Ouverture du Colloque "Financer la mobilité"

 

Discours de M. Claude BARTOLONE,

Président de l’Assemblée nationale

 

Ouverture du colloque de l’association TDIE

le 25 octobre 2012 à l’Assemblée nationale

« Financer la mobilité, l’heure des choix »

 

Monsieur le député, cher Philippe, Monsieur le sénateur Nègre, Mesdames et Messieurs les élus, Mesdames et Messieurs les professionnels des transports,

Je suis ravi de vous accueillir en ces murs, et je suis très honoré que vous m’ayez convié à ouvrir aujourd’hui votre colloque.

Vous êtes réunis car vous vous préoccupez de l’avenir de l’investissement en faveur de la mobilité, sachez que je partage vos inquiétudes.

Il n’est pas anodin que l’Assemblée accueille vos travaux, au moment même où se tient ici le débat sur le projet de loi de finances.

Les parlementaires, en concertation avec les acteurs économiques et les élus locaux, doivent faire des propositions ambitieuses et innovantes pour relancer la croissance en France. Les transports et les grands projets d’infrastructures sont un levier indéniable de création de richesse et d’emploi. Et notre pays a besoin de ces emplois, durablement implantés dans les territoires. 

Dans le même temps, nous sommes sous la pression d’un budget extrêmement contraint, qui doit mener la France sur le chemin de la reconstruction en diminuant autant que possible le poids de la dette sur sa capacité d’investissement. La charge de la dette est le deuxième poste budgétaire de l'État. Mais ne nous leurrons pas, la réduction des déficits publics est profondément dépendante de la conjoncture, donc de la croissance. C’est un peu le chien qui se mord la queue. Les arbitrages sont acrobatiques. Plus que le redressement, c’est à la reconstruction du pays qu’il faut s’atteler.

Le gouvernement a dû faire des choix courageux pour ouvrir une voie qui nous permettra d’assainir nos finances publiques.

En matière de fonctionnement, il a précisé ses priorités, qui passent par la défense d’un service public de qualité, pour réduire la fracture sociale et territoriale. Un budget qui unit les citoyens français autour de leur destin commun, mais qui assume ses choix pour maîtriser les coûts.

Il s’agit désormais de retrouver une position crédible pour les projets d’investissement, après des années de promesses intenables. Une vision durable – et soutenable – de l’aménagement du territoire et du rôle de l’Etat dans son fonctionnement, qui corresponde aux moyens disponibles, tout en n’injuriant pas l’avenir.

Cher Philippe, je n’oublie pas que tu es également le président de l’Agence de financement des infrastructures de transport en France – AFITF – qui peut se satisfaire de voir ses ressources garanties pour trois ans, grâce à l’introduction de l’éco-taxe sur les poids lourds, qui préfigure, je l’imagine, ce qui va vous occuper aujourd’hui : comment développer une fiscalité incitative, qui réduise les impacts environnementaux des transports, pour financer les projets ?

Mais votre présence ici me permet également de défendre le rôle du Parlement dans l’élaboration et l’évaluation des politiques nationales. Car pour ce qui concerne les infrastructures, le gouvernement a décidé de s’appuyer sur les parlementaires pour l’aider à réviser le schéma national des infrastructures terrestres, en créant la commission « mobilité 21 ». Et il est remarquable de constater que les travaux conduits par votre association sont reconnus, au point que ses deux présidents figurent parmi les personnalités désignées pour faire partie de cette commission qui aura la lourde tâche de déterminer les priorités d’investissement sur les transports pour les cinq ans, dix ans, vingt-cinq ans à venir.

Si votre participation a été retenue dans cette commission, dont les conclusions seront stratégiques pour l’économie française, et pour le développement de nos territoires, c’est parce que vous avez su, depuis plus de dix ans, poser les bonnes questions, proposer les bonnes solutions, créer les bons partenariats pour faire reconnaître les enjeux de la mobilité en France et en Europe, dans le cadre d’une pluralité d’approches et de regards, politiques et techniques, qui vous honore.

Les débats d’aujourd’hui apporteront donc une contribution décisive au projet de schéma national de la mobilité durable, qui remplacera le Schéma national des infrastructures de transport – SNIT –, dans six mois, à l’issue de vos travaux.

Les enjeux, quels sont-ils ?

J’ai envie de vous dire : tout commence par les transports.

En premier lieu, parce que la mobilité est un droit. Le droit de se déplacer librement, le droit d’accéder à l’éducation, à la santé, à l’emploi, à la culture. Le droit de choisir son lieu de résidence selon ses besoins.

Les transports collectifs sont aussi la seule alternative valable à l’utilisation de la voiture individuelle. La France est le pays de la voiture individuelle. Il n’est pas difficile de comprendre pourquoi. Lorsqu’il n’y a pas de transports collectifs, il n’y a pas d’autre choix possible. Et on le sait, l’utilisation de la voiture n’est pas sans conséquences.

Conséquence sur le budget des ménages, avec des prix de carburant en constante augmentation. Ajouté au coût du logement, de l’énergie, le coût d’une voiture, voire deux par famille, grève durablement le budget.

Conséquence sur l’environnement évidemment. On le sait, l’utilisation de véhicules se traduit directement par l’émission de polluants, de gaz à effet de serre, de métaux lourds. On ne peut pas demander aux habitants de ce pays de se comporter comme des citoyens conscients et responsables si on ne leur apporte pas d’alternative digne de ce nom.

Je n’ai pas de doute sur la volonté des Français de préserver leur environnement. Mais, si les gestes individuels comptent, il est des domaines, tel celui des transports, dans lesquels seule l’initiative publique peut avoir un réel impact. On l’a vu, cette initiative peut prendre de multiples formes : de l’amélioration des véhicules grâce aux progrès technologiques, au développement de services innovants, jusqu’à l’investissement, en dur, sur les réseaux eux-mêmes.

Il en va de même pour les marchandises. Là aussi le report modal ne se fera qu’avec le soutien massif des investissements publics, dont la garantie pour la réussite des projets est indispensable.

Dans son programme, le candidat François Hollande s’est engagé à relancer la politique des transports pour lutter contre la fracture territoriale qui exclut une partie des habitants de l’accès aux emplois et aux services publics. Le gouvernement s’est fixé comme priorité d’apporter une amélioration de la qualité de service des trains du quotidien et une réponse à la desserte des territoires enclavés, ainsi qu’au développement des plateformes multimodales. Nous avons donc le devoir de réussir,  pour demain, comme pour les générations futures. Dans les grandes métropoles, comme dans les territoires plus ruraux.

Des écarts inquiétants se sont creusés entre nos villes et nos campagnes, que des projets adaptés sur les nouvelles mobilités des biens et des personnes pourraient combler. Il y a urgence à retisser les liens entre les Français de toutes origines, de tous milieux sociaux. Le retour à une politique des transports plus proche des habitants est une voie pour y parvenir.
On a beaucoup développé depuis quinze ans les transports dans les grandes villes, beaucoup œuvré pour l’extension des lignes à grande vitesse, qui ont transformé durablement  les lieux qu’elles desservent aujourd’hui, et leur ont apporté des gains d’attractivité et de compétitivité sensibles à l’échelle nationale et européenne.  Peut-être parfois au détriment de certains territoires relégués, et il faudra combler cette lacune durant cette législature.

Mais on ne peut pas pour autant tirer un trait sur une politique de grands projets. Et pour ces projets, il nous faut l’aide de l’Europe. L’Europe nous contraint, la solidarité financière au sein de la zone euro nous demande une rigueur budgétaire certaine, mais elle doit aussi nous aider. Le pacte de croissance en Europe, qui nous permettra de réduire notre endettement par la création de richesse, devra se traduire en investissements pour nos territoires, notamment sur les grands projets d’infrastructures d’intérêt européen. Aux budgets nationaux et locaux, les urgences, la garantie d’un confort de déplacements au quotidien, socialement profitable, économiquement soutenable, et bénéfique à l’environnement. À l’Europe, le soutien aux grands projets, dès aujourd’hui, et dans une vision de long terme.

Nous ne pouvons pas abandonner les lignes à grande vitesse qui nous rapprochent du Sud et de l’Est de l’Europe, ce sont les « intercités » de la zone euro ! Pour le canal Seine-Nord Europe ou le Lyon-Turin, qui pèsent si lourd sur notre budget, il nous faut trouver la voie d’un financement pérenne.

L’Europe devra se doter pour cela d’outils fiscaux, comme la contribution climat-énergie, dont le produit pourrait bénéficier à la compétitivité des États membres.

Il est socialement difficile de jouer sur la tarification pour améliorer les budgets des transports : les charges pour les ménages comme pour les entreprises sont déjà lourdes. De telles mesures pourraient dissuader les voyageurs d’utiliser des transports moins polluants. Il faut donc inventer les leviers, financiers, fiscaux et réglementaires pour assurer le financement à court, moyen et long terme des infrastructures. L’augmentation des taux du versement transport, et son élargissement aux territoires dits « interstitiels », sont des pistes sérieuses.

Mais ces options ne seront comprises qu’à condition d’être compensées par une amélioration sensible et rapide du service aux usagers (pour la route comme pour les transports collectifs).

L’entretien et la modernisation des lignes existantes compteront autant que la création de nouvelles liaisons pour garantir un meilleur service à l’usager. Mais il faut également évaluer plus précisément quels projets sont les plus rentables, les plus utiles, les plus urgents, pour favoriser massivement l’utilisation des transports collectifs et des modes alternatifs à la route. Ce ne sont pas forcément des projets pharaoniques, mais ce sont souvent des projets complexes, dont il faut tenir dans le temps la réalisation, malgré les difficultés techniques et parfois les réticences locales.

Pour finir, permettez-moi de faire un petit détour en Ile-de-France, un territoire que je pratique depuis bien longtemps, et qui concentre un grand nombre des difficultés qui vous occupent aujourd’hui. J’ai constaté avec plaisir que les opérateurs franciliens sont très bien représentés dans les différentes tables rondes, ce qui m’incite à faire ce détour.

Cette région, la plus grande région urbaine d’Europe, et la plus riche, avait le meilleur réseau de transport collectif au monde il y a cent ans : le métro, le meilleur encore il y a trente ans : le RER.

L’efficacité du réseau de transport a conduit naturellement à la croissance de la métropole, à sa densification. Mais il a aussi conduit à une différenciation progressive des territoires, les services de transport assurant le lien entre le domicile et le travail de millions d’employés de la région-capitale. Le réseau de transport en Ile-de-France a également profité du développement des lignes à grande vitesse, dont la plupart ont leur terminus à Paris, et du transport aérien.

Jusqu’à l’asphyxie. Le système s’est grippé. La modernisation des lignes et du matériel roulant et le développement de transports collectifs de plus petite capacité, les tramways, les trams-trains, les bus en site propre, pourtant engagés de manière très volontariste par les élus et le Syndicat des transports d'Ile-de-France – STIF – ces dernières années, n’ont plus la capacité suffisante pour redonner au système une efficacité à la hauteur des enjeux que j’ai décrits il y a un instant.

La congestion, qui était l’apanage caractéristique du réseau routier (les bouchons), est devenue le fléau du réseau de transports collectifs. Au point de faire reculer les investisseurs immobiliers, y compris dans les quartiers d’affaires les plus réputés de la métropole.

Il faut garder dans le viseur le long terme, et le lien entre l’urbanisation et les transports. C’est pourquoi nous avons résolument besoin pour l’Ile de France, du plan de mobilisation pour les transports ET du projet du Grand Paris Express. Pour la réalisation de ce projet, des ressources spécifiques ont été créées, qui s’appuient sur les entreprises du territoire et les investissements immobiliers. Si le gouvernement confirme son engagement, et surtout si le projet s’inscrit résolument en articulation avec le réseau existant, nous détenons probablement la clé du renouveau de la qualité de vie en Ile de France, durablement. Mais il reste des SI…

Cet exemple francilien, une région « loupe » qui grossit les problèmes, doit vous guider dans vos travaux aujourd’hui et dans les prochains mois.

Il montre l’importance de jumeler les travaux d’entretien et d’exploitation, et ceux de développement des réseaux. Il met en exergue la nécessité de placer le débat au niveau territorial pour définir les enjeux, mais aussi au niveau national pour garantir la solidité des systèmes de transports, et au niveau européen quand se posent des questions de concurrence entre les différents projets et les différentes lignes qui empruntent les mêmes réseaux.

Autour de personnalités aussi brillantes, je ne doute pas que vous terminerez la journée avec de nombreuses et ingénieuses propositions, tant les questions qui vous occupent aujourd’hui sont fondamentales. Je serai ravi d’en reparler avec vous tout à l’heure puisque j’aurai l’honneur de vous accueillir à l’Hôtel de Lassay. Et maintenant, au travail.