Cérémonie en hommage du policier Ahmed Merabet
Parvis de l’Hôtel de Ville de Livry-Gargan
Dimanche 11 janvier
Monsieur le Préfet,
Monsieur le Député,
Monsieur le Président du Conseil général,
Monsieur le Maire,
Mesdames et Messieurs les élus,
Mesdames, Messieurs,
Il avait 40 ans, il était né à Livry-Gargan, il était un enfant de la Seine-Saint-Denis. Et pour tous les Français, de métropole, d’Outre-Mer, de Lille à Marseille, de Brest à Strasbourg, il est aujourd’hui le visage de la République. L’enfant de ces rues, l’élève du lycée André-Boulloche, est entré dans le cœur de tous les Français, pour l’éternité.
Ahmed Merabet, comme d’autres noms de héros tombés au service de la France, est aujourd’hui un nom connu, un nom prestigieux, un nom exemplaire.
Pour celles et ceux qui iront reprendre le travail demain matin, iront chercher leurs enfants à l’école, reprendront le rythme de leur vie après ces jours douloureux, ce nom résonnera comme le son même de la Liberté.
Ahmed Merabet incarnait l’abnégation de ceux qui ont choisi pour vie, pour existence, pour vocation, le service de la République. Travailleur, rigoureux, généreux, unanimement apprécié pour son courage, pour son application, il venait d’intégrer le monde prestigieux des officiers de police judiciaire. Lui pour qui les rues, les squares, les femmes et les hommes des zones qui lui étaient confiées n’avaient plus de secrets puisqu’ils connaissaient leurs soucis et leurs écarts, lui qui œuvra tant au sein de la police de proximité, au plus près de cette population qu’il servait par civisme et patriotisme, était promis à un bel avenir.
Il avait fait le choix de nous défendre. Nos villes n’ont plus les remparts de pierre et les tours crénelées de jadis.
La République, en les démolissant, avait fondé la police de l’État de droit, protectrice et constructive, courageuse et dévouée. Lors de ces derniers jours, les forces de l’ordre de la République ont montré qu’elles étaient prêtes aux sacrifices les plus incroyables pour que nous, nous puissions vivre, travailler, sourire, flâner et se déplacer en sécurité.
C’est ainsi les yeux plein de reconnaissance, mouillés des larmes du respect le plus humble, que j’adresse, en tant que président de l’Assemblée nationale, mais aussi en tant qu’enfant de la Seine-Saint-Denis, mes remerciements les plus profonds à Ahmed Merabet, à sa mémoire, et à tous les policiers et gendarmes qui ont, ces derniers jours, offert leur vie à la France.
Oui, je dis bien « respect le plus humble ». Car ne nous trompons pas. Leur sacrifice s’est fait pour nous puissions vivre, pas pour que nous l’exploitions à des fins d’amalgame, de stigmatisation ou de spectacle.
Tout le monde, ici, a en tête l’extrême dignité de la famille d’Ahmed Merabet que je salue ce dimanche de tout cœur et qui a rappelé de façon si forte et si émouvante que leur enfant et leur frère s’est sacrifié pour la République, pour la France, pour la Liberté, et que cette grande pensée doit être méditée dans le silence et le recueillement du cœur. Le frère Ahmed Merabet a rappelé, nous avons tous ses paroles en tête, que son frère, de confession musulmane, avait été attaqué par des assassins qui non seulement sont de faux musulmans, mais ne sont d’aucune religion, puisque je ne connais pas de Livre Saint qui prône l’assassinat du courage et de l’intelligence.
Demeurons, par cette humilité, par cette détermination, fidèle au geste héroïque d’Ahmed Merabet. Comment ? Tout d’abord, en restant debout. Par leurs barbares assassinats, les tueurs de cette semaine voulaient faire fléchir la population de notre pays, le peuple de France, la nation politique par excellence, la nation de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, la nation de la souveraineté du peuple, la nation de l’égalité des droits et des conditions, la nation de la laïcité, la nation de la tolérance.
Ils voulaient que l’on doute de nous-mêmes, que nous nous posions je ne sais quelle question sur notre valeur collective, sur notre fidélité aux principes qui fondèrent notre contrat social.
Eh bien, ils seront déçus, car nous resterons debout.
En allant défendre des journalistes, des caricaturistes, des écrivains, Ahmed Merabet allait défendre la France tant admirée de tous les pays du monde aimant la Liberté, cette France des Lumières si célébrée. Cette France-là ne s’agenouille jamais.
Ensuite, en restant unis. Les assassins de cette semaine voulaient tuer, ils voulaient aussi meurtrir une faculté de vivre ensemble, ils voulaient creuser un fossé entre nous, ils voulaient décréter la guerre civile. En attaquant des journalistes et des policiers, des symboles de l’esprit et de la présence de la République, ils voulaient traumatiser notre peuple. Face à la menace, notre nation demeurera unie. Elle demeurera unie car l’uniforme que portait l’enfant de Livry-Gargan, dans le onzième arrondissement de Paris, ce funeste matin gris, était l’uniforme d’une République indivisible.
C’est pourquoi ce parvis de l’Hôtel de Ville, ces rues si particulières de votre commune, sont aujourd’hui des lieux où toute le France se retrouve, comme, dans le cœur d’Ahmed Merabet, résidait l’amour de la liberté de tout un pays. Tous les policiers vous le diront : on ne fait pas ce métier par hasard. On part dans le froid et le brouillard d’hiver vers des missions de maintien de la tranquillité publique quand on sait que c’est pour la plus belle cause qui soit, celle des libertés des autres.
Vivre ensemble, c’est ce qui dérangeait les assassins de cette semaine. En touchant Charlie Hebdo, ils attaquaient la liberté d’expression, bien sûr, ils voulaient nouer un bâillon sur la bouche de la République, ils voulaient rendre impossibles tout langage, tout amour, toute cohésion. Eh bien non. Le sérénité du peuple français et le courage des forces de l’ordre républicain leur ont montré que vivre ensemble, faire vivre ensemble la République, avancer ensemble, n’étaient pour la France pas négociables.
Ahmed Merabet ne reverra plus ces rues, ces murs, ces places et ces visages. En proférant ces paroles définitives, nos gorges se serrent, d’émotion, de colère et de révolte. Nous nous disons que, bien entendu, si nous pouvons aujourd’hui les contempler, c’est grâce à lui, à ses collègues tombés au service de la France, à ses femmes et hommes qu’aucun sentiment de conservation n’arrêta, face au péril supérieur que courait la nation qu’ils avaient serment de défendre.
Là où il se trouve, Ahmed Merabet rejoint les grands héros civiques de l’Histoire. Je voudrais tant, cher Ahmed Merabet, et je le dis devant votre famille, couvrir ces rues de témoignages de notre gratitude, pour que personne n’ignore plus que vous avez payé de votre vie l’amour de la Loi et l’amour de vos semblables.
La République est restée solide. Nos institutions démocratiques n’ont pas flanché. Les femmes, les hommes des forces de l’ordre ont répondu sans attendre, sans frémir, sans fléchir, à la convocation de l’Histoire.
Du courage d’un homme naît aujourd’hui celui de tout un peuple.
Je le dis à sa famille, à ses amis, à ses voisins : l’obscurantisme et la barbarie ont voulu semer l’effroi, mais plus rien ne nous fait peur, si ce n’est, à l’échelle de nous-même, d’être à la hauteur, dans nos vies quotidiennes, dans nos missions publiques, dans nos devoirs civiques, d’un sentiment désormais indestructible de solidarité.
Vive la République ! Vive la France !