Séminaire parlementaire sur la peine de mort dans la région Afrique du Nord et Moyen-Orient

Séminaire parlementaire sur la peine de mort

dans la région Afrique du Nord et Moyen-Orient

10 octobre 2013

 

Intervention de M. le Président de l’Assemblée nationale, Claude Bartolone

 

Monsieur le Ministre,

Mesdames et Messieurs les Députés, chers collègues,

Mesdames et Messieurs,

La question de la peine de mort a une résonance particulière dans les murs de l’Assemblée nationale. Le combat de l’abolition qui s’y est déroulé n’est pas un fait figé dans l’Histoire mais, en 2013, un appel à l’action.

S’il y a un théâtre de la conquête abolitionniste, c’est bien l’Assemblée nationale. C’est dans cette enceinte qu’a résonné en France, le plus haut et le plus loin, et avec le plus d’éloquence, la cause de l’abolition : Hugo, Gambetta, Clémenceau, le grand Jaurès.

Robert Badinter se situait dans cette filiation lorsque, Garde des Sceaux, il a défendu, et obtenu, dans un moment d’une immense intensité, l’abolition de la peine capitale. C’était en 1981, j’étais alors un tout jeune député et je me remémore avec une poignante émotion les trois jours de débat qui ont permis l’abolition.

En 1981 la France a donc décidé, après d’autres nations, et non sans vicissitudes, l’abolition de la peine capitale. C’était en vérité un combat de deux siècles qui s’achevait dans les tous premiers mois du premier septennat de François Mitterrand. A la veille du vote, les sondages d’opinion montraient encore que 62 % des Français étaient réservés sur ce pas à franchir. J’ai un souvenir précis de la campagne de François Mitterrand. Interrogé par un journaliste sur sa position, il avait fait un vibrant plaidoyer pour l’abolition, alors que l’opinion était à l’évidence contre lui. Ce sont ces combats qui révèlent les hommes d’État derrière les hommes politiques.

La ténacité, le courage et la conviction sont donc venus à bout des préjugés et ont emporté une décision qui honore aujourd’hui tous les Français : l’abolition de la peine de mort, le 18 septembre 1981, adoptée par 363 voix contre 117 à l’Assemblée nationale, puis douze jours plus tard par le Sénat, par 160 voix contre 126.

Mesdames et Messieurs, la France n’a pas à donner des leçons à ses partenaires et à prescrire les politiques pénales en dehors de ses frontières. En revanche mon pays est totalement fondé à faire partager son histoire et le témoignage de son cheminement politique, où l’abolition de la peine capitale s’est imposée comme une étape nécessaire sur le chemin de la justice et de la démocratie.

La France est aussi en droit de rappeler une des convictions qui permet à son peuple de faire nation, à savoir qu’il y a une humanité de l’homme, que cette humanité ne varie pas selon les latitudes, et qu’elle comprend des droits indivisibles et inaliénables, et le refus de certaines pratiques comme le fait de donner la mort au nom de la justice.

Voilà pourquoi il n’y a rien d’anodin à ce que vos échanges se soient tenus ici, dans les murs de l’Assemblée nationale. Je veux en remercier les initiateurs :

- le ministère des affaires étrangères, en rappelant que l’abolition universelle de la peine de mort est une des priorités diplomatiques de la France, comme en témoigne la présence parmi nous aujourd’hui de Laurent Fabius, Ministre des affaires étrangères ;

- l’association Ensemble Contre la Peine de Mort, l’une des principales ONG francophones en matière de lutte pour l’abolition universelle de la peine de mort, qui est à l’initiative de ce séminaire.

Je veux remercier également tous les parlementaires d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient ici présents, ainsi que les responsables associatifs et les journalistes qui ont traversé la Méditerranée pour participer à ce séminaire. Vous représentez une aire géographique en pleine mutation. De Nouakchott à Bagdad, en passant bien sûr par Tunis, Le Caire ou Tripoli, les événements des dernières années ont propulsé au-devant du débat public les questions des droits fondamentaux, de la dignité humaine, de la responsabilité de l’État et de ses agents.

A vous tous je veux adresser mes encouragements dans la cause abolitionniste et vous inviter à regarder le petit pan d’Histoire de France qui s’est déroulé en ces lieux comme une invitation à l’espérance. Ce combat montre que c’est à force d’efforts et de persévérance que la cause abolitionniste finit par s’imposer, et qu’il n’est nul autre chemin pour des peuples épris de liberté et de démocratie.

J’ajoute que vous êtes mieux armés que nos prédécesseurs l’ont jamais été, en vous appuyant sur une société civile plus sensibilisée que jamais à ces combats, sur les ONG, sur des vecteurs de communication d’une puissance sans précédents. Vous pouvez aussi compter sur le relais de la diplomatie, et parmi elle de la diplomatie parlementaire, que je m’engage, pour le compte de l’Assemblée nationale, à mettre totalement à votre service.

Le progrès du mouvement abolitionniste est la somme de vos engagements. Grâce à eux, près d’une centaine d’États, dont tous les États européens, ont aboli la peine capitale et plus de trente autres – dont plusieurs pays arabes – en ont de facto suspendu l’application.

Mais ces progrès ne sont jamais définitifs. Ici même, en Europe, la montée de mouvements extrémistes qui font de l’intolérance un argument politique et de la haine un mode de pensée, nous oblige, nous autres démocrates, à conserver une vigilance de chaque instant.

En France la tentation du rétablissement de la peine de mort demeure ici ou là. Elle tient à l’émotion qui parcourt l’opinion face aux crimes les plus atroces, y compris les actes de terrorisme aveugle qui, hélas, menacent encore l’ensemble de nos pays. C’est pourquoi nous avons un devoir de vigilance et de pédagogie, notamment à l’égard des plus jeunes. À ce titre, je me réjouis que ce séminaire soit l’occasion d’accueillir ici, à l’Assemblée nationale, une classe de troisième du collège Édouard Manet à Villeneuve la Garenne.

Un mot, en conclusion, sur notre responsabilité de parlementaires. Hier, Antoinette Chahine vous a apporté son témoignage, un témoignage d’une humanité si forte qu’il nous rappelle à notre devoir premier de législateur : écrire une loi ferme mais juste et vaincre nos « penchants plus sinistres », pour reprendre une formule de Lamartine, puisque nous nous réunissons aujourd’hui dans la salle qui porte son nom en forme d’hommage.

Les parlements ont un rôle primordial dans le processus d’abolition. Ils ne sont pas seulement l’autorité législative de l’Etat. Ils sont aussi la caisse de résonance des idées et des aspirations qui traversent les sociétés de part en part, celles des justes comme celles de ceux qui souffrent des injustices. Ils sont l’instance collective par laquelle les sociétés se réforment. C’est la raison pour laquelle le combat de l’abolition est le combat par excellence de la démocratie parlementaire.

Je vous laisse donc repartir dans vos capitales, chers collègues, avec la conviction que vous porterez votre engagement pour l’abolition de la peine de mort, confortés par les échanges de ces deux journées et avec la conscience, comme je l’ai pour ma part, que nous aurons un jour à soutenir le regard de la postérité.

Je vous remercie.