Colloque de doctrine de l'Armée de terre

Discours du Président Claude Bartolone

Colloque de doctrine de l’armée de terre

 

Madame la Présidente de la Commission de la Défense, Chère Patricia Adam,

Général,

Mesdames, Messieurs,

C’est avec plaisir que je participe cette année encore au colloque annuel de doctrine de l’armée de terre mis en œuvre par le Centre de doctrine et d’emploi des forces (CEDF) et la Compagnie européenne d’intelligence stratégique (CEIS) dont je salue le professionnalisme.

L’année dernière, vous aviez échangé sur l’action de l’armée de terre pour la sauvegarde des populations. Dès son début l’année 2013 a été marquée au Mali par la sauvegarde des populations, de l’Etat malien et la sécurité de toute la zone sahélienne.

Il était donc naturel que vos travaux portent sur ce retour d’expérience, sachant que vos analyses restent un sujet d’actualité puisque l’opération au Mali prend aujourd’hui une autre forme et que nous allons sous mandat de l’ONU participer à la sauvegarde de l’Etat centrafricain qui est menacé dans son existence même. C’est dire si la manœuvre aéroterrestre dans la profondeur est un sujet d’actualité permanente.

L’opération Serval a été déclenchée sur le terrain quelques heures après qu’à Paris le Président de la République ait pris sa décision. Disons-le clairement, il n’y a pas une demi douzaine de pays dans le monde capables de réaliser une telle opération.

Certes, nous avons eu besoin d’aide logistique et de la coopération de renseignement de nos alliés, mais cela ne peut estomper ni le courage de la France, ni la performance de nos armées et principalement de l’armée de terre.

J’ai eu l’occasion d’aller à Gao quelques jours après sa libération et j’ai pu apprécier les performances à la fois techniques et physiques de nos hommes. On m’a présenté le dispositif technique de communication, de détection, de projection tout à fait performant, mais j’ai été tout aussi impressionné par le récit de ces hommes qui me relataient qu’à la fin, les choses se terminaient à quelques mètres des combattants opposés, ils rencontraient le regard de leur adversaire.

C’est la spécificité fondamentale de l’armée de terre. Ni la bataille navale, ni le combat aérien et a fortiori la cyber guerre ne mettent directement en présence les hommes et leurs armes. Ce n’est pas que les autres aient moins de courage, le premier mort de Serval fut un pilote d’hélicoptère, mais le combat au sol est singulier, il est direct, physique, en un mot humain. C’est cela, Général, que j’ai en tête quand je rends hommage à vos hommes.

L’opération Serval est aujourd’hui terminée. Elle était la phase de rétablissement de l’Etat malien dans sa souveraineté. Des élections présidentielles et législatives ont eu lieu dans des conditions de liberté satisfaisantes. Un dialogue difficile, mais qui progresse a lieu pour organiser l’Etat et les équilibres de pouvoir locaux.

Il s’agit maintenant de soutenir les forces africaines de maintien de la paix contre les attaques terroristes qui, si elles sont souvent symboliques, peuvent créer un climat anxiogène dans la population. Cette action différente dans sa nature que « Serval » est également délicate puisque menée par des forces clandestines, utilisant la surprise et assumant souvent le suicide de leurs acteurs. Là encore l’armée de terre joue un rôle essentiel et difficile. Combien d’armées au monde ont‑elles échoué dans ce type d’opérations ? La clef du succès réside dans le fait que les terroristes restent coupés de la population.

C’est la façon dont nos forces sont perçues par cette population qui maintiendra cette fracture entre les djihadistes et tous les autres. C’est certainement ce qui est le plus difficile, mais c’est à notre portée, nos forces reçoivent l’entraînement qui convient. En tout cas, au Mali, personne aujourd’hui ne voudrait revenir à la situation antérieure.

Vos travaux sur la coordination des forces conventionnelles  et des forces spéciales, sur l’interaction des forces aériennes et terrestres, sur la coordination avec nos partenaires africains et européens sont d’une importance capitale. En effet, tout porte à penser que « Serval » et « Hydre » ne sont les dernières du genre, même si aucune opération ne ressemble jamais à la précédente.

Mesdames et Messieurs, chacun pressent que dans une Afrique centrale qui change de siècle et qui s’apprête à vivre de gigantesques mutations sociologiques, culturelles, géo‑politiques, les forces panafricaines auront à intervenir pour éviter massacres et génocides.

Elles demanderont l’aide de l’ONU qui fera sans doute souvent appel à la France, qui elle-même utilisera naturellement son armée de terre.

La géographie va à nouveau diriger l’Histoire. Espérons simplement que l’Europe prenne conscience qu’il s’agit là de ses intérêts fondamentaux de sécurité et qu’il serait tragique que notre continent tente de sortir de l’Histoire ; à n’en pas douter celle-ci le rattraperait rapidement dans des conditions non maîtrisables.

La semaine dernière, à l’Assemblée nationale, en écoutant les orateurs qui discutaient de la Loi de Programmation Militaire, je ne pouvais m’empêcher de penser que quand j’étais jeune parlementaire, dans les années 80 !, j’avais 30 ans !, le budget de la Défense représentait plus de 3 % du PIB et il y avait 500 000 hommes sous les drapeaux. Autre monde !

Aujourd’hui, nous sommes à 1,5 % du PIB et il y a moins de 200 000 militaires avec une révolution de la performance et du coût des technologies tout à fait considérable : un Rafale fait le travail de 6 ou 7 Jaguars, le Leclerc de 7 ou 8 AMX B2, les sous‑marins nucléaires sont tellement silencieux et furtifs qu’ils peuvent se heurter sous l’eau, nos satellites détectent de très faibles signaux d’activité au fond du désert par tous les temps, nos missiles ont une précision décimétrique et obtiennent sans dommages collatéraux un meilleur résultat que des dizaines et des dizaines de projectiles classiques et surtout nos soldats équipés de « Félin » et de lunettes de vision nocturne sont 3 ou 4 fois plus efficaces que ne l’étaient leurs camarades il y a 10 ans.

Quel chemin parcouru ! Quelle mutation ! Quelle révolution du paysage et de la pensée !

Il nous faut des soldats bien armés, bien entraînés, bien protégés, bien renseignés, capables de communiquer dans un ensemble inter-armées. C’est cet ensemble qui détermine le volume de nos forces et non l’inverse.

Quelquefois il est intéressant de se remémorer avec l’aide du recul des débats stratégiques anciens.

Au milieu des années 30, certains reprochaient au Colonel de Gaulle de vouloir diminuer le nombre de chevaux de l’armée française : « il affaiblissait le dispositif ». En fait, en visionnaire il pensait à la préparation de la future grande bataille de chars. Aujourd’hui encore nous sommes dans une période où il nous faut revisiter les concepts.

J’ai apprécié, Général, que la première moitié du colloque porte sur l’expérience, la seconde sur la prospective. C’est exactement ce qu’il nous faut faire.

Merci à tous.