Discours de Monsieur Claude BARTOLONE,
Président de l’Assemblée nationale de la République française
Dakar, le 23 mars 2013
Monsieur le Président,
Monsieur l’Ambassadeur,
Mesdames et Messieurs les Ministres,
Mesdames et Messieurs les vice-présidents et députés de l’Assemblée nationale,
Chers amis,
Chers invités,
C’est toujours un honneur pour un Président de l’Assemblée nationale française que de décorer son homologue d’un pays proche et ami, qui plus est lorsqu’il s’agit d’une personnalité exceptionnelle.
Je suis donc particulièrement heureux de vous remettre dans quelques instants les insignes de Grand Officier de l’Ordre National du Mérite, dignité à laquelle le Président François Hollande lui-même a souhaité vous élever à l’occasion de sa visite à Dakar le 12 octobre dernier, réparant par là d’ailleurs une certaine injustice.
Voici plus de quarante ans en effet, Monsieur le Président, que la France ne vous avait pas décoré, depuis que le Président Georges Pompidou vous avait remis, en 1972, l’insigne de Chevalier de la Légion d’honneur. Quarante-et-une années au cours desquelles vous avez confirmé les mérites et qualités qui justifient enfin ce soir votre élévation à la dignité de Grand Officier de l’Ordre national du Mérite.
Car votre parcours politique, Monsieur le Président, est d’une longévité et d’une richesse exceptionnelles, vous qui avez exercé les plus hautes responsabilités auprès des trois premiers Présidents de la République du Sénégal. A commencer par le premier d’entre eux, Léopold Sédar Senghor, le mentor, avec qui vous entretenez une relation quasi-filiale, dont vous rejoignez le parti politique alors que vous n’êtes encore qu’étudiant, et qui vous transmettra son goût pour l’action publique.
Signe de l’estime et de la confiance que le Président Senghor vous portait, vous avez été son Directeur de cabinet pendant près de dix ans, de 1970 à 1979, avant de devenir Ministre de l’Urbanisme.
Vous avez été à deux reprises Ministre des affaires étrangères, sous les présidences de Senghor puis de Diouf, pendant près de dix années au cours desquelles vous avez incarné la politique étrangère sénégalaise, et contribué, au sein des organisations africaines et internationales (ONU, OUA, OCI) aux tentatives de résolution des grands enjeux internationaux du moment tels que l’Apartheid, le dossier Palestinien, ou encore, la guerre entre l’Iran et l’Irak.
Vous avez également été par deux fois le Premier Ministre de la République du Sénégal, d’abord sous la Présidence d’Abdou Diouf, qui vous confia le soin de conduire la réforme constitutionnelle, puis sous celle d’Abdoulaye Wade, qui vous proposa, après onze mois de direction du Gouvernement sénégalais, d’intégrer son parti, le Parti Démocratique sénégalais (PDS) – offre que vous déclinez préférant vous présenter, avec succès, aux élections législatives d’avril 2001.
Parallèlement à votre carrière politique, vous connaissez également le succès en tant qu’homme d’affaires lorsque dès que vous investissez, à partir de 1984, dans des activités du secteur privé. Vous fondez tour à tour un cabinet de consultant juridique international et un groupe opérationnel financier composé de six sociétés spécialisées dans des domaines aussi variés que le négoce de pétrole brut, les assurances, ou encore, les transports.
Toutefois, votre fibre politique et votre sens de l’engagement au service de l’intérêt général ont toujours été un fil rouge de votre parcours.
Vous n’êtes encore qu’un jeune étudiant lorsque vous embrassez votre destin politique. A vingt-et-un ans vous devenez Président de l’Union nationale des Etudiants du Sénégal, avant d’exercer des responsabilités au sein de l’Union progressiste sénégalaise (UPS), devenue ensuite Parti Socialiste, dont vous serez le Secrétaire national chargé de la Vie politique du Parti pendant dix-huit ans.
Et c’est animé par le même idéal de démocratie, de justice et de développement qui a présidé à votre engagement militant des premières heures, que vous lancez, en juin 1999, votre appel à la Nation sénégalaise intitulé « j’ai choisi l’espoir ».
Cet appel de juin est l’acte fondateur de votre parti, l’Alliance des Forces de Progrès, l’AFP, sous les couleurs duquel vous vous présentez aux élections présidentielles de 2000. Vous arriverez en troisième position, après le Président Abdou Diouf et Maître Abdoulaye Wade.
C’est également sous la bannière de l’AFP que vous êtes élu Député lors des élections législatives de 2001.
Candidat à nouveau aux présidentielles de 2007 et 2012, vous êtes ensuite la tête de liste de la coalition Benno Bokk Yaakaar, qui remporte les élections législatives du 1er juillet 2012. Vous êtes élu dans la foulée président de l’Assemblée nationale sénégalaise à une écrasante majorité de 126 voix sur 146 votants.
Pour parvenir aux hautes fonctions qui sont les vôtres, vous avez suivi un parcours que je qualifierais d’exemplaire, et qui porte la marque des liens toujours féconds qui unissent la France et le Sénégal.
Originaire de Keur Madiabel dans la région du Sine-Saloum, vous effectuez vos études secondaires au Lycée Faidherbe de Saint-Louis, avant d’intégrer l’Université de Dakar. Puis, vous faites le choix – que je ne peux qu’approuver ! - de partir étudier à Paris, au sein de la prestigieuse Université de droit Panthéon-Assas. Licencié en droit, diplômé de l’Institut d’Etudes du Développement économique et social de l’Université de Paris, vous poursuivez ces brillantes études en intégrant l’ENA au Sénégal, dont vous sortirez major de promotion en 1967.
Homme de lettres, vous avez été nourri par vos lectures de Léopold Sédar Senghor, Cheikh Anta Diop mais également par les œuvres d’auteurs français comme Lamartine ou Alexandre Dumas.
Passionné par l’histoire de l’humanité et des cultures du monde en général, vous êtes aujourd’hui reconnu comme un spécialiste de l’histoire et des civilisations de la Grèce et de la Rome antique.
Mais comment parler de vous et de votre réussite, Monsieur le Président, sans évoquer votre famille, représentée ici ce soir notamment par votre femme. Depuis près de quarante ans, en effet, Madame Marianne Niasse vous soutient et vous accompagne, dans les moments de joie, comme dans les épreuves. Quatre de vos six enfants sont également parmi nous ce soir - vos enfants qui ont tous réalisé de brillantes études au Sénégal, aux Etats-Unis, au Royaume-Uni, et surtout - suivant en cela la voie que vous leur avez heureusement tracée - en France.
Votre profil hors normes vous vaut d’être connu et reconnu bien au-delà des frontières du Sénégal, et d’être sollicité à de nombreuses reprises par les plus hautes autorités internationales. Pressenti et proposé en 1996 au poste de Secrétaire Général de l’Organisation des Nations-Unies, vous prenez l’initiative de vous retirer, car il y avait quatre autres candidatures, toutes africaines.
Il n’est pas possible de citer ici de manière exhaustive les nombreuses missions auxquelles vous avez pris part, sur mandat du Secrétaire général de l’ONU, ou encore, du Secrétaire général de la Francophonie.
Je mentionnerai toutefois le rôle que vous avez joué, en tant qu’Envoyé Spécial du Secrétaire général de l’ONU pour le processus de paix en République Démocratique du Congo, dans la négociation qui a abouti à l’accord de paix de Pretoria de 2002.
Enfin, votre expertise et votre stature internationales expliquent aisément que nombre de Chefs d’Etat africains aient fait appel à vous en tant que Conseiller spécial, et que vous soyez par ailleurs titulaire de décorations conférées par plus de 56 pays dans le monde !
Ce soir, c’est la France qui vous décore une nouvelle fois, en reconnaissance de votre parcours exemplaire, au cours duquel nous avons toujours trouvé en vous un interlocuteur attentif et ouvert, soucieux de renforcer les liens d’amitié séculaire entre nos deux nations. Je sais que vous avez à cœur de prolonger cette coopération féconde dans le cadre des responsabilités que vous assumez désormais à la présidence de l’institution parlementaire.
A travers vous, nous souhaitons également rendre hommage à la démocratie sénégalaise, incarnée par l’Assemblée nationale que vous présidez. Cette Assemblée, presque paritaire, illustre le dynamisme de la démocratie au Sénégal, et vous en êtes l’une des personnalités phares.
Cet hommage qui vous est rendu augure, je l’espère, d’une coopération encore plus étroite et encore plus amicale entre nos deux pays pour relever nos défis communs : le rapprochement de nos populations, le développement économique, le renforcement de nos synergies politiques en Afrique et dans les enceintes multilatérales.
Monsieur le Président, Cher Moustapha,
Nous ne nous connaissions pas avant mon arrivée il y a 48H à Dakar. Mais je dois vous dire que c’est avec un profond respect et une grande amitié que je m’apprête à repartir, après avoir découvert les multiples facettes de votre personnalité et la richesse de votre parcours.
Vous êtes à un moment de votre vie qui vous permet, je crois, d’incarner mieux que quiconque aujourd’hui dans votre pays, la figure du passeur.
Oui, vous êtes ce passeur dans un monde en plein bouleversement. Ce monde de l’après guerre que vous avez connu avec ses certitudes, ses blocs, ses idéologies. Et ce monde nouveau, qui s’est ouvert désormais, auquel vous apportez toute votre expérience, votre connaissance, votre sagesse.
Vous êtes aussi ce passeur qui permet à la démocratie sénégalaise d’avoir un temps d’avance sur bien d’autres démocraties en favorisant l’émergence de nouvelles générations mais surtout en défendant toujours la cause des femmes en politique avec une Assemblée strictement paritaire. Nous avons bien des leçons à retenir sur le vieux continent. Je garderai en particulier en mémoire cette belle parabole du manguier dont vous m’avez parlé. « Lorsque tu manges une mangue, pense aussi à en replanter pour répondre aux besoins de tes frères et sœurs. »
Vous êtes aussi ce passeur qui accompagne le continent africain depuis de très nombreuses années pour lui permettre d’avoir enfin la place qui lui revient de droit sur la scène internationale.
C’est donc aujourd’hui autant l’Homme, l’élu que le passeur que je suis très heureux de décorer aujourd’hui.
Au nom du Président de la République française, François Hollande, je vous remets les insignes de Grand Officier de l'Ordre National du Mérite.