Journée du Livre politique
Hôtel de Lassay, samedi 12 mars 2016, 12h50
Mesdames et Messieurs les parlementaires, chers collègues,
Monsieur le Président du jury du Prix du Livre Politique 2016, M. Costa-Gavras,
Chers lauréats,
Mesdames et Messieurs les journalistes,
Mesdames et Messieurs les auteurs,
Mesdames et Messieurs,
Bienvenue à l’Assemblée nationale. Bienvenue à tous les visiteurs, toujours très nombreux à l’occasion de cette Journée annuelle du Livre politique, organisée avec brio par l’association Lire la politique et sa présidente, Luce Perrot, que je me permets de féliciter encore une fois.
Permettez-moi avant d’aller plus loin de saluer avec chaleur, reconnaissance et émotion la mémoire de notre ami le sénateur Claude Estier qui était vice-président de l’association Lire la politique dès 1991. Claude Estier représentait tout ce que nous recherchons tout au long de cette journée, l’alliance de la tribune et de la plume, la recherche du mot juste, du mot embrasant l’action populaire comme un poète embrase la mélodie de la phrase. Grand journaliste, ce grand résistant mit au service de la cause du peuple tout son talent, tout son amour de la langue et des idées, et quelle plus belle occasion que la journée du Livre politique pour le rappeler.
Bienvenue à tous les intervenants et lauréats de cette journée qui prennent le temps de rencontrer leurs lecteurs et leurs contradicteurs. Bienvenue aussi aux personnalités politiques de leur pays qui sont chargées de faire vivre concrètement l’idéal politique des citoyens qu’elles représentent.
« Que sera la politique demain ? ». Belle question sur laquelle la Journée du Livre politique nous invite aujourd’hui à nous pencher à l’occasion de sa 25ème édition. Cet anniversaire nous conduit à évoquer quelques souvenirs.
Quelle sera la politique demain ? C’est une question que nous nous sommes souvent posés. Souvenez-vous. Il y a 25 ans, en 1991, l’épopée historique nous précipitait dans un monde nouveau. Cette année-là, l’URSS s’effondrait alors que l’Union européenne naissait. Le vide de l’inconnu était immense, les défis lancés par l’Histoire extraordinaires. « Que sera demain le monde ? Comment agir sans repères ? », ces questions étaient sur toutes les lèvres. Mais, alors que nous regardions d’un air ébahi la désintégration d’un monde que nous croyions immuable, nous travaillions avec acharnement à Maastricht pour bâtir l’avenir et faire renaître l’espoir de la construction d’un monde meilleur, uni et fraternel.
Comme les soubresauts de 1991 nous interrogeaient sur l’avenir de la politique, les évènements de l’année passée, cette année de souffrance et de résistance, nous replacent dans une situation de doute. L’année 2015, en apportant sur notre sol fureur, larmes et colère, a lancé à nos consciences et nos esprits un défi sans précédent. Pour ses 25 ans, la Journée du Livre politique a donc trouvé un thème à la hauteur des attentes de la France.
En 2015, des tortionnaires ivres de fureur ont voulu embraser notre pays, saisir d’effroi notre peuple, détruire notre intelligence. Et, face à cela, qu’avons-nous fait ? Nous avons chanté la musique de la liberté, cette vieille chanson française et dévoré Rousseau, Voltaire, ces vieux chantres de l’analyse, de l’indépendance. Nous avons pavoisé nos fenêtres avec nos ancestrales couleurs et redécouvert avec fierté les paroles de la Marseillaise. Surtout, politiques, journalistes, écrivains, artistes et citoyens, nous avons rouvert les tiroirs de l’Histoire, notre histoire, pour en tirer les épisodes qui font de la France une glorieuse nation. Les mots de Résistance, de Révolution, de Lumières étaient sur toutes les bouches.
L’année 2015, marque la prise de conscience d’un héritage. Et quel poids, pour les institutions, les personnalités politiques, pour les informateurs, les commentateurs, pour tous les citoyens, de faire vivre et de se montrer dignes, à chaque instant, de ce si noble patrimoine ! Car la France n’est pas un pays comme les autres. Il est le lieu de l’invention d’un idéal politique porté par les Lumières et, surtout, le lieu de la traduction des idées de liberté, d’égalité et de fraternité dans une République laïque.
Quand nos glorieux aînés ont écrit puis voté la Déclaration des droits de l’homme, ils l’ont considérée comme un texte sacré, transcendant, éternel. Les peuples de la terre créaient leur propre ciel.
C’est pourquoi nous avons besoin de vous, écrivains, journalistes, commentateurs de l’Histoire qui est en train de se faire. Vous jetez une lumière parfois crue mais souvent saisissante, sur ce moment où la politique rejoint l’Histoire. Vous êtes la conscience civile de notre pays, la preuve que les Lumières du XVIIIe siècle ne s’éteindront jamais, l’incarnation du bouillonnement intellectuel qui anime nos villes et nos villages. Confrontez nos actions, nos projets, nos idées au raisonnement, au débat ou à la mémoire. C’est en élevant ainsi le débat politique que l’on crée de la confiance et qu’émerge des luttes entre les idées, la volonté générale de l’action.
En ces temps où tout semble si trouble, nous avons besoin que des mots justes guident nos actions. Des mots justes, et pas des slogans. Des idées, et pas des humeurs.
Il faut, plus que jamais, qu’action et réflexion aillent de concert, que les mondes de la parole et de l’écrit s’entrelacent. Ainsi, nous apporterons des réponses politiques au malaise que tout le monde ressent. C’est cela, la France que l’on aime. Quelquefois, nous avons peine à la reconnaître. Nous savons que les citoyens sont souvent en colère, qu’ils peinent à retrouver confiance dans celles et ceux qui leur parlent, dans celles et ceux qui écrivent, dans celle et ceux qui commentent. Et qu’on ne se leurre pas : nous sommes tous, politique et journalisme, monde de l’esprit et monde de l’action, dans le même bateau. La colère et l’abstention s’adressent à un certain monde, et pas à des institutions qui, elles, tiennent et protègent. Qui peut dire ici que le monde politique n’a pas fait sa part du chemin dans l’exigence légitime de transparence ? Après les scandales que nous avons connus, nous avons voté des lois drastiques, constitué des Hautes Autorités, nous avons ouvert les portes et les fenêtres, allumé la lumière partout.
Il y eut des résistances, il y eut des récupérations, mais qui peut dire que d’immenses progrès n’ont pas été faits ? Et pourquoi, si souvent encore, pour de trop évidentes raisons commerciales, se lancer dans la machine à calomnies, à raccourcis, à informations sélectives, voire même aux mensonges pas toujours par omission, bref, dans la machine à détruire la politique ?
Il faut que nous devenions tous plus sages. Les auras qui entouraient encore il y a quelques décennies les mondes politiques et journalistiques se sont dissipés. Que les citoyens nous voient comme nous devrions être : des personnes professionnelles, humbles, rigoureuses, à leur service et à leur service seulement. L’appel à la responsabilité légitimement lancé aux responsables politiques doit être élargi aux médias, pour que triomphent les principes fondateurs de notre République éclairée, apaisée, populaire.
J’ai l’espoir que nous recréerons ici, chaque année, cette effervescence à laquelle nous ne renoncerons jamais : l’ambition d’être digne d’une idée si française de refondation et de libération populaires.
Il est des livres politiques qui bouleversèrent la face du monde. La République de Platon, Les Lettres persanes de Montesquieu, le Contrat social de Rousseau, le Capital de Marx, bien d’autres encore. Bien entendu, nous ne cherchons pas ici de tels marqueurs de l’Histoire. Non, ce que nous voulons, c’est un regard intelligent sur le monde.
Et Mesdames et Messieurs les jurés, vous avez décidé, cette année encore, de sélectionner deux œuvres à la vision éclairante. J’en profite pour féliciter nos lauréats, Monsieur Jean d’Ormesson pour le Prix des Députés et Monsieur Alain Minc pour le Prix du Livre politique. Monsieur d’Ormesson, ce récit d’une vie que vous déroulez sous nos yeux est savoureux. Vos mots nous baladent avec jubilation d’un point à l’autre du globe et nous font pénétrer avec délice dans les coulisses de la mythique Ecole normale, du Figaro, de l’Académie. Vous nous offrez la lecture d’une vie houleuse et heureuse, et nous vous en remercions. Vous traversez un siècle avec esprit.
Je voudrais également remercier chaleureusement Monsieur Costa-Gavras pour avoir accepté la présidence du jury du Livre politique de cette 25e édition.
Qui d’autre mieux que vous pour incarner cet engagement sans faille de l’intellectuel déstabilisant contre un pouvoir débordant ? Vous qui avait su se faire rejoindre la politique et l’Histoire. Vous qui avez su montrer avec tant de beauté que le combat de la liberté se gagne contre chaque instant. La matière résiste, alors l’esprit vole.
Au moment de conclure, et puisque je vous ai tant parlé de liberté, il me revient en mémoire qu’il y a 25 ans, l’année de la première édition de cette journée, le prix Nobel de la Paix était décerné à l’opposante birmane Aung San Suu Kyi qui a mis sa force, ses idéaux, sa liberté propre au service de l’affranchissement de son peuple, du renouveau de la politique de son pays et de son retour sur la scène de l’Histoire. Que son combat donne l’exemple à notre jeunesse de continuer à se battre pour vivifier et magnifier nos valeurs, quand d’autres essaieront encore de les détruire.
Merci.