Cérémonie en hommage à Pierre Mauroy
Mercredi 10 décembre, 11h30
Mesdames Messieurs les ministres,
Mesdames Messieurs les députés, mes chers collègues,
Mesdames, Messieurs,
Bienvenue à l’Assemblée nationale. Nous rendons aujourd’hui hommage à une figure de la gauche et de l’Histoire de notre pays, une figure de la République, une figure dont l’action est désormais inscrite dans l’imaginaire socialiste et dans l’imaginaire français, Pierre Mauroy. Je salue ici avec chaleur son fils Fabien Mauroy, ici présent, et vous transmettrez, cher Monsieur, nos salutations à votre mère, Mme Gilberte Mauroy.
Pourquoi cet hommage particulier à Pierre Mauroy ?
Pourquoi ce besoin que nous avons tous eu de ne pas tout à fait accepter sa disparition, d’exiger que quelque chose de palpable reste de lui ? Une plaque, une simple plaque n’est pas grand-chose, bien sûr. Mais il y a des lieux d’une force symbolique immense, il y a des lieux où voir son nom inscrit est une victoire sur le temps.
Et c’est le cas ici. Ici, où il siégea, entre 1973 et 1992, avant de rejoindre le Sénat pour d’autres aventures, ici même au siège qu’occupe aujourd’hui le député du Nord Bernard Roman. Bernard Roman dont chacun connaît la grande complicité qu’il entretint toujours avec l’ancien maire de Lille. Ici, d’où il s’absenta quelques temps pour écrire depuis Matignon quelques pages de l’Histoire de la République. Là, au cœur de la maison du peuple, au cœur de cette représentation que ses ancêtres spirituels, les révolutionnaires français, surent arracher au pouvoir absolu en 1789. Pendant la campagne présidentielle de 1981, à Lille, Pierre Mauroy eut ce mot : « Avec François Mitterrand, ce sont les classes exploitées qui entreront à l’Elysée ». Ce mot, ce colosse dont l’humilité répondait à l’audace, aurait pu l’avoir pour lui-même quand il entrait dans cette maison, le Palais Bourbon.
Lui, enfant d’instituteur, aîné de sept enfants. Lui, qui aima tant le Parti socialiste qu’il y adhéra à 18 ans, à une époque où il s’appelait encore SFIO. Lui, qui savait que ces bancs n’étaient pas faits de fauteuils confortables pour représenter des intérêts divers, mais de l’addition de toutes les volontés populaires, de celles dont on fait les grands tribuns ou les grands martyrs.
Grand tribun, il le fut. A la tribune de congrès mythiques pour l’histoire du socialisme, à cette tribune bien sûr tant de fois, à la tribune des meetings de sa région, ce Nord qu’il aimait, ce Nord qu’il incarnait, ce Nord qu’il fit tant aimer à tout le reste de la France.
Mais je repose la question. Pourquoi sommes-nous si attachés à Pierre Mauroy ? Des tribuns socialistes, il y en eut d’autres. Des fondateurs du congrès d’Epinay, il ne fut pas le seul. Des grands gouvernants de la cause populaire, certains pourraient aussi prétendre au titre. Alors, pourquoi lui ?
Pourquoi cet appel unanime de nos cœurs, pourquoi cette distinction évidente, pourquoi ce désir cristallin de vouloir ici voir ce nom gravé ? En un mot, de quoi Pierre Mauroy est-il le nom ? N’esquivons pas la question.
1) Pierre Mauroy, c’est d’abord le nom du plus beau combat du monde. Le combat pour la fondation d’un parti socialiste, auquel il redonna le nom que Jaurès lui confia à son baptême.
Parti socialiste, quel nom, quel programme, aussi éternel que la mémoire de l’ancien maire de Lille. Le combat pour le triomphe d’un parti dont il exigeait qu’il menât quelques combats simples. Aujourd’hui, je parle aussi devant des députés d’un bord qui combattit la politique de Pierre Mauroy. Mais je sais que, parmi eux aussi, il était respecté, il était même admiré.
Le Parti était pour lui une médiation collective entre l’individu et l’intelligence, pour que l’intelligence inonde la vie politique, et que la vie politique fasse des commandes à l’intelligence.
Cette exigence, elle avait un nom bien négligé depuis : l’éducation populaire.
C’était le sens de la Fondation Léo Lagrange, qu’il fonda dès le début des années 1950, et qui était la réponse à tout ce qu’on pouvait trouver de défiance contre un parti de gauche et un parti de progrès.
L’éducation populaire, c’était le combat culturel gagné avant même l’alternance, c’était cette idée issue du fond de l’histoire de la pensée, l’idée que le temps libre n’est pas si libre quand on est pauvre, quand la société bourgeoise se réserve les beautés, les facilités, la faculté de respirer, et même, le temps de regarder les étoiles ou, comme François Mitterrand lui a rappelé un jour, « le bleu du ciel ». Parce que leur culture, à eux les honnêtes gens, n’était pas toujours la nôtre, Pierre Mauroy sut incarner ce combat pour donner au militant de l’émancipation l’arme la plus efficace, la plus aiguisée : la souveraineté de sa propre pensée.
2) Pierre Mauroy, c’est aussi le nom du peuple. Du peuple, il en venait. Du peuple, il avait le regard clair et tranquille de ceux que rien n’effraie mais que tout émeut.
La souffrance du semblable n’alimentait pas chez Pierre Mauroy l’indignation de la veille, ni le ressentiment d’aujourd’hui, mais l’action de demain, l’action au service de cette expression belle et épurée : changer la vie. Non pas changer tout court, non pas la réforme pour la réforme. Pierre Mauroy aimait la langue française, il aimait les verbes transitifs, il aimait les compléments d’objets directs. Changer, oui, mais changer quoi ? La réforme devait servir les gens qui produisent, qui travaillent et qui transmettent, pas les détenteurs de bons de rentes, de dettes ou de leçons de morale.
3) Pierre Mauroy est enfin le nom d’une espérance. Il arriva au pouvoir, le grand lillois, il y parvint non pas comme on décroche une récompense, mais comme on réalise une espérance.
Parler de son action gouvernementale, c’est ouvrir le livre des gloires de l’Histoire de France, non pas pour le récit d’une grande bataille qui tue les pauvres gens, mais pour celui de trois années qui améliorèrent leur sort.
Abolition de la peine de mort, semaine de 39 heures, cinquième semaine de congés payés, augmentation du nombre de fonctionnaires, décentralisation, nationalisations, impôt sur les grandes fortunes, retraite à soixante ans, remboursement de l'IVG, libération de l’information, des radios, tout cela est connu parce que tout cela se récite comme le plus beau des poèmes. Pierre Mauroy incarnait tant la gauche qui réussissait, qui agissait, qui poussait les destinées, que l’Internationale socialiste le voulut comme président de 1992 à 1999 en successeur de Willy Brandt.
Voilà pourquoi l’Assemblée nationale, les députés de la nation, au cœur de la République, ont voulu qu’une plaque soit érigée à son nom.
Pour que, pour le député pressé qui court à son banc, de jour comme de nuit, l’esprit occupé de son amendement, de son discours à venir, une image lui parvienne soudainement, une image qui, à l’évidence de quelques valeurs de vaillance, une image qui attise le désir d’être digne de qui l’on est le représentant.
Pierre Mauroy fut longtemps président de la Fondation Jean-Jaurès, jusqu’à sa mort. Et, en effet, il y avait du Jaurès en Mauroy. Cette ardeur à l’effort, cette grande dignité accordée au travail intellectuel, cette confiance dans l’intelligence, cette conciliation d’idéal indestructible et de simplicité populaire, cet attachement à sa terre, à sa ville, aux gens des quartiers autour de chez soi, et cette faculté de voir dans leur cœur se refléter toutes les nuances des souffrances du monde. Bref, être à la fois le voisin le plus attachant et le tribun le plus conquérant.
Cette synthèse-là, elle n’arrive que quelques fois par siècle, et nous sommes si heureux de l’avoir connue, de l’avoir reconnue, de l’avoir soutenue.
Merci Pierre Mauroy, merci M. le Premier ministre, pour cette vie de vocation, au service de la France, des Françaises et des Français, au service de la conscience des humbles et de l’idéal républicain. Evoquons donc, nous pouvons le faire, ici et maintenant, les forces de l’esprit si justement scandées par le Président Mitterrand au crépuscule de son mandat.
Revenez parmi les vôtres, parmi ceux qui ont tant besoin de vos lumières et de vos persévérances. Les forces de l’esprit disons-nous ? Mais si François Mitterrand était l’esprit du socialisme, Pierre Mauroy en était peut-être l’âme.
Je vous remercie.