Allocution de Monsieur le Président Claude Bartolone
lors de la réception dans l’hémicycle
de M. Giorgio Napolitano, Président de la République italienne
- le mercredi 21 novembre 2012 -
Monsieur le Président de la République italienne,
Mesdames et Messieurs les Ministres,
Messieurs les Ambassadeurs,
Mes chers collègues,
Mesdames et Messieurs,
Bienvenue dans la Maison du peuple français, cher Giorgio Napolitano.
C’est, pour tous les députés français, un immense honneur et une grande fierté de vous accueillir aujourd’hui. Vous, le dirigeant dont le parcours inspire autant de respect, pour son caractère assez exceptionnel.
Vous, l’antifasciste ardent. Vous avez été ce jeune homme qui, dès 1942, a fondé un petit groupe de jeunesse antifasciste, et qui a combattu contre l’armée nazie. Votre lutte contre le fascisme et votre engagement pour la démocratie et la tolérance sont le combat de toute votre vie.
Vous, le révolté « moral ». Nous avons en mémoire le rôle déterminant que vous avez joué au sein du Parti Communiste italien, porté, expliquiez-vous, par« une révolte morale bien plus que par une quelconque motivation idéologique ». Rôle déterminant dans la transition du PCI, qui a abouti à la création du « Parti Démocrate de la gauche ».
Vous, l’Européen… « bagarreur ». Tout au long de votre parcours, vous n’avez eu de cesse de plaider pour une Europe politique, pour une Europe plus forte, à même de porter un message au monde.
Ici, au sein de cet hémicycle, nous sommes tous attentifs à votre plaidoyer en faveur du rôle du Parlement, de cette démocratie parlementaire – que vous défendez depuis de nombreuses années, et qui doit reposer, disiez-vous, ici‑même, à l’Assemblée nationale en 2001, sur« deux piliers : le Parlement européen d’une part, les parlements nationaux d’autre part ».
Vous, l’homme d’Etat. Monsieur le Président de la République, l’ensemble des Italiens, mais bien au‑delà, l’ensemble des Européens, vous reconnaît la qualité d’un homme de dialogue et d’expérience, et nous pouvons l’affirmer, la stature d’un grand homme d’Etat.
Vous vous revendiquez, vous-même, comme « un défenseur de la dialectique démocratique », ayant participé à tous les grands combats pour la démocratie en Italie depuis 1945.
Votre modération, votre droiture, vos valeurs, l’estime de l’ensemble de la classe politique, vous ont permis de jouer le rôle déterminant que nous connaissons.
Rôle qui vous a valu toutes les distinctions les plus prestigieuses, plusieurs prix internationaux et qui fait de vous le professeur honoraire de nombreuses universités, y compris l’université de la Sorbonne à Paris.
Rôle de rassembleur, quand en 1992, alors Président de la Chambre des Députés, vous avez su unir les Italiens dans cette période troublée de l’opération « mains propres », et de l’effondrement d’un système politique dominé par la Démocratie Chrétienne.
Depuis le 10 mai 2006, élu Président de la République italienne, vous n’avez jamais hésité à vous impliquer personnellement chaque fois que l’Italie a eu besoin de vous pour redresser la situation.
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Monsieur le Président de la République, vous le savez, l’Italie est pour nous, Français, un pays ami. L’Italie est pour la France un pays frère. Partageant la même culture, affrontant les mêmes défis, nourrissant les mêmes espoirs pour nos peuples et pour l’avenir de l’Europe.
Nos deux pays se retrouvent aujourd’hui côte-à-côte, du fait de ces liens si forts qui nous unissent, du fait de cette intimité, pourrais-je dire.
Nous sommes côte-à-côte face à la crise. Cette terrible crise et son cortège de souffrances sociales, de replis identitaires, de perte de foi en l’avenir. Et nous savons comme il est vital, en ces temps difficiles, de veiller à la cohésion de nos sociétés. De n’exciter aucune peur. De n’échauffer aucune rancœur. De préserver notre socle républicain, celui-là même qui nous permet de vivre ensemble.
Vital aussi de tenir les grands équilibres vertueux que la crise impose à chacun de nos pays. Protéger, oui, mais pour mieux changer. Gérer, oui, mais pour mieux transformer. Sécuriser, oui, mais pour mieux espérer.
La France, comme l’Italie, refuse de faire de la souffrance sociale son destin national. Pour cela, sachons être budgétairement sérieux pour redevenir socialement ambitieux.
Nous sommes côte-à-côte en Europe. Ne nous cachons pas les difficultés, les contradictions, les défis liés à la crise. Mais ne sous-estimons pas non plus la force que représente l’Europe, quand elle offre l’image d’un ensemble uni qui porte un message au monde.
En 1984 déjà, François Mitterrand disait devant le Parlement européen :« Chacun d’entre nos peuples, aussi riche que soit son passé, aussi ferme que soit sa volonté de vivre, ne peut seul peser du poids qu’il convient sur le présent et l’avenir des hommes sur la terre. Ensemble nous le pouvons. »
Ensemble donc, retrouvons la fierté de porter ce projet. Non pas dans une vision béate. Encore moins dans un « entre soi » auto-satisfait. Plutôt dans une démarche active, dans un compromis combatif.
L’Europe, cette grande malaimée, pour qu’elle renoue avec l’amour des peuples, doit devenir elle-même plus aimante. Jamais les pères fondateurs n’auraient toléré de voir en l’Europe le simple expert-comptable de l’espace de paix qu’elle a rendu possible hier. Veillons ensemble à ce qu’elle ne devienne jamais cela.
Le jour où nous consentons à réduire le projet européen à la simple quête esthétique de l’alignement d’une colonne de dépenses sur une colonne de recettes, ce jour-là, il n’y a plus de projet européen. Ce jour-là, il n’y a plus d’Europe.
L’Europe, c’est une conquête du quotidien. Et le grand défi du 21e siècle, c’est de la rendre plus protectrice, plus juste, plus forte. Plus solidaire, plus éclairée, plus à l’écoute des peuples qu’elle ne l’est aujourd’hui. Plus sociale.
C’est d’en initier la réorientation, la refondation.
C’est d’en faire un véritable fer de lance de la préparation de l’avenir, en y semant les mots éducation, recherche, innovation, développement durable. Démocratie.
La France est engagée sur cette voie. Et je sais l’Italie attentive à cela.
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Monsieur le Président de la République, vous l’avez compris, c’est avec admiration, respect et une amitié profonde que nous allons vous entendre.
Et nous vous remercions d’avoir choisi de vous exprimer en français.