70e anniversaire de la libération d’Auschwitz-Birkenau

Intervention de M. le Président

Séminaire de lycéens et collégiens

sur la transmission de la Shoah

70e anniversaire de la libération d’Auschwitz-Birkenau

Mercredi 28 janvier 2015, 12h

Hôtel de Lassay

Mesdames, Messieurs les représentants des lieux des mémoires,

Mesdames, Messieurs les enseignants,

Chers amis ambassadeurs lycéens et collégiens,

Mesdames, Messieurs,

Bienvenue à l’Assemblée nationale. Vous êtes ici chez vous. C’est la maison du peuple français, le peuple français qui, dans une démocratie, vote les lois que régissent ses conditions de vie à travers ses représentants. Le peuple français qui, dans une République, constitue une entité composée de citoyens égaux, égaux devant la loi, égaux devant le droit au bonheur, égaux en droits et en devoirs.

Le peuple français qui, plusieurs fois au cours de son Histoire, sut montrer au monde ce que c’est que se révolter pour vivre libre, ce que c’est que résister pour abolir le joug des tyrannies, ce que c’est que se lever, quand on est des millions, la Marseillaise aux lèvres, le drapeau tricolore à la main, et dans la cœur, l’amour d’une patrie.

Ils avaient votre âge, souvent au cours de l’Histoire, un peu plus la plupart du temps. Certains ont l’âge de Gavroche, d’autres de Guy Môquet, Ils avaient votre âge, pour certains, ceux qui prirent la Bastille, ceux qui entrèrent dans les maquis de la Résistance, ceux qui montèrent à l’assaut d’une barricade. Ils avaient votre âge, et, fort heureusement, ils se sont battus pour vous, pour qu’à votre âge justement, on étudie, on aime et on respire librement sans devoir se cacher, se battre et disparaître.

Vous êtes la jeunesse de la France.

Et je me réjouis de votre présence en ce jour, comme je me réjouis de l’événement qui nous lie.

Dans la cadre de la journée internationale de la mémoire de l’Holocauste et de la prévention des crimes contre l’humanité, et sous l’égide du mémorial de la Shoah et de l’Office national des anciens combattants et des victimes de guerre, ce séminaire consacré aux jeunes contre l’oubli est un événement pour vous, un honneur pour les intervenants, et une grande fierté pour nous, vos représentants. En effet, en liant un lieu d’Histoire et un groupe d’élèves, le principe de votre action est aussi courageux qu’efficace. Courageux, car il vous met face à face, de manière palpable, tangible, avec un moment douloureux de notre Histoire. Vous le regardez, vous le sentez, vous le touchez, et je vous félicite pour cela. Efficace, car, si jeunes encore, il inscrit en vous, dans votre cÅ“ur, la gravité d’une nécessité qui, si elle est ancienne comme l’événement et éternelle comme la République, n’en est pas moins toujours urgente : transmettre, témoigner, raconter ce que l’on sait, ce que l’on lit, ce que l’on comprend d’une tragédie qui n’est pas un crime parmi d’autres crimes, mais le crime le plus ignoble de l’histoire de l’humanité. L’outrance de ce crime est d’abord celui d’un crime de masse, bien sûr.

Vous connaissez les chiffres, abyssaux, dépassant l’entendement, et couvrant ce moment d’Histoire de l’abjection la plus noire. Mais, au-delà du crime de masse, il y a le crime d’une civilisation. 

La Shoah fut le produit d’un des pays les plus éclairés qui soient, d’un pays qui avait des chaires universitaires prestigieuses, des artistes merveilleux, des philosophes immortels, des musiciens qu’on écoute encore, des historiens qu’on lit encore. Pourquoi alors ? Cette question, vous devez vous l’approprier. Petit à petit, au fur et mesure de vos expériences politiques, de votre conscience citoyenne, de vos lectures, de vos indignations, de vos confrontations face à l’injustice, vous construirez des réponses. Des réponses de citoyens. Des réponses, avant tout, pour que cela ne se reproduise jamais.

Simone Veil, dont le nom est écrit en lettres d’or dans l’histoire de notre hémicycle, qui connut le camp d’Auschwitz, dans une lettre qu’elle vous a adressée, parle de la « vigilance Â»,vertu que vous devrez désormais exercer. En effet, c’est le mot clef.

La vigilance, c’est comprendre que rien n’est acquis, que si vous vivez dans un pays qui porte en lui la Déclaration des Droits de l’Homme et des concepts magnifiques aux frontons de ses institutions, des esprits de haine le guettent toujours.

Il y a quelques jours, vous vous en souvenez, la barbarie, après avoir assassiné des journalistes libres et des policiers républicains, a abattu des citoyens anonymes, Philippe Braham, Yohan Cohen, Yoav Hattab, François-Michel Saada, uniquement parce qu’ils étaient juifs. En rendant hommage aux 75000 juifs de France déportés par le régime de Philippe Pétain et de Pierre Laval, la France n’oublie pas qu’elle enterre aussi, qu’elle enterre encore, des victimes contemporaines.

Non, vous n’êtes pas des enfants d’une époque froide, qui ne vous laisserait que des commémorations à célébrer et des événements à étudier. Vous êtes les contemporains d’une époque qui n’est compliquée que si on ne l’étudie pas, d’une époque qui n’est violente que si on n’a pas le courage d’opposer les valeurs de la République à cette violence, d’une époque qui n’est oublieuse que si on ne prend pas tout le temps nécessaire pour faire ce que vous faîtes aujourd’hui. Dans cette époque, si l’on s’ennuie, c’est qu’on n’a pas ouvert les yeux, c’est qu’on n’a pas tendu l’oreille, c’est qu’on est avachi devant un miroir, et pas penché à une fenêtre.

A partir de l’exemple de Drancy, vous avez étudié l’univers concentrationnaire. Le 20 janvier 1942, une quinzaine de hauts fonctionnaires allemands réunis dans une villa de Berlin autour de Reinhard Heydrich, chef de l’Office central de la sécurité du Reich, décide des modalités d’application de, je cite, « une solution finale à la question juive». La décision politique avait déjà été prise par Hitler, Goering et Himmler.

Hier, les plus hautes autorités de notre République ont rendu hommage aux victimes de la Shoah, notamment du million de morts du camp d’Auschwitz-Birkenau. Lorsque l’Armée rouge libère le camp le 27 janvier 1945, elle découvre 7000 survivants, trop faibles pour avoir été entraînés par les débris de l’armée nazie dans un dernier exode vers l’enfer.

Cela n’arrivera plus, si vous décidez que cela n’arrive plus. Vigilance vous dit Simone Veil.

Vigilance contre ceux qui veulent dégrader l’esprit public, vigilance contre ceux qui veulent que vous haïssiez des catégories entières de la population, qui veulent nous diviser, nous compartimenter, nous ghettoïser, nous étiqueter, nous parquer. Vous êtes citoyens d’une République indivisible. Ce n’est pas un concept abstrait.

C’était si concret pour nos révolutionnaires, pour nos fondateurs, pour Danton, pour Condorcet, pour Saint-Just, pour Robespierre : si vous êtes nés sur un territoire singulier, avec sa culture, ses traditions, sa beauté, il y a, à l’articulation de cette terre et de votre partie, une conscience commune plus haute, celle d’un destin commun, que rien ne pourra réduire, et qu’on appelle l’indivisible République.

Vigilance contre l’apathie, vigilance contre le silence, vigilance contre la paresse. Non, on ne peut se contenter de voir ce qui se passe dans le monde, dans son pays, et de goûter tranquille un repos égoïste et solitaire. Non, l’Histoire vous rattrapera toujours, avec ses souffrances, ses injustices et ses larmes.

Et qu’est-ce que l’engagement, qu’est-ce que la politique, qu’est-ce que la République, si ce n’est tout faire, tout, jusqu’à la dernière énergie, pour apaiser ces souffrances, pour créer les conditions de la solidarité. Bref, en un mot, pour transformer les larmes d’hier en sourires de demain.

Le premier acte de résistance contre l’antisémitisme, le premier acte de résistance contre l’intolérance, c’est la conscience que l’on a des yeux pour voir, des mains pour dire stop, et une voix pour crier ses idées.

Engagez-vous lycéens de France, partagez vos connaissances, écrivez, chantez vos analyses, partagez un idéal, regardez le ciel, et fertilisez la terre. Vous n’oublierez jamais vos ancêtres parce que vous aimez déjà vos enfants, ceux qui naîtront un jour, ceux qui ne vous remercieront jamais assez de vous être battus pour que jamais, on méprise leur droit à une vie libre.

Bravo à tous.

Merci à tous.