Discours de M. le Président de l’Assemblée nationale
Claude Bartolone
23ème journée du Livre politique, samedi 8 février
Mesdames et Messieurs les ministres,
Mesdames et Messieurs les parlementaires, mes chers collègues,
Mesdames et Messieurs les journalistes,
Mesdames et Messieurs les membres des jurys,
Mesdames, Messieurs,
Bienvenue à l’Assemblée nationale en ce samedi pour cette 23ème journée du Livre politique.
Je voudrais, avant d’aller plus loin, avoir une pensée très chaleureuse pour notre amie et illustre collègue Simone Veil, qui a toujours été particulièrement attachée à cette manifestation, que des ennuis de santé empêchent, pour la première fois cette année, de nous accompagner aujourd’hui.
Je le fais d’autant plus que les femmes et hommes de progrès et de liberté sont singulièrement, en ces temps, exposés à la défense de son œuvre, ici, en Espagne et ailleurs. Nous lui souhaitons un rétablissement rapide.
23ème journée du Livre politique. C’est un événement à plusieurs titres.
Tout d’abord, nous sommes toujours heureux d’ouvrir les portes de notre grande institution à toute personne qui pense. Notre vie politique, la vitalité de notre démocratie, les réalisations de notre République, ne doivent pas être exclusivement soumises à la tyrannie de l’instant, d’un temps médiatique extrêmement court qui ne laisse que rarement place à l’analyse et à l’éclairage. Or, qu’aurions-nous accompli si la pensée et l’esprit n’avaient donné aux grandes intuitions des acteurs du quotidien la portée durable et historique que seule l’intelligence confère ? Qu’aurait-on construit de durable ? Action et réflexion doivent aller de concert.
Mais il y a plus. Je suis heureux de vous ouvrir aujourd’hui les portes de l’Assemblée nationale car de vous voir tous ensemble est déjà un succès. Je vois parmi vous des journalistes, des reporters qui ont vu le monde, ses malheurs et ses transformations ; je vois d’autres journalistes qui, de Paris ou d’autres villes, font un travail d’observation rigoureux et de décryptage de cette société fascinante qu’est la vie politique ; je vois des sondeurs qui, par un travail édifiant, au plus près de ce qu’est la France, tentent de photographier à chaque instant l’état d’un peuple, de ses aspirations, y compris, et c’est là le défi, dans ses constances et ses versatilités. Je vois des écrivains, des penseurs, des archéologues de l’âme humaine, qui savent que derrière une idée, derrière un concept, derrière une saillie créatrice, il y a d’abord une femme ou un homme dont les méandres et les expériences éclairent la pensée. Je vois aussi des femmes et des hommes politiques, qui assument ou ont assumé des mandats prestigieux, et qui se sont lancés dans cette exercice redoutable et courageux de partage de leur expérience.
Ils jettent une lumière parfois crue et parfois saisissante, sur ce moment où la politique rejoint l’Histoire.
Je vois enfin des personnes dont la vie, la carrière et les aspirations, qu’elles soient universitaires, sociales ou sportives, se tenaient loin de la politique et que le désir de savoir, de partager et de convaincre y ont mené.
Je vous vois tous ensemble. Toute la matinée, et cela se poursuivra tout au long de la journée, vous avez créé un espace de respiration exceptionnel dont nos fonctions ont absolument besoin. Et je sais que c’est cette respiration, cet air pur que l’exercice de la pensée ne manque jamais d’insuffler, que mes chers collègues membres du jury ont tant apprécié.
Nous avons besoin de cette respiration, c’est entendu. Qu’un pouvoir se coupe de la pensée, et il n’aura plus comme béquilles que la force nue ou l’arrogance qui l’est plus encore.
Mais nos concitoyens en profitent aussi, et, comme mes prédécesseurs à cette fonction, qui eux aussi accueillaient cette manifestation en ces murs, je demeure très attaché à cela. Les livres politiques, en racontant la vie politique dans toute sa vérité et toute sa sincérité, sans mensonge, sans censure, ne peuvent qu’améliorer l’image que les citoyens ont de leur représentation et des personnes qui les servent. Et nous devons faire le pari de favoriser cette transparence saine et exigeante. Confrontez nos actions, nos projets, nos idées au raisonnement, au débat ou à la mémoire, et c’est en élevant ainsi le débat politique que l’on crée de la confiance et que nous incarnons la volonté générale.
Bien entendu, on n’écrit pas tous les ans leLéviathan, les Lettres Persanesou leContrat social. Et, de toute façon, les jurys de cette journée n’ont pas comme vocation de se substituer à l’Histoire ou à la postérité. Non, l’objectif de ce prix reste de rendre accessible la reconnaissance d’un témoignage ou d’une analyse par le spectre de lecteurs le plus large possible.
C’est cette démocratisation réussie, d’année en année, que nous célébrons aujourd’hui. Je dis démocratisation, et surtout pas vulgarisation. A la lecture des ouvrages que les jurys ont pris en compte ou sélectionnés, je constate que nombre d’entre eux prennent le lecteur par la main et l’élèvent, l’entrainent dans une sphère de la pensée qui ne s’avère en rien facile ou démagogique, bien au contraire ! Les livres que nous honorons ne sont souvent pas des livres faciles, des livres marchandises pour propulser leur auteur sur le plateau d’une émission à la mode. Pas du tout. Les livres politiques que nous aimons, et c’est ce dont nous vous remercions, ne montrent aucun mépris ni aucune facilité pour le lecteur dont la première dignité est d’être un citoyen, et parfois l’historien de son propre peuple et de son propre destin.
Cette année, le thème était« trop ou pas assez de démocratie ? ». La démocratie se trouve en effet face à des défis immenses. La montée des extrémismes, des intolérances et de toutes les précarités la mettent à rude épreuve.
Et la France, cette magnifique et glorieuse nation politique, ne saurait sans se renier ne pas apporter des réponses au malaise que tout le monde ressent, partout dans nos régions, dans chaque village, dans chaque quartier. Qu’arrive-t-il à cette nation, dont le peuple citoyen inventa, lors d’une grande révolution commentée et admirée depuis dans le monde entier, le modèle moderne de la démocratie ? Qu’arrive-t-il à cette nation qui a su si brillamment lier la démocratie à la fraternité et à la solidarité ? Si la Grèce, un beau jour de 594 avant Jésus-Christ, a inventé la démocratie directe avec Solon, c’est la France de Danton, de Condorcet et de Saint-Just qui sut l’adapter aux défis des grands pays modernes. C’est elle qui sut appliquer cette grande idée de la souveraineté des peuples à la grandeur des Etats.
Cette grande réalité, elle fut d’abord une grande idée, débattue avec passion dans les cafés, les salons et les gazettes.
Et c’est cette émulation, cette effervescence, cette incandescence, que nous recréons chaque année en constatant cette audace à laquelle nous ne renoncerons jamais : l’ambition d’être dignes de nos ancêtres fondateurs d’un nouveau monde.
Car c’est un nouveau monde qui devra surgir de ces pages, et c’est un nouveau monde qu’il faudra fonder pour que, dans ce monde d’émergences, de duretés et de compétitions, vive longtemps ce qu’on appelle en France la réalité de notre modèle social. C’est cela la politique : rendre possible, rendre vivant, l’espoir de l’idéal.
C’est pourquoi jamais, je ne me lamenterai de ce qu’un livre nous bouscule et nous stimule. Les plus grandes révoltes commencent souvent par un livre. Ce sont parfois quelques lignes qui embrasent les Empires. Et il ne faut surtout pas que les mondes de la parole et de l’écrit, de l’action et de la pensée ne se croisent pas. Au contraire, tant que les souffrances nous rappellent à nos devoirs, les femmes et hommes politiques devront parler aux révoltes.
Femmes et hommes de l’esprit, sommes-nous dignes des révoltes de vos enfants ? Voilà la question redoutable qui, comme le miroir des contes de fées, renvoie une image qui ne saurait mentir.
Pour conclure, je félicite, bien sûr, nos lauréats qui viennent de recevoir leur prix : bravo à nos auteurs.
Et je rends hommage enfin sincèrement et chaleureusement à tous les membres des jurys, journalistes et parlementaires, qui ont pris de leur temps et de leur loisir pour se cultiver, pour réfléchir, pour s’indigner et pour partager avec nous tous le résultat de leur lecture éclairée.
Merci.