Colloque - Célébration du 1er vote des femmes françaises Caux élections législatives
Colloque à l’Hôtel de Lassay
Lundi 22 octobre 2012
Discours d’ouverture
de M.Claude BARTOLONE,
Président de l’Assemblée nationale
Madame la Ministre
Madame la Présidente de la Délégation, Chère Catherine
Mesdames et messieurs les députés,
Mesdames, Messieurs,
Il y a 67 ans, les femmes participaient pour la première fois au scrutin des élections législatives. Ce 21 octobre 1945, 33 d’entre elles furent élues et les premières députées firent leur entrée à l’Assemblée Nationale.
Nous avons décidé avec Catherine Coutelle, la Présidente de la Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, que cette date qui marque une étape importante dans l’Histoire de la libération de la femme comme dans l’Histoire de notre Assemblée, devait être commémorée. Que dis-je, célébrée !
Aussi, je suis heureux de vous recevoir en cette fin de journée à l’Hôtel de Lassay, pour cette nouvelle initiative.
Mais nous ne serions pas réunis ici aujourd’hui s’il n’y avait eu l’engagement de femmes et d’hommes de convictions, fervents partisans de l’égalité. Rien n’aurait été possible sans la pionnière Jeanne Deroin, candidate aux législatives dès 1849, qui rappelait inlassablement que « la cause du peuple et la cause de la femme sont intimement liés » ; sans Léon Richer organisant en 1878 le premier « congrès international pour les droits des femmes » ; sans Hubertine Auclert, la première militante à se déclarer « féministe » ; sans Fernand Grenier, ce député de Saint-Denis , qui permit grâce à son amendement, aux femmes de France d’être électrices et éligibles.
Rien n’aurait été possible sans l’action constante des mouvements féminins. Ni le droit de vote, bien sûr, mais ni le droit au travail, ni l’égalité entre les époux et parents, ni le droit à la contraception ou à l’avortement. C’est pourquoi, permettez-moi tout d’abord de vous rendre hommage et à travers vous, de rendre hommage à toutes celles et à tous ceux qui ont fait et font avancer la cause des femmes.
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67 ans après, les femmes ont su mettre à profit cette responsabilité nouvelle et ont pris toute leur place dans les affaires de la Nation. Votre présence, Mesdames les députées, en atteste.
Durant cette période, les droits des femmes ont indéniablement progressé mais dans le même temps, nos usages, nos pratiques, nos façons de penser n’ont pas totalement abandonné l’illusion d’une suprématie masculine. J’y reviendrai plus tard.
Nos lois ont depuis 1945 reconnu le droit aux femmes d’exercer une activité professionnelle et de gérer leurs biens sans l’autorisation de l’époux. Elles ont entériné la disparition de la notion de chef de famille du code civil et le partage de l’autorité parentale. Les couples ne sont désormais plus obligés de motiver leur demande de divorce par une liste de torts et d’accusations respectives. Le congé maternité, qui existait déjà, est convenablement indemnisé et le congé paternité a été créé.
Les femmes ont gagné la liberté d’utiliser une contraception ou d’avoir recours à l’interruption de grossesse avec une prise en charge par la sécurité sociale.
L’égalité salariale est entrée dans le code du travail, et bien que le principe d’égalité de la femme et de l’homme n’ait été inscrit dans la constitution qu’en 1946, la parité politique et l’égalité professionnelle sont désormais des principes constitutionnels.
Les grandes écoles et l’Académie Française ont finalement ouvert leurs portes aux femmes.
Les violences conjugales ne sont plus cantonnées à la sphère privée, les lois d’avril 2006 et de juillet 2010 ont instauré des dispositifs de prévention, des sanctions et des mesures de protection des victimes. Des campagnes d’information et de sensibilisation sont régulièrement organisées.
La répression du viol a été renforcée et le harcèlement sexuel, introduit dans le droit français en 1992, a fait l’objet d’une des premières lois de cette législature.
Au regard de l’importance de cet arsenal législatif qui consacre la liberté et la parité, on pourrait penser que l’égalité est partout entrée dans les faits.
Naturellement, vous savez que ce n’est pas le cas.
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Sans reprendre les nombreux chiffres que vous connaissez, les femmes sont toujours les plus touchées par la précarité, elles sont majoritaires parmi les smicards, les chômeurs, les emplois temporaires et les retraités pauvres. Elles assument toujours la plus grande part du travail domestique et du temps destiné aux nouveau-nés ou aux enfants. Enfin, elles restent moins payées que leurs collègues masculins.
Les écarts de rémunérations brutes moyennes entre les femmes et les hommes sont toujours de plus de 25%, alors qu’en novembre cela fera 40 ans que la loi posant le principe « à travail égal, salaire égal » aura été adoptée !
L’inégalité salariale et professionnelle est l’exemple même du fait qui résiste aux lois. Depuis 1972, une dizaine de lois ont été adoptées comportant des dispositions visant à améliorer la situation dans le monde professionnel, dont 4 lois dédiées à l’égalité de rémunération, à l’égalité professionnelle et à l’égalité salariale, sans apporter les changements escomptés.
Dans les conseils d’administration et de surveillance des entreprises, la présence des femmes a progressé sous l’impulsion de la loi de janvier 2011, notamment dans ceux des grands groupes du CAC 40. Mais on est encore loin de la parité, et les femmes restent sous-représentées dans les comités exécutifs et à la tête des entreprises.
Dans la fonction publique, les nominations de femmes aux emplois dans l’encadrement supérieur augmentent péniblement alors qu’elles représentent près de 60% des agents.
Oui, il reste du chemin à faire, mais l’Assemblée nationale se rapproche pas à pas de la réalité de la société française. 155 femmes ont été élues députées le 17 juin. Malgré cette importante progression, on peut se poser la question comme le fait Mme Sénac dans le Monde« 73% d’hommes à l’Assemblée nationale : pourquoi se réjouir ? » Nous avançons trop lentement avec la parité et seules 40% des candidatures étaient féminines aux dernières législatives. Nous restons également très loin de l’égalité dans les conseils généraux, au sénat ou à la tête des exécutifs locaux.
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La question qui nous réunis aujourd’hui n’est donc pas vaine : Faut-il encore légiférer pour l’égalité ?
Je vous laisse le soin de défricher le sujet lors de vos échanges qui je l’espère seront fructueux. Je devrai en effet m’absenter un moment et je vous prie d’avance de m’en excuser.
Les champs de l’égalité sont nombreux. La question ne requiert sans doute pas les mêmes réponses selon que l’on s’intéresse à sa réalité dans la sphère familiale ou publique, dans le monde de l’entreprise ou dans la vie politique, en termes de protection des individus, de santé ou d’éducation.
Nous pouvons, et nous allons débattre des moyens de faire exister l’égalité dans tous les domaines de la vie quotidienne. Gardons cependant à l’esprit que c’est le désir d’égalité des femmes et des hommes qui a porté la révolution et les plus grandes avancées de notre société. Notre République s’est écrite avec la main de l’égalité.
A cette génération du combat pour l’égalité a succédé la génération qui légifère. Sans doute entrons-nous dans la génération de l’application, celle qui doit faire de l’égalité une réalité, celle qui doit construire « la société des égaux ».
Je veux croire que c’est l’engagement partagé des femmes et des hommes politiques de ce pays. C’est assurément le fondement même de mon engagement. Car, parfois, les combats se suivent et se ressemblent.
Quand, ministre délégué à la ville, j’organisais une opération « testing » à l’entrée d’une boite de nuit de Lens pour dénoncer les discriminations, quand je réunissais des chefs d’entreprises, des responsables du recrutement pour les inviter à combattre les stéréotypes et les préjugés négatifs, c’était au nom de l’égalité.
Quand en Seine-Saint-Denis, avec les élus, nous réclamions des policiers supplémentaires, des instituteurs en nombre suffisants ou des services publics susceptibles de remplir leurs missions comme sur le reste du territoire national, c’était au nom de l’égalité.
Quand avec le Conseil général de ce département, nous lancions des campagnes contre les mariages forcés ou des formations et des actions contre le sexisme de la crèche au collège, c’était au nom de l’égalité.
Quand, grâce au travail formidable d’Ernestine Ronai et de l’Observatoire départemental des violences envers les femmes, nous inventions de nouveaux outils pour lutter contre ce fléau, c’était au nom de l’égalité.
Aujourd’hui, Président de l’Assemblée nationale, je ne pouvais laisser passer cette date si importante pour l’égalité des femmes et des hommes au sein de nos institutions, et je souhaite qu’elle soit désormais pour nous sanctuarisée.
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Je conclurai par un mot sur le droit vote et l’égalité.
Je ne referai pas l’histoire de la longue bataille au terme de laquelle les femmes ont enfin obtenu ce droit. Vous la connaissez et vous savez sans doute que l’une des objections avancées lors des débats sur la question, était la crainte qu’en doublant le corps électoral on ne voit apparaitre un puissant vote clérical.
Oui, les femmes étaient jugées influençables, conservatrices, dociles et soumises au clergé catholique.
L’Histoire a montré qu’il n’en a rien été. L’Eglise n’a pas eu le pouvoir d’orienter le vote des femmes et leurs choix politiques.
Les combats féministes dénoncent avec pertinence les défaillances et les préjugés de notre démocratie. Ils pointent du doigt des inégalités politiques, des inégalités professionnelles, des inégalités familiales ou des inégalités de liberté. Ils condamnent des comportements, des abus, des violences que la loi doit condamner. Ils sont souvent à l’avant-garde des évolutions sociales. Chaque pas en avant pour l’égalité des femmes et des hommes est un pas en avant pour la société dans son ensemble.
Sachons-nous en souvenir dans les débats à venir.
Je vous remercie et je cède la parole à Madame Catherine Coutelle, Présidente de la Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes de l’Assemblée nationale.