Conférence de presse de Claude Bartolone

Conférence de presse de rentrée parlementaire
Mercredi 7 octobre 2015,
Salle Empire

Madame la Secrétaire générale de la Présidence,
Monsieur le Secrétaire général de la Questure,
Monsieur le Déontologue,
Madame la présidente de l’association des journalistes parlementaires,
Mesdames et Messieurs les journalistes,

Je dois tout d’abord vous dire  à quel point je suis heureux de voir que le travail parlementaire passionne...

Vous avez rarement été si nombreux.

C’est peut-être même ma meilleure conférence de presse…

Je viens, comme vous vous en doutez, parler aujourd’hui avec vous de notre démocratie et de ce que nous pouvons faire pour la renforcer.

Depuis juillet 2012, j’ai proposé, lancé, et conduit plus d’une douzaine de réformes, afin de rendre l’Assemblée nationale plus lisible dans son action, plus efficace dans ses missions et plus collaborative dans son organisation. C’est la feuille de route que je me suis fixée et que j’entends poursuivre. L’histoire dira, si le chemin emprunté était le bon.

J’agis pour une Assemblée nationale plus lisible dans son action et son fonctionnement.

A ce titre, retournons-nous un instant.

Il y a trois ans, l’usage de la réserve parlementaire n’était pas public et son montant n’était pas réparti équitablement entre l’opposition et la majorité. Nous le savons, certains se voyaient attribuer des parts énormes, au détriment notamment de l’opposition. Tel n’est plus le cas aujourd’hui. D’aucuns estiment que cela ne va pas assez loin. Je pense, pour ma part, que mettre la réserve sous le regard des citoyens, c’est une révolution copernicienne.  

Il y a trois ans, les comptes de l’Assemblé nationale n’étaient pas publics et ne faisaient pas l’objet d’une certification  par la Cour des comptes. Aujourd’hui, tel n’est plus le cas, et cela grâce notamment au travail engagé par mon prédécesseur, Bernard Accoyer, auquel je souhaite ici rendre hommage.

Il y a trois ans, les comptes des groupes parlementaires n’étaient pas publics, et n’étaient pas certifiés par un commissaire aux comptes. Nous nous souvenons, malheureusement, à quoi cela a mené.

Il y a trois ans, le détail des votes des scrutins publics ordinaires n’était connu de personne.  Tel n’est plus le cas aujourd’hui, du moins à l’Assemblée nationale...

Il y a trois ans, enfin, il n’existait aucun véritable registre des représentants d’intérêts.  Ce temps là aussi, est révolu.

Lors de cette année, nous avons franchi un cap important : sur la proposition des questeurs – dont je tiens à souligner le travail et l’engagement – nous avons instauré, pour la première fois dans l’histoire,  un cadre général d’utilisation de l’indemnité représentative de frais de mandat.

Au cours de cette même année, nous avons gravé dans le marbre l’obligation de publicité des travaux en commission. De la même manière, nous avons décidé d’inclure dans le Règlement un bloc de règles relatives à la déontologie.  

Nous avons ainsi désormais un cadre déontologique clair,  précis et opérationnel.

Le temps viendra de son évaluation. Mais sans attendre, je souhaite que nous allions plus loin sur la question des représentants d’intérêts. D’une part, en proposant au gouvernement la mise place d’un « registre commun ».

Le gouvernement est aujourd’hui à l’origine de l’essentiel des lois dans notre pays. Les ministres et leurs cabinets rencontrent quotidiennement des représentants d’intérêts.  Est-il normal qu’un tel registre ne s’applique qu’au Parlement ? Pour moi la réponse est évidente : une fabrique de la loi transparente appelle  la création d’un registre commun. J’écrierai prochainement en ce sens au Premier ministre.

D’autre part, je souhaite ouvrir un grand chantier pour mieux encadrer les « clubs » dits parlementaires, qui n’ont d’ores et déjà pas le droit de se réunir à l’Assemblée nationale.  

L’objectif est clair : mettre fin à cette situation intolérable de conflits d’intérêts, qui consiste pour un ou une députée à promouvoir l’action de groupes privés dans lesquelles – même si cela peut sembler incroyable – il ou elle détient - ou son conjoint -  de puissants intérêts financiers.

Je saisirai, dans les prochaines semaines, le Président de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique,  Jean-Louis Nadal, afin qu’il adresse au bureau de l’Assemblée nationale des recommandations sur ce sujet.  

J’agis pour une Assemblée nationale plus efficace au regard des missions que lui confie la Constitution

Les Présidents de l’Assemblée nationale qui se succèdent ne cessent depuis 20 ans de le répéter : notre ordre du jour est saturé à l’excès. L’année qui vient de s’écouler est encore là pour le prouver : 1 200 heures de séances, 397 textes déposés, 84 adoptés, dont 45 projets et propositions de lois.

Loin de pouvoir nous limiter aux 131 jours prévus par la session ordinaire, nous avons dû ouvrir 40 journées exceptionnelles de séances, auxquelles se sont ajoutées 11 journées supplémentaires.

Bien sûr, on ne cesse de l’entendre : l’Assemble nationale serait trop lente…

Les comparaisons internationales appellent toutefois à relativiser cette idée.  Ainsi le délai moyen en France d’adoption des projets de loi est de 149 jours. Cette durée est inférieure à celle qui a cours au Royaume-Uni (164 jours), en Italie (180 jours) et en Suisse (481 jours). Elle est comparable aux durées moyennes d’adoption des lois en Belgique (149 jours) et en Allemagne (156 jours).

Seuls les pays monocaméraux, et ce n’est pas un hasard, ont ainsi, en définitive, une procédure législative significativement plus rapide : la Hongrie (34 jours), le Danemark (64 jours), la Suède (72 jours) et la Norvège (86 jours).

Ce simple constat ne signifie nullement que notre procédure soit  parfaite. Nous nous perdons parfois dans des débats inutiles car redondants, c’est évident !

Lorsque 90 % des amendements déposés en deuxième lecture ont déjà été examinés en commission et repoussés en première lecture, qui peut prétendre que tout va bien ?

Mais la vérité, c’est que la mauvaise qualité de la loi est autant la responsabilité du Parlement que du gouvernement qui est à l’origine de 80 % des textes dans notre pays. Je le dis ici très clairement : chacun doit assumer sa part de responsabilité.

De la même manière et parce qu’une refonte de la fabrique de la loi suppose une révision constitutionnelle, majorité et opposition doivent, elles aussi, assumer leurs responsabilités et accepter pour une fois de travailler ensemble sur ce sujet d’intérêt général.

Les députés Laure de La Raudière, pour l’opposition, et Régis Juanico, pour la majorité, à travers un rapport voté à l’unanimité et intitulé Mieux légiférer, ont réussi à se retrouver. Pourquoi cela devrait-il être différent avec les autres membres de notre Parlement ?  

Pour ma part, je mets deux propositions sur la table, sensées et équilibrées.

En premier lieu, je propose que le gouvernement s’interdise désormais d’amender ses propres projets de loi.  

En contrepartie, l’Assemblée nationale pourrait, soit,  s’inspirer du modèle parlementaire anglais dans lequel le Président de séance peut décider de « sauter » l’examen des amendements identiques ou similaires, soit mettre en place une procédure visant à écarter de la discussion en séance publique les amendements déjà discutés en commission.

L’objectif poursuivi est clair : préserver au maximum le temps pour penser et concevoir la loi, et limiter les redites sans fin dans le cadre de nos débats.  

Refondre la fabrique de la loi permettrait de retrouver du temps pour les autres missions du Parlement : contrôler l’action du gouvernement et évaluer les politiques publiques, et dans ce cadre vérifier que les lois votés ont atteint les objectifs recherchés. C’est ce qui m’a d’ailleurs conduit à demander à Véronique Louwagie, député LR, et à Laurent Grandguillaume, député SRC, de mener une mission d’information parlementaire sur la Banque Publique d’Investissement. Ils ont présenté  leur  rapport il y a quelques jours. Ils y formulent, à mon sens, plusieurs propositions intéressantes.

J’agis enfin, pour une Assemblée nationale collaborative .

Je l’ai dit et je le répète : je souhaite une  Assemblée nationale ouverte sur l’Europe et sur le monde. Au cours des douze derniers mois, nous avons ainsi avancé dans deux directions.

Au niveau national, tout d’abord, la Commission des Affaires européennes a, sur mon initiative, inauguré en octobre dernier une pratique nouvelle, qui consiste à auditionner les ministres avant les Conseils de l’Union européenne.

Au niveau européen, ensuite, nous avons décidé de  nous affirmer dans l’architecture institutionnelle de l’Union européenne.  J’ai ainsi signé, il y a de cela quelques semaines, avec mes homologues italien, allemand et luxembourgeois, une déclaration conjointe qui appelle les institutions européennes à placer les Parlements nationaux au cœur de la procédure communautaire. Le texte, si vous le souhaitez, est à votre disposition.

Nous ferons prochainement, ensemble et à partir de celui-ci,  des propositions pour l’émergence d’une Europe politique, qui manque si cruellement à notre continent comme l’a montré récemment la crise des réfugiés…

Je souhaite une  Assemblée nationale ouverte à la société civile et aux associations. C’est l’esprit de ces fameux Mardis de l’Avenir, de ces débats organisés encore cette année à huit reprises à l’Hôtel de Lassay.   Hier soir, nous débattions ainsi d’environnement et de santé, de la même manière que avons échangé au cours des derniers mois, sur les villes de demain, la jeunesse et l’éducation, ou bien encore des nouveaux indicateurs de développement.

Je souhaite une  Assemblée nationale ouverte à l’art et à la culture. A ce titre, l’un des grands moments de cette année aura été l’inauguration dans la salle des Mariannes d’une grande toile du peintre franco-américain JonOne. Il a signé un hommage à la fois actuel et éternel au premier principe de notre démocratie, la Liberté, par une réinterprétation du célèbre tableau de Delacroix.

Pour ma part, je suis fier et heureux d’avoir fait entrer l’art urbain, qui ressemble tant à une partie de la France, à l’Assemblée nationale. Rendez-vous compte : la poste en a même édité un timbre !

Cette ouverture sur l’art est aussi l’occasion pour nous de recoller les pages déchirées de l’histoire, et celles qui ont été  injustement effacées. C’est la raison pour laquelle le buste d’une femme, enfin,  fera bientôt son entrée dans la salle desQuatre-Colonnes. Celui d’Olympe de Gouges, qui en 1792 déclarait : « La femme a le droit de monter à l'échafaud, elle doit avoir également celui de monter à la tribune».

Je souhaite une  Assemblée nationale ouverte aux  intellectuels et à la connaissance.

C’est l’esprit de deux missions créées cette année et qui ont pour la première fois de l’histoire de l’Assemblée nationale associé parlementaires, intellectuels et universitaires. Je pense à la Commission de réflexion sur le droit et les libertés à l’âge du numérique, qui me remettra demain son rapport.  

Je pense également au groupe de travail sur les Institutions, que j’ai présidé aux côtés de l’historien Michel Winock, que je veux une nouvelle fois remercier pour la qualité de son travail,  son indépendance d’esprit, et sa rigueur intellectuelle. Groupe de travail dont, je rappelle, la composition a été voulue transpartisane et pluraliste, associant ainsi parlementaires, constitutionnalistes, professeurs d’histoire, de sciences humaines, de sciences politiques,   et de philosophie !

A ceux qui désespèrent et pensent qu’il n’y a plus de grands intellectuels humanistes en France, je les invite à venir  à l’Assemblée nationale !  

Je souhaite, enfin, une  Assemblée nationale ouverte à la révolution numérique.

Cette année aura été celle de la première consultation citoyenne numérique lancée sur un texte de l’Assemblée nationale. Avec plus de 11 900 contributions sur le projet de loi relatif à la fin de vie, force est de constater que cet outil de collaboration doit être approfondi et davantage mobilisé.  

En outre, j’ai souhaité cette année  la mise à disposition de 800 000 documents en format « open data », c’est-à-dire accessibles à tous sur Internet, dans un format librement exploitable et réutilisable sans restrictions techniques, juridiques ou financières.

Poursuivant ce mouvement, un premier Datacamp parlementaire aura lieu en début d’année prochaine. J’ai souhaité décalé de quelques semaines son organisation afin que cet évènement n’intervienne pas en période électorale.  

Au cours de celui-ci, tous les internautes intéressés par le travail parlementaire - citoyens, développeurs, associations, assistants parlementaires, fonctionnaires, et bien évidemment députés - pourront créer ou développer, des applications ou projets exploitant les données que je viens d’évoquer.  

***

Mesdames et Messieurs,

J’en viens à ma conclusion. Elle trouve son origine dans les réflexions que nous avons, pendant un an, partagées avec l’historien Michel Winock et les autres membres du groupe de travail sur l’avenir des institutions.

Prenons garde : notre démocratie par certains côtés sous nos yeux est en train de se défaire.

L’abstention s’est durablement installée,  la défiance ne cesse de monter, notre espace commun continue chaque jour, un peu plus, à se fracturer. Face à cette situation deux attitudes peuvent être adoptées.

Nous pouvons prétendre que la faute est entièrement imputable à la crise économique et sociale. Que nos Institutions ne doivent surtout pas être remises en question.

Que notre démocratie fonctionne bien dans notre pays, et cela même si 70 % des Français affirment le contraire, si l’on en croit le baromètre établi chaque année par le CEVIPOF.

C’est la démarche que défend mon homologue du Sénat.  Il soutient que notre crise démocratique n’a rien à voir avec le fonctionnement institutionnel. Et qu’au fond il s’agit surtout de ne rien faire… Si ce n’est de mettre à l’index tous ceux qui soutiendraient le contraire.

Je trouve d’ailleurs assez paradoxal de qualifier d’ « hors sujet » et d’ « imposture » historique, un rapport établi par un groupe de travail présidé par un intellectuel reconnu, à qui l’on a décerné, six mois plus tôt, le prix du livre d’histoire du Sénat… Décidément, il n’y a pas loin du Capitole à la roche Tarpéienne.

Nos fonctions respectives imposent, selon moi, de prendre un peu de hauteur et de savoir regarder parfois au-delà des partis.

Et de savoir dire lorsqu’il y a un accord sur le fond, comme c’est le cas aujourd’hui sur le projet de réforme du CSM, que l’intérêt général prime, et que oui : nous pouvons, sur ce sujet, voter ensemble une révision constitutionnelle.

Quoi qu’il en soit sa vision n’est pas ma vision de la démocratie. Pour moi, la démocratie mérite bien un débat. Un débat dans lequel on doit savoir entendre et écouter, se remettre en question et trouver des points d’entente.

C’est ce que nous avons su faire  avec les membres du groupe de travail sur l’avenir des Institutions en défendant ensemble, après un an de débats, un septennat non renouvelable, repensé et rénové.  

Parce que l’état de notre pays, de notre République et de notre démocratie, exige de nous, responsables politiques, de ne pas fuir le débat, mais au contraire de le porter, de l’assumer et de le faire vivre.

Je vous remercie.

Deux pages du discours prononcé ont été retirées ne concernant pas l'activité parlementaire.