Séance solennelle dans l’hémicycle du Congrès de la Nouvelle-Calédonie, le 24 avril 2015
Allocution de M. le Président Claude Bartolone
Monsieur le président du Congrès,
Monsieur le président du Gouvernement,
Madame la députée, Monsieur le député,
Monsieur le Haut-commissaire,
Messieurs les présidents des assemblées de province,
Mesdames et messieurs les élus du Congrès,
Mesdames et messieurs,
Je suis à la fois très heureux et honoré de m’exprimer devant vous aujourd’hui, en tant que président de l’Assemblée nationale.
Je vous remercie de m’accueillir dans cette « troisième assemblée législative » de la République comme aime si justement à la désigner votre président, Gaël Yanno.
Le Congrès de la Nouvelle-Calédonie, à côté des assemblées de province et du Gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, est le symbole de votre organisation institutionnelle, une organisation sans équivalent au sein de notre République, fruit de votre histoire.
« Le passé a été le temps de la colonisation. Le présent est le temps du partage, par le rééquilibrage. L’avenir doit être le temps de l’identité, dans un destin commun. » C’est en rappelant les traces de l’histoire que nul ne peut effacer, que l’Accord de Nouméa fixe à tous les Calédoniens, dans ce magnifique préambule, l’horizon d’un avenir partagé pour tous les enfants de cette terre, un avenir dont la construction doit, hier comme aujourd’hui, unir tous les efforts.
Cet Accord, que vos représentants ont signé avec le Premier ministre Lionel Jospin, dans le prolongement de la voie ouverte par Jacques Lafleur, Jean-Marie Tjibaou et Michel Rocard, a incontestablement permis à la Nouvelle-Calédonie non seulement d’avancer vers une autonomie toujours croissante, en la dotant à cette fin d’un cadre institutionnel totalement original –, mais aussi de renforcer le rééquilibrage économique et la cohésion sociale de son territoire.
Aujourd’hui, à l’aube des échéances majeures qui vous attendent, vous élus et citoyens calédoniens, je suis frappé par la mutation économique et sociale que connaît la Nouvelle-Calédonie même si, dans le même temps, elle est traversée par des questions cruciales quant à son identité et à son avenir.
Cette mutation profonde de chacune des provinces, je l’avais déjà perçue lors de ma précédente visite, en avril 2010.
En compagnie de Gaël Yanno, guide ô combien précieux et attentif pour faire connaissance de la Nouvelle-Calédonie, nous préparions alors, en tant que membres de la commission des finances de l’Assemblée nationale, le rapport d’information sur la mise en application de la loi pour le développement économique des Outre-mer, la LODEOM. Votre accueil avait été chaleureux et les échanges avec les responsables politiques comme économiques fructueux et très enrichissants. J’ai ainsi encore présentes en mémoire les images de vos deux usines métallurgiques où je m’étais alors rendu : ces visites m’avaient permis de mieux comprendre toute l’importance du nickel dans votre économie. Je me réjouis de poursuivre aujourd’hui le fil de ce dialogue, dans le cadre, bien sûr, de responsabilités différentes pour beaucoup d’entre nous.
Pour répondre aujourd’hui aux questions sur l’avenir, il vous faut avant tout poursuivre les efforts engagés par la Nouvelle-Calédonie pour former sa jeunesse à l’exercice de nouvelles responsabilités, politiques, économiques et sociales. La réussite de cette jeunesse est aussi la plus forte promesse pour l’avenir de la Nouvelle-Calédonie.
Son cadre politique, vous allez le définir, ensemble, en prolongeant la démarche réaliste, progressive et consensuelle, qu’avaient adoptée les signataires des accords de Matignon puis de Nouméa. Elle doit demeurer votre référence au cours de ce cycle qui s’est ouvert, il y a un peu moins d’un an, avec l’élection du quatrième Congrès. Et comme depuis 27 ans, vous pouvez compter sur la présence à vos côtés de l’Etat, un Etat qui assumera toutes ses responsabilités mais uniquement ses responsabilités.
Lorsque le Président de la République a évoqué, lors de sa visite, un Etat « équidistant », certains y ont vu le risque d’un désengagement politique. Il n’en est rien et je peux vous assurer, au nom de la Représentation nationale, que l’Etat ne se désengage pas de ce processus ni ne s’en désintéresse. Mais il considère qu’il ne lui appartient pas de décider à votre place ce que sera la prochaine architecture institutionnelle de la Nouvelle-Calédonie. Pleinement signataire de l’accord de Nouméa, il estime que son premier rôle est de s’assurer que les conditions du dialogue sont réunies et sincères, et de vous accompagner pour que la volonté des Calédoniens qui auront à se prononcer soit incontestable et incontestée.
C’est en cela qu’il respecte ses engagements et les vôtres, dont il se sent réellement garant, et qu’il se montre respectueux de chaque partie et attentif à ses interrogations et à ses craintes.
Je vous le dis sans ambages : l’Etat n’est pas partisan ni « socialiste » comme je l’entends parfois. Il est impartial et c’est justement parce qu’il est impartial, qu’il peut être pleinement engagé à vos côtés et donc qu’il n’est pas simplement attentiste.
Non l’Etat n’est pas le simple clerc de notaire de consensus immanents. Je sais bien que dans des temps d’inquiétude – car oui, j’entends ces inquiétudes qui s’expriment et oui, je les comprends -, l’Etat doit être aussi présent. Et qu’il n’y ait aucun doute, il l’est et le sera. Non pour énoncer à votre place les positions communes d’accord, mais pour rassurer, et pour les faire émerger.
Mesdames et messieurs les élus du Congrès, votre territoire est désormais engagé dans une étape décisive et c’est à votre assemblée qu’il reviendra de décider, à la majorité des trois cinquièmes, d’une date de consultation sur l’accession à la pleine souveraineté du territoire, au cours de cette mandature. La responsabilité qui est la vôtre est grande. Sans vouloir user de grands mots, elle est même historique.
Chaque parti, chaque élu doit aujourd’hui mesurer et assumer, à son niveau, à sa place, cette responsabilité. Chacun a le devoir de poursuivre le chemin exemplaire tracé en 1988, chacun a le devoir de placer l’intérêt de la Calédonie et des Calédoniens au-dessus de tout calcul partisan ou personnel.
Cette consultation sur l’autodétermination fait actuellement l’objet de nombreux travaux préparatoires entre l’État et la Nouvelle-Calédonie. Je tiens ici à réaffirmer avec force et détermination que la Représentation nationale entend en suivre attentivement les développements, non pour juger bien sûr mais pour accompagner activement.
Parce que la Nouvelle-Calédonie devra une nouvelle fois se réinventer pour mieux s’émanciper, pour éviter que cette histoire ne se joue à huis clos, la responsabilité du Parlement est de demeurer le témoin attentif et indispensable de cette évolution.
Depuis plus de trente ans, l’histoire de la Nouvelle-Calédonie s’est ainsi faite grâce à un double consensus.
Au niveau local, l’esprit de consensus implique que chaque camp fasse des concessions en vue de parvenir à un point d’équilibre, comme l’est depuis 1998 l’Accord de Nouméa.
Dans l’Hexagone, l’esprit de consensus se manifeste par le fait que les problèmes calédoniens ne font plus depuis longtemps, et c’est heureux et précieux, l’objet de débats – ou pire d’instrumentalisations – à enjeux de politique nationale.
Soucieuse de ne pas rester à l’écart du processus de sortie de l’Accord de Nouméa et garante de cet esprit de consensus sans lequel l’avenir de la Nouvelle-Calédonie ne pourra pas s’écrire, la Conférence des Présidents de l’Assemblée nationale a créé, à mon initiative, une mission d’information composée de vingt membres issus de l’ensemble des groupes politiques représentés à l’Assemblée nationale.
Cette mission transpartisane entend travailler dans l’esprit d’ouverture et d’écoute qui est traditionnellement celui du Parlement et qui s’est tout particulièrement exprimé lors de l’adoption en juillet 1998 de la loi constitutionnelle transcrivant l’Accord de Nouméa dans notre Constitution.
Le rapporteur de cette mission d’information, M. Jean-Jacques Urvoas qui est aussi président de la commission des Lois, et l’un de ses vice-présidents, M. Philippe Gosselin, qui me font l’honneur de m’accompagner, sont d’ailleurs respectivement issus de la majorité et de l’opposition, soulignant ainsi l’impérieux devoir qui est le nôtre de prolonger l’esprit de consensus ayant présidé à toutes les grandes avancées de l’histoire récente de la Nouvelle-Calédonie.
J’associe à ces mots Dominique Bussereau, président de la mission d’information et qui n’a pu participer à notre visite en raison du débat budgétaire au conseil départemental de la Charente-Maritime qu’il préside, ainsi que René Dosière, dont chacun sait l’attachement indéfectible qu’il porte à votre territoire.
Je rappellerai également que cette mission d’information s’inscrit dans le prolongement des travaux menés, depuis le début de la XIIIe législature, par la commission des Lois de l’Assemblée nationale, dont une délégation composée de son président, M. Jean-Jacques Urvoas, et de deux de ses membres, MM. René Dosière et Dominique Bussereau, s’est rendue en Nouvelle-Calédonie, du 2 au 8 septembre 2013.
Par leurs travaux – auxquels je rends ici hommage –, ils ont souhaité aider les Calédoniens à poursuivre ce chemin d’un destin partagé et la Représentation nationale à appréhender au mieux l’expression démocratique de ce choix.
Dans cette perspective, l’Assemblée nationale veille particulièrement à nouer et à entretenir avec le Congrès de la Nouvelle-Calédonie des relations de travail privilégiées. J’ai ainsi le plaisir de retrouver Rock Wamytan, ancien président du Congrès, que j’ai eu le plaisir de recevoir à l’Hôtel de Lassay, à l’occasion de la signature de notre convention commune permettant aux fonctionnaires de chacune de nos assemblées de venir se former et échanger alternativement à Paris et à Nouméa. Ce partage d’expérience et cet esprit de dialogue sont plus que jamais nécessaires dans la perspective de l’« après Nouméa ».
C’est dans ce même esprit que j’ai accueilli il y a quelques mois, Paul Vakié, Président du Sénat coutumier de Nouvelle-Calédonie, venu me présenter la charte que son institution venait d’adopter comme socle commun des valeurs de la civilisation kanake.
Je suis en effet convaincu que le principal enjeu du processus de sortie de l’Accord de Nouméa est non seulement de parvenir à la définition d’une nouvelle organisation politique et institutionnelle, qui ne pourra qu’être visionnaire, mais aussi de rassurer une société et une jeunesse calédoniennes, qui doivent avoir confiance en la volonté intangible de leurs responsables politiques de construire ensemble ce pays. Car il ne faut pas oublier que l’histoire, votre histoire commune, ne s’arrête pas à la définition de cette nouvelle architecture et qu’il n’est pas possible de ne pas penser aux lendemains qui suivront. Car, quel que soit le schéma institutionnel qui sera adopté par les Calédoniens, ils seront forcément différents d’aujourd’hui.
Seule l’émergence d’un nouveau consensus permettra demain aux forces politiques du territoire, à vous mesdames et messieurs les élus du Congrès, mais plus largement à l’ensemble des Calédoniens, de poursuivre la communauté de destin, dans laquelle la Nouvelle-Calédonie, sous l’égide de l’État et du Parlement, s’est résolument engagée depuis plusieurs décennies. Cette voie consensuelle n’est certes pas la plus simple à emprunter, mais elle est la plus sage.
En cherchant à rapprocher leurs positions sur ce que pourrait être demain l’avenir institutionnel et politique de la Nouvelle-Calédonie, les différentes forces politiques que vous représentez devront offrir à chaque habitant calédonien l’opportunité d’adhérer à un véritable projet de destin partagé quelle qu’en soit la forme juridique.
L’approfondissement de cette communauté de destin, préconisée par l’Accord de Nouméa, nécessite que les parties prenantes s’engagent résolument et sans attendre dans la voie du dialogue, afin de permettre à chaque « camp » de confronter pacifiquement les sujets qui les opposent avec la volonté de trouver, sur chacun d’eux, des convergences. Comme je le rappelle régulièrement à l’Assemblée nationale, la Démocratie, ce n’est pas l’invective ni encore moins l’agression, c’est la confrontation des idées,.
La réussite de cette entreprise passera également par un développement économique et social plus équilibré, seul capable de répondre aux aspirations de la population et, en particulier, de la jeunesse calédonienne, en limitant les tensions inhérentes à une société plurielle.
Mesdames et messieurs les élus, je n’ignore rien de la difficulté de la tâche et de cette responsabilité immense qui vous incombe, à l’heure où la compétition politique, au demeurant légitime en démocratie, ne doit pas pour autant conduire à s’éloigner de l’essentiel.
La mandature en cours doit, sans attendre, être mise à profit par l’ensemble des élus calédoniens, par la société civile, par les syndicats et le patronat, mais aussi toutes les forces spirituelles, pour préparer avec confiance et sérénité l’avenir institutionnel mais aussi économique de la Nouvelle-Calédonie dans le prolongement de l’Accord de Nouméa.
L’Assemblée nationale y prendra toute sa part ; elle aura d’ailleurs à examiner avant la fin du mois de juillet de cette année un projet de loi organique, dont l’objet est de créer toutes les conditions nécessaires au bon déroulement de la consultation de la Nouvelle-Calédonie sur l’accession à la pleine souveraineté.
Ce texte veille notamment à permettre au plus grand nombre de Calédoniens, conformément au voeu du XIIe comité des signataires de l’Accord de Nouméa, réuni le 3 octobre 2014 sous la présidence du Premier ministre, de participer, sans démarches contraignantes, à cette consultation.
Je n’ignore pas que le Congrès devant lequel je m’exprime en ce moment, a émis sur ce texte, dans un avis rendu le 26 mars dernier, plusieurs réserves. Celles-ci présentent, à mes yeux, le mérite de souligner combien toutes les attentes exprimées lors du dernier Comité des signataires n’ont pu être satisfaites, notamment pour des raisons juridiques. Mais elles posent aussi les jalons des discussions à venir.
Comme le Premier ministre, Manuel Valls, en a pris l’engagement, le débat parlementaire qui va s’ouvrir au Sénat puis à l’Assemblée nationale sera mis à profit, dans un esprit de dialogue et d’ouverture, pour lever ce qui aujourd’hui apparaît à certains d’entre vous comme des obstacles juridiques importants. Je compte m’y investir personnellement.
Le Parlement aura l’occasion d’examiner celles des recommandations formulées par le Congrès susceptibles de faire l’objet d’un très large accord entre les partenaires calédoniens. Et il usera naturellement de tout son pouvoir législatif pour permettre à un texte d’accord d’émerger. Cet engagement, je prends ce matin devant vous.
Je sais que vos deux députés, Philippe Gomès et Sonia Lagarde, sauront faire entendre ces préoccupations. Pour ne rien vous cacher, ils connaissent parfaitement le chemin de mon bureau et n’hésitent pas à régulièrement franchir ma porte pour me parler librement. J’imagine qu’il en sera de même pour vos sénateurs, Pierre Frogier et Hilarion Vendégou.
Que personne ne se méprenne : les avis juridiques éclairent le Gouvernement et le Législateur dans leur travail et dans leur réflexion mais ils ne sont pas la Loi. Mais une loi ne peut s’écrire en ignorant le droit, au risque de ne pas être la loi de tous, la loi de chacun.
Quels que soient les choix institutionnels et politiques qui seront faits et que vous seuls serez amenés à faire, la Représentation nationale se montrera attachée à la nécessité de rassurer la société calédonienne sur le caractère irréversible d’un avenir commun et partagé entre toutes les communautés qui font ce territoire et à la nécessité de produire un texte dans lequel chaque Calédonien puisse trouver l’expression de cet attachement.
Vous l’aurez donc compris, il est, à mes yeux, essentiel que, dans la période qui s’ouvre, un véritable débat puisse s’instaurer dans toute la société et permettre l’expression démocratique de toutes les parties prenantes sur les choix à venir. Ce débat exige de tous sérénité et responsabilité.
Comme le Président de la République, M. François Hollande, vous l’a affirmé le 17 novembre 2014 lors de sa venue en Nouvelle-Calédonie, « la solution, personne ne la connaît encore. C’est vous qui allez la formuler. Et la France sera à vos côtés (…) aussi longtemps que la Nouvelle-Calédonie le voudra ».
Cette solution institutionnelle qu’il vous revient désormais d’inventer et qui constituera le nouvel avenir de la Nouvelle-Calédonie ne pourra – j’en suis convaincu – être qu’inédite à l’image de l’histoire singulière de ce territoire qui, par ses forces et ses richesses, ne laisse définitivement personne indifférent.
Avec vous, voisins de l’Australie, aux portes de l’Asie à l’heure de ce formidable basculement du monde, la France est aujourd’hui un acteur de cette mer partagée qu’est le Pacifique.
Depuis que je suis président de l’Assemblée nationale, je reçois chaque semaine des délégations étrangères. Le message que j’entends de mes interlocuteurs, comme il y a deux semaines le président de la Chambre des représentants de Nouvelle-Zélande, c’est que la voix de la France est entendue, est attendue.
La France, vous le savez, accueillera en décembre la prochaine conférence des Nations-Unies sur le changement climatique, avec une volonté politique très forte. Ici, dans le Pacifique sud, certains Etats sont parmi les plus directement concernés par l’urgence climatique.
L’Assemblée nationale accueillera en décembre, sur la proposition de Philippe Gomès et dans le contexte de la COP21, un colloque sur l’avenir de votre récif corallien, le deuxième au monde, inscrit au patrimoine mondial de l’humanité et aujourd’hui en belle santé. Ce fut ainsi en 2008 le premier espace naturel français outre-mer ainsi inscrit par l’UNESCO.
Grâce à l’impulsion du Gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, et derrière lui celui de la France toute entière, une véritable réflexion commune s’est construite au niveau régional avec Océania 21. Je souhaite que le développement durable et les enjeux climatiques puissent être désormais au coeur de la relation entre la France et les Etats de l’Océanie et du Pacifique Sud.
Je me réjouis en effet de voir combien l’image de la France a positivement évolué dans cette région.
Les ombres du passé se sont effacées, et le message de la France, son message historique si particulier, celui de la République, celui des Lumières porte enfin de nouveau.
Il porte et il continuera de porter bien sûr tout particulièrement depuis votre terre car la France sera toujours à vos côtés, avec vous autant que vous le souhaiterez.
Vive la Nouvelle-Calédonie, vive la République et vive la France.