer l’avenir pour cette jeunesse, un avenir meilleur.

Les deux thèmes retenus pour les débats de cette première session de la Grande commission sont, justement, au cœur des attentes de nos concitoyens. Ils représentent chacun un volet essentiel de notre relation. Ils donneront lieu à des discussions animées – peut-être –, sincères – toujours –.

La dimension humaine de la relation bilatérale, c’est une évidence : la proximité entre la France et l’Algérie se fonde sur des liens humains, intimes, uniques pour nos deux pays. 700 000 de vos compatriotes vivent en France, plusieurs millions de Français, nés de parents algériens. Je suis élu de Seine-Saint-Denis, un département qui compte de nombreux Algériens et Français d’origine algérienne. Je sais qu’ils ont fait et font la France d’aujourd’hui, et je sais combien est grand, en même temps, l’attachement à leurs racines. Et je suis particulièrement fier de voir enfin certains d’entre eux siéger sur les bancs de l’hémicycle du Palais-Bourbon. Quant à ceux de mes concitoyens nés en Algérie et partis dans le déchirement, dans les conditions que chacun connaît, l’Algérie est à jamais dans leur cœur, à eux‑aussi.

Notre jeunesse, nos anciens, nos hommes d’affaires, nos écrivains, nos artistes, nos professeurs, ce sont eux qui donnent son âme à la relation franco-algérienne. Qui la font vivre, la nourrissent, la justifient. La mobilité entre nos deux peuples est non seulement une richesse, c’est aussi une question de respect et d’intérêts mutuels.

L’Algérie a une position particulière, c’est ce que traduit l’accord du 27 décembre 1968 concernant les circulations, l’emploi et le séjour de ressortissants algériens en France. Le choix a été fait de le conserver, c’est un bon choix. Et le Président de la République s’est engagé à ce qu’il soit appliqué avec dignité et considération.

Je partage pleinement cet engagement. Je le partage tant qu’à mon initiative, la Conférence des Présidents de l’Assemblée a décidé, en novembre dernier, la création d’une mission d’information sur les immigrés âgés, dont une très forte proportion est d’origine algérienne. Que cette mission ait été décidée en Conférence des Présidents est la marque de l’intérêt de tous les groupes politiques pour cette question, et le signe de l’importance que tous nous attachons à la question de la dimension humaine dans le renforcement de la relation bilatérale.

Deux de mes collègues ici présents font d’ailleurs partie du Bureau de cette mission d’information, MM. Mennucci et Amirshahi, mission qui doit prochainement se rendre dans votre pays.

La discussion portera ensuite sur la dimension économique de notre relation, thème d’ailleurs lié au précédent puisque les travailleurs algériens ont largement contribué au développement économique de notre pays au cours des 30 Glorieuses.

L’Algérie est le premier partenaire de la France en Afrique, la France est son premier investisseur, son premier fournisseur, son troisième client. Et si les échanges économiques comportent en effet un important volet commercial, nombre de projets intègrent aussi une double dimension de développement économique et de création d’emplois. Fait significatif, les PME sont des acteurs majeurs de ces échanges. Je sais – et salue – l’implication personnelle du Président Belabbes, en sa qualité de président du groupe d’amitié, pour développer ce tissu nouveau de petites et moyennes entreprises dont l’Algérie – mais aussi la France – ont besoin pour créer les emplois et offrir un avenir à notre jeunesse sur chacune des deux rives de la Méditerranée.

Nous faisons bien ; nous pouvons, nous devons faire mieux, et la Déclaration conjointe pour un partenariat industriel et productif signée conjointement par nos ministres des affaires étrangères lors de la visite en Algérie du Président François Hollande, sera à cet égard un outil stratégique pour partager nos savoir-faire, nos ressources, nos expériences. À l’échelle bilatérale bien sûr, mais aussi parce qu’aujourd’hui, nous vivons dans un monde globalisé, à l’échelle de la Méditerranée. Il revient à nos deux pays, je crois, d’être les moteurs de la construction d’un espace de paix et de sécurité, un espace de développement, un espace d’innovation technologique.

En décembre, à Alger, les Présidents François Hollande et Abdelaziz Bouteflika ont ouvert une page nouvelle de l’histoire de nos deux pays avec la Déclaration d’amitié et de coopération. Elle nous engage ; il revient à chacun de nous, à son échelle, de la mettre en « actes ». Car, en amour comme en amitié, seules importent les preuves. Les mots sont importants, les actions sont essentielles.

Une feuille de route a été élaborée pour recenser les engagements pris dans le cadre de la Déclaration d’Alger ; la tenue du Comité Intergouvernemental de Haut Niveau est le levier qui en lancera la mise en œuvre. Il est prévu que ce Comité se réunisse avant la fin de l’année, je le souhaite ardemment, pour que nous puissions, nous parlementaires, suivre et, si nécessaire, aiguillonner, nos administrations.

Enfin, je ne peux terminer mon intervention sans évoquer la question du terrorisme et de la crise du Sahel.

Vous, en Algérie, avez beaucoup souffert du terrorisme et, tout récemment encore, avec la prise d’otages d’Aïn Amenas où la France était aux côtés du gouvernement algérien.

La France et l’Algérie sont toutes deux concernées par la situation au Mali. L’opération Serval, déclenchée à la demande du Président malien et dans le respect de la légalité internationale, a pour seul objectif de lutter contre le terrorisme qui est une menace pour l’Europe et pour l’Afrique et de rétablir l’intégrité territoriale du Mali.

La France est reconnaissante à l’Algérie, qui est un acteur essentiel dans la région, de lui avoir apporté son soutien dans cette opération qui doit déboucher sur un processus démocratique permettant à l’État malien de se reconstruire.

Monsieur le Président, mes chers collègues algériens, je vous remercie à nouveau pour votre hospitalité et pour les excellentes conditions de travail que vous avez aménagées pour nos députés, et je leur souhaite de fructueux et riches débats.