Journée du Livre politique
Hôtel de Lassay, samedi 7 février 2015, 12h50
Mesdames et Messieurs les députés, chers collègues,
Madame la Présidente du jury du Prix du Livre Politique 2015, chère Julia Kristeva,
Chers auteurs,
Mesdames et Messieurs les journalistes,
Mesdames et Messieurs,
Bienvenue à l’Assemblée nationale. Bienvenue à tous les visiteurs, toujours très nombreux à l’occasion de cette Journée annuelle du Livre politique, organisée de main de maître par l’association Lire la politique, et sa présidente, Luce Perrot, que je me permets de féliciter encore une fois.
Bienvenue à tous les intervenants et lauréats de cette journée, qui, en ce jour d’hiver, prennent le temps de rencontrer leurs lecteurs, leurs contradicteurs, mais aussi les personnalités politiques de leur pays, qui sont chargées, dans leur mandat et leur fonction, de faire vivre concrètement l’idéal politique des citoyens qu’ils représentent.
« Rassembler la France ». Cette année, le thème choisi pour animer la journée du Livre politique n’a jamais été si actuel.
Ce thème, il fut choisi avant les sanguinaires journées des 7, 8 et 9 janvier. Ce jour-là, il y a un mois, jour pour jour, nous nous en souvenons tous, et nous nous en souviendrons toujours, des tortionnaires ivres de fureur ont tenté de saisir d’effroi le peuple français.
La suite, vous la connaissez. Nous n’avons pas voulu sécher nos larmes, mais nous n’avons pas voulu pleurer transis de peur. Nous nous sommes levés, comme un seul homme, comme un seul peuple. Des millions de personnes ont envahi les rues de France, ses villes et ses villages, pour exprimer notre désir de fraternité, notre volonté de vivre ensemble, nous avons chanté la musique de la liberté, cette vieille chanson française, pour qu’une même voix, populaire et égalitaire, s’élève vers le ciel.
Le maître mot de Résistance était sur toutes les lèvres, avant ou après les couplets de la Marseillaise.
Quel thème, donc, que Rassembler la France. Qu’est-ce qui fut attaqué le 11 janvier ? Avant tout la France des Lumières, bien sûr, cette France que vous incarnez aujourd’hui à l’occasion de cette journée de débat, de colloques, de confrontation d’idées, d’analyses et de propositions. Vous recréez ces salons, ces cafés, ces tribunes, ces clubs du XVIIIème siècle, ces endroits mythiques où est née la Liberté française, que nos révolutionnaires surent ensuite élargir à tout un peuple et à toute une nation.
Ces lieux où l’étincelle de l’intelligence jaillit du stylographe, de la caricature, du pamphlet, de l’analyse, ou tout simplement de la conversation. La France des Lumières, pays impertinent et pays intelligent, pays du rire satirique de Voltaire et du génie politique de Rousseau, n’a pas flanché.
Et pourtant, que d’avanies elle subit, notre République. Qu’on le dénigre, notre contrat social, en voulant le soumettre à des cures de repentance, à des programmes de déclin.
Voilà une journée, aujourd’hui, qui redonne du baume au cœur, car analyser aujourd’hui, c’est espérer ce soir, c’est réaliser demain, c’est progresser toujours.
Aujourd’hui, vous parlez d’État Providence, cette spécificité de ce dernier siècle que nos aînés ont su ériger et que nous ne saurions vendre aux puissances de la cupidité et de l’avidité sans la plus grande lâcheté. Les grandes forces de l’individualisme, de l’ultra consommation, de l’externalisation de l’assistance et de la vente des actifs sociaux font l’objet de nos actions de résistance, elles ne doivent pas mutiler l’État Providence, qui est le garant sur tout le territoire, dans les quartiers les plus reculés comme au sein des populations les plus négligées, de l’assistance et de la stimulation de la République.
Aujourd’hui, vous parlez d’éducation et de culture. Il ne peut exister d’orphelin de la République. Son territoire doit être irrigué par ses écoles, par l’apprentissage de la lecture, par la réduction de l’échec scolaire. Trop d’élèves français sont freinés par la conviction que l’excellence n’est pas pour eux, que certaines écoles, certaines facultés, certaines grandes écoles, certains cursus sont réservés aux enfants de certains quartiers.
La République indivisible ne peut se satisfaire de l’existence de zones exclusivement bourgeoises, qui se réservent l’excellence, la culture et la beauté. Nous avons toujours tenté de lutter contre cette tendance moderne de construire des barrières éducatives et culturelles en développant l’éducation populaire, en ouvrant les perspectives culturelles. En tant qu’élu de la Seine-Saint-Denis, j’ai toujours constaté l’intérêt immédiat des enfants de nos quartiers populaires dès qu’on ne leur offre plus une sous-culture qui défoule, mais la grande culture qui stimule, celle des autres, celle de l’émancipation et de l’appel à toutes les élégances. Rien n’est trop grand, rien n’est trop beau pour les enfants de France. L’exemple tout récent de la Philharmonie, à la frontière de mon département, en est un exemple entre mille.
Que les enfants, que leurs parents, que les populations, des plus travailleuses aux plus humbles fréquentent les cours, les ateliers, les animations autour des grandes institutions culturelles pour que plus jamais, on n’identifie, dans notre pays, la délicatesse à une classe sociale. Délicatesse de sentir, délicatesse de penser, délicatesse d’agir.
Aujourd’hui, vous parlez de notre Histoire. L’esprit du 11 janvier, c’est d’abord la conscience d’un héritage. Autour de la place de la République comme partout en France, des millions de citoyens français ont chanté avec les mots, ont scandé avec les gestes de leurs glorieux aînés, de ceux qui n’eurent peur d’aucune tyrannie, sur le pont-levis de la Bastille en 1789, sur les barricades des Trois Glorieuses, dans les rues du pouvoir ouvrier de la Commune, dans les angles de rue de la Libération, à l’ombre des drapeaux rouges de mai 68. Mais comment douter une seconde que ce fil s’interrompe ? Mais comment des esprits injectés de sang ont pu imaginer une seconde que cet héritage allait plier face à leurs tentatives de ravages et de haine ?
Aujourd’hui, vous parlez de notre République. Ses institutions ont montré leur solidité, et ses promesses n’ont pas varié.
A nous, chacun à notre poste, de nous montrer dignes d’elle, et de ne jamais céder à aucune facilité, à aucun déterminisme, à aucun laxisme.
Bref, aujourd’hui, nous parlons de choses hautes et utiles. Je salue la philosophie de ce prix.
Ce prix n’est pas, contrairement à d’autres manifestations qui organisent des concours politiques futiles, une foire, c’est la récompense d’une pensée, d’une analyse, d’une vision d’avenir. C’est la récompense d’un ouvrier de l’esprit qui apporte sa pierre à l’édifice républicain. Tout le contraire de récompenses personnelles déconnectées des valeurs, des principes et de l’exigence. Ici on réfléchit. On aime la pensée qui élève, pas la mode qui rabaisse. On n’est pas là pour s’échanger des brevets de respectabilité ou de bonne conduite, on n’est pas là pour ne pas transiger avec certaines valeurs. Après, un jour, ce sera trop tard.
Les livres distingués cette année, que ce soit par les députés ou par les journalistes, insufflent à l’opinion française la rigueur des démonstrations réussies. La parole présidentielle de Joseph Daniel déconstruit la mécanique du discours présidentiel surplombant en mettant en lumière ce lien indéfinissable entre le pouvoir et le peuple qui lui donne et sa puissance et sa légitimité. Si les livres de Denis Tillinac et de Béatrice Gurrey fournissent des éclairages saisissants sur le lien présidentiel avec la France de Jacques Chirac, le Mal napoléonien de Lionel Jospin plonge dans les méandres d’une épopée dont on sort saisi et éclairé.
Quant à Hubert Védrine et la France au défi, les Français sont désormais attachés à sa lucidité dans l’analyse des équilibres internationaux, dont il n’est plus possible de se passer.
Pour finir, je remercie chaleureusement la philosophe Julia Kristeva d’avoir accepté de présider le jury du Livre politique. Qui pouvait le faire avec plus de brio et d’autorité qu’une figure du féminisme contemporain, à l’influence confondante sur les penseurs du monde entier de l’émancipation des femmes, à commencer par Judith Butler qui vous a consacré un long chapitre dans son désormais culte Trouble dans le Genre ? Tous vos travaux, à l’articulation de la littérature, de la poésie, de la sémiotique et de l’Histoire, ont permis tant de passerelles entre les sciences et les domaines de pensée qu’à vous lire, on ne sait si c’est l’Histoire qui est poétique ou si c’est la poésie qui fait l’Histoire. En tout cas, comme toute personne qui pense, comme toute personne qui veut mettre ses idées et son idéal au service de toutes les libérations, vous êtes, vous et vous tous, ici chez vous.
Merci à tous.