Clôture du colloque "Notre Fin de vie, et si on en parlait dignement ?"

Discours de clôture du colloque
« Fin de vie, et si on en parlait dignement »
Jeudi 27 novembre 2014

Madame la Députée, chère Véronique Massonneau,
Mesdames, Messieurs les Députés et Sénateurs,
Mesdames, Messieurs,

Je suis particulièrement heureux de conclure cette journée de réflexion consacrée à un sujet ô combien difficile mais également ô combien humain : la fin de vie.

Je remercie Véronique Massonneau qui a soigneusement organisé cette journée. Je salue les nombreux participants de cette conférence et notamment les professionnels de santé et les nombreux participants. 

Votre présence nombreuse témoigne de l’actualité particulière d’un sujet sur lequel les Françaises et les Français attendent si ce n’est des solutions clé en main, du moins des réponses et des actes.

Dans quelques mois, s’ouvrira un débat de société très attendu de nos concitoyens, un débat certes extrêmement sensible mais qui doit avant tout nous rassembler pour que nous puissions, ensemble, réfléchir de façon apaisée et sereine à la fin de vie.

Ici, nul besoin de caricature, d’opposition artificielle, d’attaque ad nominem, d’instrumentalisations diverses et variées. Rien ne serait pire pour notre pays, que de se diviser sur un sujet aussi douloureux, nous qui devons plus que jamais nous rassembler autour de quelques principes et de quelques valeurs.

Opposons la liberté de choisir et le droit à la vie et nous blesserons inutilement, nous exacerberons des passions qui seront, en l’occurrence, mauvaises conseillères. Sur un tel sujet, on peut avoir des convictions, on peut débattre et être en désaccord. Des convictions sûrement mais point de certitude ou le dialogue sera difficile, voire impossible.

Je vous propose de suivre un autre chemin, celui du progrès social qui doit guider l’action publique de tous les responsables politiques, quels qu’ils soient. De droite et de gauche. Libéraux et conservateurs. Car nous avons collectivement des devoirs à l'égard des personnes fragiles, des personnes que l'on dit en fin de vie. Et ce devoir, c’est avant tout un devoir d’écoute, même quand s’exprimer est une épreuve. Nous avons également un devoir d’égalité, d’égalité d’accès aux soins et d’égalité dans le respect dû aux personnes, dans ce moment extrême de la vie.

Car parler de la fin de vie c’est parler de tous les Français. Tous nos concitoyens ont vécu de près ou de loin l’accompagnement d’une personne malade, qui vivait ses derniers instants.

De cette expérience, ils gardent souvent un souvenir particulièrement pénible, une parole particulièrement blessante, un combat qui aurait pu être évité. Écoutons-les et nous progresserons ensemble.

Écoutons-les pour ne pas faire perdurer plus longtemps le mythe d’une société qui n’existe déjà plus – si elle a même déjà existé. Nous avons été en retard sur la libéralisation de l’avortement et avons attendu 1974 quand les pays scandinaves l’avaient autorisé dès les années 30. Nous avons été en retard sur l’abolition de la peine de mort : 1981 quand le Costa-Rica l’avait abolie en 77… 1877 ! Quand on est dans l’action, quand on s’engage au service des autres, on ne peut se satisfaire de simplement rattraper les aspirations de la société, on doit faire nôtres ses attentes.

D’ailleurs, nos concitoyens nous demandent quasi unanimement de changer la loi. Pourquoi ? Parce que – c’est ma conviction après quelques années passées à leur service – les Français sont un peuple passionné d’égalité.
 
Et quand on parle de fin de vie, on ne parle pas seulement d’un sujet de société. On parle aussi d’un sujet social. On parle d’un moment de la vie où les inégalités sociales déjà présentes et inacceptables tout au long de l’existence sont exacerbées et deviennent proprement intolérables. 

Ceux qui ont les réseaux, savent, eux, dans quel établissement faire admettre leurs vieux parents pour qu’ils bénéficient des meilleurs soins palliatifs. Ceux qui ont les codes, savent, eux, parler au médecin pour lui demander ce que d’autres n’osent à peine imaginer. Et tous les autres sont condamnés à avoir ou non de la chance : établir une relation de confiance avec un médecin qui saura les écouter et douter avec eux ; être dans une ville où, c’est un hasard mais c’est tant mieux, l’hôpital a développé une culture de soins palliatifs. Et quand ce n’est pas le cas, eh bien les personnes sont bien souvent livrées à elles-mêmes. Et je parle, là, des patients et des familles mais je parle aussi des médecins et du personnel soignant.

J’en viens à ce qui, selon moi, doit nous animer en premier lieu et faire consensus au-delà de tous les clivages : le combat pour un égal accès aux soins palliatifs.

Nous avons désormais la possibilité d'épargner de nombreuses et inutiles souffrances aux malades. Et pourtant, on le sait, la culture des soins palliatifs n’est pas encore suffisamment diffusée dans le corps médical et parmi le personnel soignant.

C’est paradoxal mais nous sommes dans une société où la quête du progrès technique nous amène à considérer la mort comme un échec honteux, dont on se désintéresse. On en oublie parfois que souffrir ne permet pas d’être mieux soigné.

Soulager la douleur mais aussi accompagner jusqu'au dernier moment la personne malade : le fait de se sentir entouré, compris, et respecté peut permettre de traverser ces moments comme une partie de notre vie.

Pour cela, nous devons aider les familles et l’entourage : les aidants ont besoin d'être soutenus dans l'épreuve qui consiste à faire face à un être cher qui perd peu à peu son indépendance et parfois sa lucidité.

Je me dois aussi d’aborder le sujet le plus douloureux qui soit : celui du droit à mourir dans la dignité et par là de vivre pleinement sa vie, toute sa vie.

J'entends les consciences et les voix, venues notamment des autorités religieuses qui affirment ce principe essentiel selon lequel tout instant de vie mérite d'être vécu. Mais, je suis avant tout un élu de la République, d’une République laïque, qui place haut dans ses valeurs, le respect de la volonté de chaque individu.

La loi dite « Léonetti » d’avril 2005 autorise déjà et c'est un grand progrès, toute personne malade à refuser un traitement dont elle estime qu'il est devenu déraisonnable. Elle donne aussi au médecin le droit d'interrompre ou de ne pas entreprendre les traitements qu'il estime inutiles.

Faut-il aller plus loin dans les cas exceptionnels où l'abstention thérapeutique ne suffit pas à soulager des patients, victimes d’une douleur insupportable et irréversible ? Je le crois.

Mais là encore, je n’ai pas de certitude, simplement la conviction que l’on ne peut plus laisser les médecins décider seuls, sans cadre et qu’il nous faut répondre à une attente sociale, fruit de l’évolution de la société qui a vu les droits des malades de mieux en mieux reconnus.

Le débat mérite d'être engagé. Il doit se faire dans l'apaisement, en refusant les caricatures et les polémiques. C'est un sujet noble et digne qui mérite un débat noble et digne.

Je le souhaite et je l’exigerai tout au long des discussions qui auront lieu quand l’Assemblée nationale sera saisie d’un texte de loi.

Mesdames et Messieurs, j’en termine. Mais avant cela, laissez-moi vous donner ma position, une position mûrement réfléchie et d’ailleurs déjà exprimée.

Il manque aujourd’hui, selon moi, trois éléments très importants dans la loi :
-    La généralisation et l’accès égal sur tout le territoire pour tous les Français, aux soins palliatifs.
-    La légalisation du suicide assisté pour les personnes majeures, en phase avancée ou terminale d’une maladie grave et incurable. Il s’agit de donner les moyens à un individu de mettre lui-même fin à ses jours s’il en exprime la volonté.
-   La légalisation de l’euthanasie dans des conditions précisément établies : un patient majeur, en phase avancée ou terminale d’une maladie grave et incurable, inconscient ou incapable d’absorber lui-même le produit létal, et qui en aurait auparavant exprimé le souhait par écrit.

D’où l’importance, à mes yeux, de rendre opposables les directives anticipées et de les généraliser.

Cette position, ma conviction, mérite sûrement d’être débattue et je ne suis pas sûr que nous pourrons aller aussi loin que ce que je viens d’exprimer.

Mais je sais qu’une majorité de gauche, progressiste, socialiste et écologiste, une majorité aujourd’hui en responsabilité, doit répondre aux aspirations de la société. Nous devons le faire sans esprit partisan, mais animés d’un devoir vis-à-vis de nos concitoyens les plus fragiles. Un devoir vis-à-vis de celles et ceux pour qui nous nous sommes  engagés en politique.

Voilà, Mesdames, Messieurs, ce que je souhaitais vous dire ce soir, en conclusion de vos travaux et de vos échanges passionnants.

Je remercie une nouvelle fois Véronique Massonneau pour la qualité de ce colloque mais aussi pour son implication active à un débat qui marquera, à n’en pas douter, l’Histoire de l’Assemblée nationale.