Rencontre parlementaire pour une Europe plus démocratique autour du Manifeste pour une union politique de l’euro

POUR UNE EUROPE PLUS DÉMOCRATIQUE
Rencontres parlementaires
Mercredi 21 mai 2014 de 9h à 13h
Hôtel de Lassay

Mesdames et Messieurs les parlementaires,
Mesdames et Messieurs,  
Je suis très heureux de vous accueillir pour cette rencontre parlementaire consacrée à cette vaste question qu’est l’avenir de l’Europe.

Merci à vous, cher Pierre-Alain MUET, ainsi qu’à l’ensemble des membres du « Manifeste pour l’euro » pour cette initiative utile – pour ne pas dire vitale –  au débat démocratique.

Et comment ne pas citer en particulier Thomas Piketty qui nous fait le plaisir de sa présence. Cher Thomas, j’avais déjà eu l’occasion, il y a quelques mois, de vous accueillir ici pour une rencontre avec de jeunes députés.

Aujourd’hui, je me réjouis de voir revenir dans ces murs l’esprit brillant et libre – quelquefois même un peu enquiquineur – que vous êtes. Ne changez rien. La France a besoin de ses intellectuels, et cette maison est la leur.

Mesdames et Messieurs, nous sommes des amoureux de l’Europe. Nous savons ce qu’a pu représenter le « rêve » européen au lendemain de la guerre pour installer un continent de paix et de prospérité. Le rêve, l’utopie même !

Nous tous, ici, mesurons le chemin parcouru. En apportant la paix, l’Europe a relevé sa première mission historique.

Mais, nous savons aussi que, dans la crise, l’Europe peine à se faire aimer. Elle a pris trop de distance avec les peuples, leurs souffrances, leurs espérances. Pire, elle a inventé un remède pire que le mal : l’austérité. Avec les résultats que l’on sait : une croissance quasi-nulle sur les 3 dernières années, un chômage à 12 % en zone euro ; un chômage des jeunes à 25%.

Aujourd’hui, cette situation nourrit notre adversaire, l’euro-hostilité. Nous assistons à une véritable crise de défiance contre une Europe qui échoue à protéger.

Cette euro-hostilité se nourrit du désamour des peuples vis-à-vis de l’Europe jugée impuissante, silencieuse ou froide face aux problèmes essentiels que sont le chômage, la pauvreté, le déclassement, et la souffrance sociale.

L’euro-hostilité a pris une forme politique monstrueuse : le populisme, qui fédère à travers toute l’Europe une constellation de dissidences aux intérêts pas toujours convergents : les eurosceptiques, les nationalistes,les partis du repli sur des bases culturelles ou ethniques.

Ces gens-là nous disent : « c’est très simple, il suffit de sortir de l’euro ! Il suffit de sortir de l’Europe. »

C’est une double hérésie.

- Sortir de l’euro, ce serait sortir de toute possibilité de rebond. Cela renchérirait soudainement nos importations et nos produits énergétiques, ferait exploser la dette, et restreindrait notre accès aux marchés financiers.

- Sortir de l’Europe, ce serait sortir de l’Histoire, comme le dit le Président de la République. Il dit juste. Ce serait même sortir de l’avenir.

L’Europe, ce n’est pas les autres. C’est une part de nous, et nous en sommes une part.

Alors, déjouer le traquenard populiste, c’est savoir pointer le bon enjeu. 

L’enjeu, ce n’est pas pour ou contre l’Europe, mais quel projet politique pour l’Europe.

Pour cela, je plaide en faveur de 4 exigences.

D’abord, la croissance et l’emploi. C’est l’espérance contemporaine du peuple européen. Le droit d’espérer en Europe passera par le devoir de réorienter l’Europe vers plus de croissance et d’emploi. 

Réorienter l’Europe, pour que la politique économique européenne ne soit pas une somme de fardeaux nationaux, mais un atout commun pour le peuple européen, et singulièrement pour sa jeunesse.

Aujourd’hui, ce n’est pas le cas. Pour les citoyens européens, l’Europe, ce n’est plus une valeur, ce n’est plus une vision, ce n’est plus un idéal. C’est un pourcentage : 3%.

3% de déficit public. Coûte que coûte. Vaille que vaille.

Et c’est avec cela que nous allons soulever l’enthousiasme des foules ? Un pourcentage ne fait pas une politique. Je l’ai dit. On m’en a même un peu voulu… Plus que jamais, je l’assume.  

Ces temps-ci, à l’évidence, il se passe quelque chose…

Il semblerait que même le FMI est en passe de rompre avec le dogme de l’austérité thatchérienne, l’obsession de l’inflation, le recul des services publics, pour prôner ubi et orbi la  croissance. Qui l’eût cru ?

L’Europe doit aujourd’hui se réinventer. Il est temps de remettre sur les rails « l’Europe des projets », à partir du développement de politiques communes dans des secteurs aussi  essentiels que l’énergie, le transport, l’économie numérique, les télécommunications et la recherche. 

Réorienter l’Europe nécessite de mettre la monnaie unique au service de la croissance.

Si le risque d’éclatement de la zone euro est derrière nous, les vices de conception originels persistent, et restent un obstacle pour le rebond. 

Pour réorienter l’Europe, nous avons besoin des bons cadres et des bons outils.

Je n’en citerai que quelques-uns, à commencer par la mise en place d’un exécutif européen pour piloter notre politique économique et la politique de change ; un budget de la zone euro ; un pacte d’investissement qui nous manque tant ; une politique monétaire plus soucieuse de la croissance et de l’emploi que de la rente.

Et enfin la mutualisation des dettes publiques par les project bonds et euro-bonds qui sont les instruments de croissance et de solidarité, par excellence. Les euro-bonds sont, à mon sens, le contrepoids et le corollaire des disciplines du Traité de Stabilité, de Croissance et de Gouvernance.

Réorienter l’Europe, c’est donc trouver le bon équilibre politique entre la règle et la discrétion. Le rééquilibrage au profit de la croissance est une impérieuse nécessité.
Ce rééquilibrage suppose, par exemple, de faire respecter la cible d’inflation de 2%, condition de notre désendettement, et du respect des 3% de déficit public.

Partager une monnaie unique exige des uns et des autres, des efforts équilibrés. Aujourd’hui, la France et l’Allemagne doivent faire chacun leur moitié du chemin : plus de compétitivité pour la France, plus de demande pour l’Allemagne.

Deuxième exigence, la protection. A commencer par protéger l’Europe d’elle-même. Protéger l’Europe d’elle-même, pour maintenir des solidarités et des protections sociales.

Parce que c’est dur, parce que la morsure de la crise est tenace, nos peuples demandent à être protégés, pas exposés. Préserver notre modèle social, c’est un souhait, c’est une nécessité, c’est une urgence pour nos concitoyens qui n’aspirent qu’à une chose : la dignité.

La protection des citoyens européens passe par l’harmonisation de nos politiques sociales et fiscales.

La protection des plus faibles, c’est la mission historique de l’Europe du 21ème siècle, car l’austérité a tout tué, sauf la précarité. Songez que pas moins de 121 millions de personnes en Europe vivent sous le seuil de pauvreté.

L’urgence européenne, c’est aussi la protection de nos entreprises. La protection, ce n’est pas le protectionnisme ou le refus de la mondialisation. Cela condamnerait, chacun le sait, à la décroissance de nos entreprises. La protection, c’est tout faire pour que nos entreprises ne soient pas des fantassins désarmés sur le front de la mondialisation.

L’Europe doit avoir le courage et l’ambition de soutenir nos entreprises pour qu’elles fassent jeu égal avec les géants mondiaux. L’Europe a besoin d’un cap, d’une politique industrielle.

Troisième exigence, la force. Seule une Europe forte, c’est-à-dire unie et politique, peut protéger ses citoyens et ses entreprises, des mauvais vents de la mondialisation.

Qui peut croire qu’un État seul puisse décréter la protection des libertés individuelles ou la justice fiscale à des multinationales telles que Google ou Amazon? Personne.      

A l’heure où l’Europe et les États-Unis négocient un traité de libre-échange, seule une Europe forte et unie, pourra imposer ses normes sociales et environnementales ambitieuses, et son exception culturelle. Seule une Europe forte pourra protéger nos services publics de la main invisible du marché.   

Comme vous, j’aime mon pays. Mais cela ne m’interdit pas de nourrir un véritable patriotisme européen.

Le patriotisme européen, ce n’est pas un gros mot ! Sachons retrouver l’élan qui a permis la création du groupe AIRBUS.

Il est vrai que ce n’est pas avec « la libre-concurrence » qui nous divise, que nous y parviendrons. Chacun connaît les conséquences du tropisme concurrentiel de la Commission, qui nous condamne au statut de nain économique sur un champ de bataille mondial.

Notre défi européen doit être de consolider nos énergies, nos forces et nos entreprises pour peser face à des mastodontes.

La force, c’est enfin une Europe politique et unie.

Les élargissements menés à marche forcée et sans approfondissement, ont précipité l’Union européenne dans une impasse. Tirons les conséquences de cette inertie pour faire émerger une Europe politique qui traite de l’essentiel.

La force de l’Europe politique viendra de la différenciation, qui permettra à un club de volontaires de se détacher du peloton européen pour expérimenter une intégration plus poussée, tirant l’Europe vers le haut.

Cette Europe politique a un ancrage : la monnaie unique et la zone euro qui ont besoin d’un souffle démocratique.         

Et elle est là, la quatrième exigence : la démocratie. Quelle qu’en soit l’issue, le scrutin européen de dimanche est inédit. Pour la première fois, les citoyens européens disposeront d’une

Commission puisant sa légitimité dans le suffrage démocratique. C’est un réel pas en avant.

Mais nous devons aller encore plus loin pour en finir avec le bricolage institutionnel en Europe. Avec le Traité sur la Stabilité, la Croissance et la Gouvernance, le choix clair a été fait de consolider les mécanismes de surveillance réciproque, en contrepartie de l’assistance mutuelle.

Ce choix s’est traduit par la Conférence budgétaire interparlementaire qui est le lieu d’évaluation démocratique des orientations financières et économiques de l’Union Européenne et de ses membres. Mais qu’en est-il des pays de la zone euro ? 

Avouons-le, la zone euro est dans un No Man’s Land institutionnel. Il me semble naturel que le Parlement européen puisse, par exemple, adopter l'examen annuel de croissance. Mais, l’extension des pouvoirs de surveillance et de contrainte de la Commission sur les budgets nationaux implique, à mon sens, la mise en place d’un « Congrès des parlements nationaux » de la zone euro. 

L’Europe ne saurait avancer sans les parlements nationaux, et encore moins, contre eux.
Cette enceinte, que j’ai proposée à l’automne dernier dans un essai intitulé « l’Urgence européenne », me semble mieux convenir à une union politiquement plus intégrée. Je me réjouis que nous partagions cette conviction avec les auteurs du Manifeste pour une Union Politique de l’Euro.

Cette chambre des parlements nationaux, en complémentarité des parlementaires européens de la zone euro, pourrait ainsi se saisir de tout choix d’importance concernant un budget propre et les décisions prises dans le cadre des efforts de convergence fiscale et sociale, et des plans de sauvetage.

Cette enceinte pourrait d’ailleurs être un excellent lieu de contrôle d’un exécutif européen que nous appelons de nos vœux.

L’architecture institutionnelle de la zone euro est en train de se construire. Cet avenir se prépare maintenant et je suis certain que vos débats permettront de redonner du souffle pour réorienter et renforcer la dynamique européenne.    

Je vous remercie et je passe maintenant la parole à Thomas Piketty.