Colloque de la fondation Robert Schuman : "Quelle place pour les Parlements nationaux dans la construction de l'Union politique européenne?"

Colloque de la fondation Robert Schuman

 

« Quelle place des parlements nationaux

 dans la construction de l’Union politique européenne »

 

Discours de clôture de M. Claude Bartolone,

Président de l’Assemblée nationale

 

Mesdames et Messieurs les Présidents,

Mesdames et Messieurs les Députés,

Mesdames et Messieurs, chers amis,

 

Faire la clôture d’un colloque est toujours un exercice difficile. Ou bien tout a déjà été dit, et tout ajout est inutile. Ou bien il reste des choses à dire, et poser de nouvelles questions peut être interprété comme une critique par les participants. Dans les deux cas celui qui conclut est un importun.

Bien sûr je ne souhaite pas être l’importun de cette journée, et je compte sur votre bienveillance pour accueillir les trois remarques que je veux partager avec vous pour conclure les discussions.

  1. 1.      Première remarque, en forme de remerciements.

Monsieur le Président, cher Jean-Dominique, tu ne pouvais pas rendre un plus grand service à notre Assemblée que de mettre aujourd’hui les moyens de la Fondation Robert Schuman au service d’un débat sur la place des Parlements nationaux au sein de l’Union européenne.Cette question file droit comme une flèche, et elle atteint le cœur de sa cible, en posant celle de la légitimité démocratique dans le fonctionnement de l’Union européenne.

            Ce débat se présente aujourd’hui, à la fin 2013, bien différemment qu’il y a cinq ans, lors de la mise en œuvre du traité de Lisbonne. En 2007 nous avons fait dire à ce traité, à son article 12, que je cite, « les parlements nationaux contribuent activement au bon fonctionnement de l’Union européenne ».

La chose était alors entendue : dans les capitales, les parlements sont informés des projets d’actes européens, ils veillent au respect de la subsidiarité, ils évaluent les politiques de l’Union. Dans cette vision les parlements nationaux tiennent une place un peu à part dans l’architecture communautaire :ils sont à la limite du périmètre institutionnel de l’Union, un pied dans le jeu, un pied en dehors, si l’on veut.

            Cet équilibre était celui qui prévalait avant la crise de la zone euro et la crise des dettes souveraines. Que s’est-il passé depuis ? L’Union économique et monétaire a connu un coup d’accélérateur sans précédent, avec des plans de sauvetage qui gagent des milliards d’euros sur les budgets nationaux, et une évolution fondamentale des curseurs de la coordination des politiques économiques. Cette évolution je peux la résumer en trois tendances : prime à l’anticipation, prime à l’intégration, prime à l’intergouvernemental.

           Ces trois formules sont trois manières polies de dire que les parlements nationaux, s’ils ne changent pas leurs pratiques, passent de la périphérie proche des institutions de l’Union à la très lointaine banlieue. Je m’explique :

- la prime à l’anticipation, d’abord

La coordinationex antedes politiques budgétaires et le nouveau cadre de gouvernance économique avec leSix Packet leTwo Packmodifient le calendrier et le centre de gravité des décisions à caractère budgétaire et fiscal. Le budget présenté à l’automne au Parlement s’inscrit désormais dans un cadre concerté en amont à Bruxelles.Siles parlements nationaux n’ont pas leur mot à dire sur ce cadre, leur souveraineté budgétaire devient une formule creuse.

- la prime à l’intégration, ensuite,

La crise économique et financière a renforcé les besoins de coordination autour de l’UEM. Elle a également convaincu de la nécessité d’une intégration différenciée autour de la monnaie unique. Aujourd’hui la perspective est celle d’un gouvernement économique pour la zone euro, d’un pilier monétaire complété par un pilier budgétaire, fiscal et social.

Je me félicite de cette dynamique, parce qu’en tant qu’Européen j’ai la conviction que le succès de la France passera par un surcroît d’intégration européenne. Mais je dis aussitôt attention : le budget, la fiscalité, leur impact sur la vie de nos concitoyens, ce sont des sujets à très fort contenu politique qui ne peuvent échapper à la démocratie représentative.L’intégration européenne ne doit pas conduire incidemment à vider le contrôle parlementaire de sa substance. Ce n’est pas dans l’intérêt de notre démocratie ni dans celui de l’Europe, qui a besoin d’ancrer sa légitimité.

- la prime à l’intergouvernemental, enfin :

Qu’on le veuille ou non, la crise, avec les contraintes de la gestion des situations d’urgence, a accentué le virage intergouvernemental de l’Europe. C’est la remontée des décisions au Conseil européen, qui s’est régulièrement présenté dernièrement comme un Conseil de sauvetage de l’euro.

Ce sont les décisions prises par l’Eurogroupe pour endiguer la crise des dettes souveraines, comme la mise en place des garanties du Mécanisme européen de stabilité, qui se sont prises en dehors des contrôles démocratiques habituels.

On a ainsi bâti dans l’urgence sans s’assurer de la solidité des fondations. Et c’est peu dire qu’elles sont fragiles en terme de légitimité démocratique, comme l’a illustré l’impact médiatique désastreux de la gestion de la crise de la dette chypriote ou l’avis rendu par la Cour de Karlsruhe sur la mise en œuvre des garanties dans le cadre du MES.Une lacune démocratique s’est installée au cœur de la gouvernance économique de l’Union. Je ne vois pour ma part qu’une manière de la combler : renforcer le contrôle parlementaire.

Et je ne veux pas que cette évolution intervienne sous la contrainte, pour courir après les décisions de la Cour de Karlsruhe, qui ne manque pas, elle, de rappeler les prérogatives du Bundestag s’agissant du mécanisme européen de stabilité, et qui va bientôt se prononcer sur les Opérations monétaires sur titre, les OMT[1].

Je conclurai donc cette première remarque en soulignant combien, en l’espace de cinq ans et à la faveur d’une crise économique sans précédents, nous avons changé de modèle de gouvernance européenne. Et combien ce changement met en question les équilibres démocratiques au sein de l’Union.Nous sommes aujourd’hui à la croisée de ces évolutions avec, d’un côté, un besoin manifeste de réinjecter de la légitimité démocratique dans le système, et de l’autre côté une déperdition dans les fonctions de contrôle des parlements nationaux.

Pour moi, ces deux défis se résument à une solution :remettre les parlements nationaux au centre du jeu et, de manière plus générale, renforcer la place du parlementarisme dans les équilibres institutionnels de l’Union.

2 - Deuxième remarque : il y a beaucoup de manières de réarticuler le rôle des parlements nationaux à la construction politique de l’Union européenne. Je plaide pour ma part pour le pragmatisme mais aussi pour l’anticipation.

- Avant de crier au déficit démocratique de l’Union, il faut d’abords’assurer que nous utilisons tout à fait les instruments qui sont déjà à notre disposition. A l’Assemblée nationale, beaucoup a déjà été fait pour améliorer le suivi des décisions européennes : l’organisation des débats sur les programmes de stabilité et de réforme, les auditions régulières de commissaires européens.

Ces évolutions sont conformes à l’opinion que je me fais du rôle du Parlement dans une démocratie rénovée, qui mobilise pleinement ses capacités d’évaluation et de contrôle.

- Il faut ensuitetirer toutes les potentialités de la Conférence budgétaire instituée dans le cadre du TSCG. L’Assemblée nationale a eu un rôle déterminant dans la création de cette conférence interparlementaire, puis dans la décision prise à Chypre de la mettre en place d’ici la fin de l’année. Nous pouvons nous en féliciter.

Déterminant, notre rôle doit l’être aussi pour faire vivre cette conférence et assurer une représentation irréprochable de notre Assemblée, pour sa première session en octobre à Vilnius et pour celles qui vont suivre. Vous le savez comme moi, ce nouvel organe interparlementaire doit conquérir sa place et démontrer qu’il n’est pas un « machin » supplémentaire dans un paysage institutionnel déjà encombré.

Cette place, il faut la trouver non pas seulement vis-à-vis de Bruxelles et des gouvernements.Il faut la trouver vis-à-vis d’une conception exigeante de la démocratie représentative qui doit être la nôtreet du rôle des parlements sur des questions aussi essentielles pour la vie de nos concitoyens que le choix budgétaire, les grandes orientations de la politique économique et leur impact sur la vie quotidienne.

- Nous devons enfin préparer l’avenir, en mettant d’équerre les évolutions de l’UEM et celle de ses institutions. Le défi est d’insuffler de la démocratie dans les deux dynamiques qui dominent aujourd’hui l’Europe, à savoir sa différenciation autour de la zone euro et son intégration.

Le président de la République a fait une annonce forte en mai dernier en proposant à nos partenaires de mettre en place, sous deux ans, ungouvernement économique européenautour de la zone euro. Nous en connaissons les contours : un président stable, un budget propre, une intégration des politiques monétaires complétés par un pilier fiscal et un pilier social.

La France a fait cette proposition ambitieuse parce qu’elle est une condition de la stabilité dans le long terme de la zone euro. Mais je veux poser devant vous la question suivante :est-il envisageable d’instituer un gouvernement économique sans qu’il y ait, en face, une instance devant laquelle celui-ci puisse rendre compte de son action ?

Ma réponse est à l’évidence nonsi l’on ne veut pas creuser une béance démocratique dans une union politiquement plus intégrée. Et si l’on prolonge ce raisonnement jusqu’au bout, qu’est‑on conduit à conclure ?Quesur des questions qui sont au cœur des compétences de la représentation nationale comme le budget, les paramètres de la fiscalité, les grands équilibres sociaux, on ne peut faire moins que mettre les parlements au cœur du contrôle d’un futur gouvernement économique européen. L’Europe n’a pas relégué Montesquieu au musée des antiquités : l’Europe aussi a besoin d’un équilibre des pouvoirs, où un gouvernement répond devant une instance parlementaire.

La Conférence budgétaire constitue certainement une première réponse à ce besoin. Mais elle n’est qu’une étape sur le chemin d’une Europe politique plus intégrée autour de la zone euro. Ses prérogatives sont limitées. Elles ne s’inscrivent pas dans le cadre communautaire.

C’est pourquoi je suis favorable à ce que l’on s’oriente à terme, lorsque la révision des traités sera d’actualité, vers la création d’unCongrès des parlements nationaux. Ce Congrès sera le versant parlementaire du gouvernement économique européen.

Mon propos n’est pas de diminuer le rôle du Parlement européen. Il est d’installer entre lui et les parlements nationaux une forme de complémentarité et de les situer dans un rapport de subsidiarité qui est au cœur de la construction européenne. Il est aussi de répondre au besoin d’approfondissement démocratique de l’Union.

3 -  J’en viens enfin à ma troisième remarque, en forme de conclusion.

 

Réaffirmer la centralité des parlements au cœur de la dynamique politique européenne, cela veut dire deux choses.S’assurer, bien sûr, que les parlements nationaux soient bien écoutés à Bruxelles, mais faire en sorte, aussi, qu’ils soient des relais efficaces des enjeux européens au sein de chaque Etat membre.

Pour parler en image, il est autant question defaire infuser, grâce à eux, l’Europe dans les capitales que de faire percoler la démocratie jusqu’à Bruxelles.

Cette dynamique est aujourd’hui grippée, et nous avons certainement, en tant que parlementaires, notre part de responsabilité : collectivement,nous n’avons pas encore assez le réflexe européen dans notre manière de faire de la politique. Collectivement,nous pêchons de ne pas assez parler d’Europe et de ne pas en parler bien, dans la capitale et dans nos circonscriptions.

Il y a pourtant urgence, une urgence européenne, à prendre notre part à ce débat.J’en ai la conviction : nous nous sommes assoupis sur les flancs du volcan. Ce volcan risque de se réveiller en 2014 avec tumulte et fracas à l’occasion des élections européennes. Les populismes ont creusé des rigoles pour accueillir le magma brûlant des euro-sceptiques et des « euro-dépités ».Ce magma risque d’entraîner avec lui ce que nous avons bâti depuis 60 ans.Il nous reste donc peu de temps pour rétablir la liaison entre l’Europe et ses peuples. Cette liaison passe aussi par notre Assemblée.

Je n’ai donc qu’un mot pour conclure : au travail !

[1]Outright Monetary Transactionsou opérations monétaires sur titre : programme de la Banque centrale européenne mis en place en décembre 2012 qui autorise la BCE à racheter des obligations souveraines de manière illimitée.