Cérémonie en hommage à Lucien Neuwirth

Cérémonie de présentation du timbre édité à l’occasion du 50e anniversaire de la loi Neuwirth
Mercredi 8 février, 18h – Hôtel de Lassay

 
Madame la Ministre, chère Marisol TOURAINE,
Madame la Présidente de la délégation aux droits des femmes, chère Catherine COUTELLE,
Mesdames et Messieurs les députés, mes chers collègues,
Mesdames, Messieurs,

Bienvenue à l’hôtel de Lassay, bienvenue à l’Assemblée nationale.

Nous sommes réunis aujourd’hui pour célébrer, à travers le très beau timbre édité en son honneur, le cinquantième anniversaire de la loi NEUWIRTH, qui en 1967 légalisait – enfin ! – la contraception.

Sur ce timbre, nous voyons trois femmes, trois générations : le temps nécessaire à l’entrée dans les mœurs de la liberté au féminin, dont la loi NEUWIRTH a marqué le coup d’envoi.
Il faut se souvenir de la situation de 1967. La législation en vigueur, votée le 31 juillet 1920, interdit purement et simplement non seulement l’avortement, mais aussi la contraception sous toutes ses formes, et même ce qu’on appelle alors la « propagande anticonceptionnelle ». Les sanctions prévues sont lourdes. A cette époque, les femmes risquent non seulement la prison, mais  aussi leur vie, lorsqu’elles se trouvent confrontées à des grossesses non désirées. Et quand elles n’ont pas le choix, elles sont bien souvent seules à porter  le poids de cette grossesse.

Voilà déjà quelques années que des parlementaires, des hommes politiques, tentent de faire avancer les consciences et la législation. Deux ans plus tôt, pendant la campagne présidentielle de 1965, François Mitterrand s’est déclaré favorable à la légalisation de la contraception orale. Le général de Gaulle, choqué, avait alors eu cette phrase restée célèbre : « La pilule ? Jamais ! (…) Nous n’allons pas sacrifier la France à la bagatelle ! ».

Mais il y a parmi les hommes politiques de cette époque un jeune député un peu particulier.
Il s’appelle Lucien NEUWIRTH. Depuis le 18 juin 1940, où, à seize ans, il s’est dressé pour répondre à l’appel du général, il accompagne Charles de Gaulle, d’abord dans la Résistance, puis dans la politique, au RPF. C’est un homme entier, un homme de convictions, un homme de combats.

A Londres déjà, il avait découvert le contrôle des naissances, la contraception en vente libre dans les pharmacies britanniques. Comme conseiller municipal, puis adjoint au maire à Saint-Etienne, sa ville natale, le voilà maintenant confronté aux détresses du monde ouvrier ; il rencontre ces femmes qui connaissent des grossesses non désirées, il voit ces vies subies, parfois brisées. Il fait aussi la connaissance du mouvement « Maternité heureuse », créé en 1956 et ancêtre du Mouvement Français pour le Planning Familial que vous présidez, chère Véronique SEHIER. L’injustice, l’iniquité de la loi de 1920, elle est là sous ses yeux, et dès cet instant, il se fait une promesse : cette loi injuste, il faudra l’abroger.

L’année suivant la campagne de 1965, le député de la Loire en fait sa mission. Le 18 mai 1966, il dépose une proposition de loi longuement mûrie pour abroger la loi de 1920 et autoriser la contraception.
Rien n’est laissé au hasard : le 18 mai, c’est le jour de l’anniversaire de Lucien NEUWIRTH, qui veut ainsi montrer, face à ceux qui l’accusent du contraire, son respect inaltérable de la vie. Lui, c’est au nom de la justice qu’il se bat, au nom de l’égalité et de la liberté de choisir sa propre vie.

Mais dans cette France des années 1960, encore très conservatrice, le chemin est périlleux. Pour passer à l’étape suivante, le député doit encore convaincre le président de la République : le général de Gaulle, qui a exprimé sans équivoque son hostilité au contrôle des naissances. Au cours d’une longue conversation à l’Elysée, qui dure près d’une heure, Lucien NEUWIRTH plaide la cause des femmes et de la liberté ; le président écoute, sans répondre. Finalement, le député tente un dernier argument : les femmes à qui le général de Gaulle avait donné le droit de vote ne peuvent pas être « des demi-citoyennes » ; après les droits politiques, doivent venir les droits sociaux. Il emporte enfin la conviction de Charles de Gaulle qui lui répond : « C’est vrai, transmettre la vie, c’est important. Il faut que ce soit un acte lucide ; continuez ! ».

Le mercredi suivant, le président demande que la proposition de loi NEUWIRTH soit inscrite à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale.

La machine est alors lancée, mais la victoire n’est pas tout près. Les débats à l’Assemblée sont houleux : Lucien NEUWIRTH est en butte à l’hostilité d’une partie de la majorité à laquelle il appartient, il est attaqué personnellement, surnommé « Lulu la Pilule », ou encore « l’immaculée contraception ». Mais le député ne renonce jamais. Lui qui a survécu à un peloton d’exécution allemand en 1945 se sait capable d’aller jusqu’au bout, dans ce combat-là comme alors à la guerre. Il sait aussi qu’il n’est pas seul dans ce combat : avec lui, d’autres députés, notamment de gauche, et en particulier la députée Jacqueline THOME-PATENÔTRE, membre de la fédération de la gauche démocrate et socialiste à l’Assemblée nationale, défendent avec vigueur et opiniâtreté le droit de contrôler sa fécondité et sa vie.

La commission spéciale constituée pour l’examen de la proposition de loi NEUWIRTH auditionne tous les acteurs compétents : médecins, biologistes, dont les éminents professeurs François JACOB et Jacques MONOD, mais aussi associations, autorités religieuses, ou personnalités qualifiées telles que l’économiste Alfred SAUVY ou le sociologue Pierre BOURDIEU. Peu à peu, l’Assemblée s’approprie les débats, les préjugés sont remis en cause, l’idée avance.

Toutefois, la législature s’achèvera avant que la loi n’ait pu être votée. Qu’à cela ne tienne : dès sa réélection en 1967, Lucien NEUWIRTH dépose de nouveau sa proposition de loi. Et pour obtenir son inscription à l’ordre du jour, il n’hésite pas, avec le soutien de Jacqueline THOME-PATENÔTRE, à perturber le dépôt solennel du rapport de la Cour des Comptes le 30 juin, par des rappels au règlement successifs.

Le lendemain, le débat s’engage en séance. Les débats sont moins violents que l’année passée : le travail de conviction patient, acharné, qu’a mené Lucien NEUWIRTH a fait son chemin dans les esprits.
Le 14 décembre, dans la dernière ligne droite, il le répète encore : « La liberté est un vain mot si le choix n’existe pas ». Et l’Assemblée nationale vote la loi, avec le soutien de la gauche et d’une partie de la majorité.

Il faudra encore quelques années avant que la loi NEUWIRTH n’entre définitivement en vigueur, en 1972. Mais ce vote, sur un texte d’origine parlementaire, ouvre une nouvelle ère pour la société française. Quelques mois plus tard, les manifestations de Mai 1968 confirmeront le chemin engagé : la liberté pour tous, le droit de disposer de son corps, l’égalité entre les femmes et les hommes.

La loi NEUWIRTH est bien sûr une immense avancée pour les femmes et la cause de l’égalité. Mais elle est, plus que cela, un moment fondateur de notre société contemporaine. Elle a changé les vies des hommes aussi bien que des femmes, elle a changé la vision de la famille, du couple, elle a changé la place de l’enfant, qui a cessé d’être subi, pour devenir fruit et objet de l’amour, choisi et voulu.

La loi de 1967 s’appelait à l’époque « loi sur la régulation des naissances » ; la question de la natalité était encore au cœur du débat. Nous nous en souvenons comme de la loi qui légalisait la pilule, qui donnait aux femmes une nouvelle liberté, un nouveau droit. Voilà qui nous fait mesurer le chemin parcouru.

Mais c’est surtout sous le nom de son ardent promoteur, de son tenace défenseur, Lucien NEUWIRTH, qu’elle est entrée dans l’histoire et que nous la célébrons aujourd’hui. Nous n’oublions pas, dans cette commémoration d’une grande avancée sociale, d’honorer l’homme qui la porta et la fit advenir, le grand député qui la défendit à l’Assemblée nationale, celui qui fut alors le champion de la cause des femmes et de la liberté.

***

Mesdames, Messieurs,

Il y a des anniversaires qui résonnent avec une intensité particulière.
Cinquante ans après le vote de la loi NEUWIRTH et la légalisation de la contraception, nous entendons encore, en 2017, des voix s’élever à travers le monde contre la liberté des femmes, au nom d’une morale archaïque, au nom d’arguments d’un autre âge.

Nous le savons : les grands combats appellent des résistances durables. Chaque victoire nous lègue une responsabilité. C’est d’ailleurs le sens des commémorations comme celle qui nous rassemble aujourd’hui : ne pas oublier que ce qui nous paraît aujourd’hui évident était encore illégal il y a peu, que la liberté à laquelle nous tenons tant a été refusée pendant la plus grande partie de l’histoire, et se souvenir que ce qui a été combattu par le passé pourra l’être encore dans l’avenir. C’est aussi se souvenir que la société qui est aujourd’hui la nôtre s’est construite à force de combats, celui des pionnières de la Maternité heureuse, des médecins qui bravaient alors la répression pour soulager la souffrance des femmes, des hommes politiques, des citoyennes et citoyens qui se battirent pour conquérir nos libertés.

Comme Lucien NEUWIRTH, comme Jacqueline THOME-PATENÔTRE, comme François MITTERRAND et tous ceux qui partageaient leur engagement, sachons rester attentifs aux réalités du monde, et nous servir de notre lucidité comme d’un appui pour continuer à défendre, aujourd’hui et demain, partout où nous le pouvons, les libertés si durement acquises.

Nous, législateurs, nous continuerons à regarder les évolutions de la société et à y adapter la loi, car faire vivre nos principes fondateurs, c’est nécessairement les transposer dans la réalité des temps. Et vous tous, représentants du monde associatif, vous tous militants de la liberté, vous tous champions des femmes et de l’égalité, vous êtes aujourd’hui les héritiers de Lucien NEUWIRTH, de son courage et de son opiniâtreté. Je suis heureux de voir que le flambeau n’est pas près de s’éteindre, que vous le portez fièrement et continuez à en faire briller la flamme.

Je vous remercie.