Dévoilement de plaques commémoratives dans l’hémicycle en hommage à André Marie et Robert Schuman

Dévoilement des plaques commémoratives
en l’honneur de Robert Schuman et d’André Marie
Mercredi 30 novembre 2016, 12h
Assemblée nationale – Hémicycle

 

Monsieur le président, cher Mars DI BARTOLOMEO,
Monsieur le Ministre, Cher Jean-Michel BAYLET,
Mesdames et Messieurs les députés, mes chers collègues,
Monsieur le président de la Fondation Robert Schuman, cher Jean-Dominique GIULIANI,
Madame la directrice générale de la Fondation Robert Schuman, chère Pascale JOANNIN,
Mesdames et messieurs, chers amis,

Bienvenue à l’Assemblée nationale. Nous sommes réunis en ce jour pour honorer deux hommes, deux mémoires, celle d’André MARIE et celle de Robert SCHUMAN. Deux hommes d’Etat, députés assidus, républicains convaincus, témoins du siècle et bâtisseurs d’avenir.

Ce sont deux hommes qui ne se ressemblent pas, à première vue. André MARIE était un Normand vigoureux, avocat d’assises à la parole énergique, à la voix haute et claire, un homme de lettres et un amateur d’art.
Robert SCHUMAN, quant à lui, était un Lorrain austère, un homme humble et réservé, habité d’inquiétudes et du sens du devoir.

En politique aussi, ils avaient choisi des chemins différents. André MARIE est un radical de toujours, qui se ralliera dans les dernières années au Centre républicain ; tandis que Robert SCHUMAN est du côté de la démocratie chrétienne, incarnée après la guerre par le Mouvement républicain populaire.
Et pourtant, ces deux hommes, tout les rassemble. Ils ont d’ailleurs travaillé ensemble à de multiples reprises, collègues dans cet hémicycle à travers neuf législatures et trois Républiques, ministres ensemble ou séparément, présidents du Conseil l’un après l’autre sous la Quatrième République. Parce que ce qui les unit, c’est plus que tout ce qui pourrait jamais les opposer, plus que toutes les différences de personnes et les divergences d’opinion.
Ce qui les unit, c’est une force indépassable, celle qui a construit la France moderne, et la même qui nous réunit aujourd’hui. C’est le cri de 1789. C’est l’aspiration à la liberté, l’égalité, la fraternité. C’est la République.

***

André MARIE est un enfant de la République, qui grandit avec l’école. En 1914, quand la guerre éclate, il est un studieux élève de 17 ans, qui prépare l’Ecole normale supérieure. La guerre, cette dévastatrice de toujours, vient bouleverser ses projets. Il est appelé à la fin de 1916, à 19 ans, et s’illustre au combat, au passage de la Vesle, au Chemin des Dames, en Argonne ; blessé, il obtient la Croix de guerre avec palmes. De retour dans la vie civile, il devient avocat.

Sa carrière politique commence en 1928, lorsqu’il est élu député de la Seine-Inférieure – actuelle Seine-Maritime. Dans cet hémicycle, il est l’un des plus jeunes députés, et c’est pour lui le début d’une longue aventure avec la France – une aventure qui durera plus de trente ans. Une aventure qu’il vit à fond, travaillant dur, travaillant fort.
Orateur de talent, il est rapidement remarqué, et bientôt on lui propose de premiers mandats ministériels : sous-secrétaire d’Etat pour la Lorraine puis les Affaires étrangères dans le gouvernement d’Albert SARRAULT, il représente ensuite la France à la Société des Nations.

A l’Assemblée, il se distingue comme un député actif, engagé, qui demande dès 1928 des congés payés pour les ouvriers, ou encore l’adaptation des aides versées aux chômeurs en fonction de leurs besoins. C’est donc tout naturellement qu’il anime en 1936 les comités du Front populaire dans son département : parce que le Front populaire, dit-il, « c’est le pain, la liberté, la paix ! ».
Ce pain, cette liberté, cette paix, André MARIE est aussi prêt à les défendre. En septembre 1939, sentant venir ou plutôt revenir la guerre, il fait partie des quatre députés qui, à la suite de Gaston MONNERVILLE, sont à l’origine du décret-loi levant l’interdiction de service actif pour les parlementaires de plus de quarante ans. Et en 1940, malgré son âge et son mandat, il s’engage volontairement dans l’armée française, comme 49 autres parlementaires, et participe à la Bataille de France.

Fait prisonnier, il passera près d’un an emprisonné en Allemagne, à l’Oflag de Sarrebourg. A son retour en France, en 1941, il désavoue Vichy, se démet de toutes ses fonctions électives, et entre en résistance.
Cela lui vaudra une deuxième arrestation, par la Gestapo cette fois, qui le fait interner à Compiègne puis déporter au camp de Buchenwald, où il passera seize longs mois avant l’arrivée des soldats américains en avril 1945. Seize mois qui le laisseront extrêmement amaigri, les poumons et le foie sévèrement atteints.

Mais si son corps est durablement affecté, sa détermination politique reste sans faille. Sous la Quatrième République, il est député sous toutes les législatures, ministre dans tous les gouvernements. En 1948, il devient président du Conseil, à la suite de Robert SCHUMAN. Dans son gouvernement, on retrouve le jeune François MITTERRAND, secrétaire d’Etat à l’Information. Mais après cette brève expérience comme chef du gouvernement, André MARIE se consacre surtout à sa ville de Barentin, dont il est maire de 1945 à 1974.
Dans les tourmentes du vingtième siècle, André MARIE fait partie de ceux qui ont su garder claire l’idée de leur mission et du pays qu’ils servaient. Une clarté qui lui sert de boussole, qui assure la cohérence d’une vie politique agitée par des événements prodigieux.

De son action, demeurent l’infaillible engagement républicain, la croyance fervente dans la capacité de l’être humain à s’émanciper, à s’élever au-dessus de sa condition. De sa vision, demeure cette image du maire de Barentin qui, voyant que ses concitoyens n’allaient pas au musée, décida d’amener le musée dans les rues. Aujourd’hui encore, les 115 statues qu’il y installa habillent d’art le quotidien de ses habitants.
Avec lui, c’est un véritable combattant de la République, de tous les combats et sur tous les terrains, que nous saluons aujourd’hui. Un homme qui a su, en 1916, en 1940, et encore en 1943, se dresser lorsque la situation l’exigeait ; mais qui savait aussi qu’en République, la vraie place des combats est ici, au Parlement, enceinte du débat démocratique.

***

Homme de combats, Robert SCHUMAN le fut aussi, à travers la complexité de son parcours. Un parcours marqué d’abord par la multiplicité des langues, des cultures, des nations, pour cet Allemand de naissance, né au Luxembourg – cher Mars, vous le savez –, qui devient Français en 1918.
Un parcours marqué aussi pas une lutte permanente contre ses propres démons, pour cet homme tourmenté, orphelin de père à quatorze ans et de mère à vingt-quatre.  

Dans chacun des combats qu’il mène, SCHUMAN se livre entier, total. L’engagement chez lui est sans partage. L’habitude qui érode ne prend pas chez lui, et tout au long de sa vie politique il entra dans cette salle, dans cet hémicycle, « comme un religieux gagne sa stalle dans le chœur », selon l’expression de Jacques FAUVET. Et si Robert SCHUMAN, dont le procès en béatification est en attente, n’est pas encore un faiseur de miracles chrétien, il est à coup sûr un religieux de la République, un saint français et européen.

Comme André MARIE, il est aussi l’homme d’une région, d’un terroir. Pour lui, c’est la Lorraine, terre souffrante en ce vingtième siècle, ballotée d’Allemagne en France et de France en Allemagne. En entrant dans notre hémicycle, le 8 décembre 1919, Robert SCHUMAN et les vingt-trois autres députés d’Alsace et de Lorraine sont accueillis à la Chambre par des vivats, lors d’une séance solennelle. Le symbole est là. Mais reste encore à organiser la réintégration.
Ce sera son combat, de 1928 à 1936 : le combat notamment du statut local des départements recouvrés, de l’école confessionnelle et du bilinguisme.

Lui aussi est avocat, et son travail parlementaire s’oriente rapidement autour de la législation civile et criminelle. Grand travailleur également, il est rapporteur du projet de loi de réorganisation de l’administration pénitentiaire en 1930, puis du budget de la justice.

Effrayé par le nazisme et la perspective de la guerre, l’ancien étudiant de Bonn et de Munich ne retourne plus en Allemagne après 1933. On lui confie la charge des réfugiés, d’abord mosellans en 1939, puis ceux du grand exode de 1940.
C’est à ce poste qu’il demeure, en juin, dans le gouvernement de Philippe Pétain, à qui il vote les pleins pouvoirs le 10 juillet. Il refuse pourtant d’entrer au gouvernement du maréchal. Il sera arrêté et incarcéré par les Allemands, avant de parvenir à s’évader et à rejoindre la zone libre en 1942.

Après la guerre, au temps de l’épuration, Robert SCHUMAN est frappé d’indignité nationale en raison du vote du 10 juillet.
Ce n’est que grâce à l’intervention personnelle du général de Gaulle qu’il peut finalement être candidat à la Première Assemblée Constituante de 1946, où il rejoint le Mouvement républicain populaire.

Il devient alors une figure incontournable de la politique française. Député, président de la commission des Finances, ministre, puis président du Conseil en 1947, il est sur tous les fronts. Mais il en est un qui va le faire entrer dans l’histoire. Il devient en juillet 1948 ministre des Affaires étrangères, fonction qu’il conservera plus de cinq ans sous neuf cabinets différents – un record de longévité sous la Quatrième République. A ce titre, c’est notamment lui qui signe au nom de la France le pacte fondateur de l’OTAN, en 1949.

Surtout, cet homme en qui se noue une double appartenance veut absolument réconcilier la France et l’Allemagne. Il a vécu les deux guerres mondiales, du côté allemand en 14, du côté français en 40. Il en sait la douleur, la noirceur de la mort. Il sait surtout le ridicule de la construction de l’ennemi, il sait la réalité de deux peuples vivants, de leurs morts inutiles, des souffrances qui sont les mêmes de part et d’autre du Rhin.
Il sait que l’opposition meurtrière, bien qu’elle soit ancienne, n’est au fond qu’affaire de construction culturelle et politique. Il sait, il croit déjà en 1950, qu’une autre Europe est possible, que l’union des peuples peut advenir, que la paix peut vivre.

Pragmatique toujours, il est avec Jean MONNET le grand artisan de la première étape de cette intégration européenne : la CECA, la Communauté européenne du charbon et de l’acier. Et sa déclaration inaugurale, le 9 mai 1950, marque aujourd’hui encore le jour où nous fêtons l’Europe.

Quelques années plus tard, l’intuition de Robert SCHUMAN est confirmée : le rapprochement économique de 1951 a donné lieu à une intégration politique, et il devient en 1958 le premier président du Parlement européen, qui le déclarera « Père de l’Europe » à la fin de son mandat.

De Robert SCHUMAN, nous apprenons la force d’une vision, celle d’une parole. Pensée avec justesse, lancée au bon moment, au bon endroit, une parole peut changer une nation, un peuple, un continent.

***

Chers amis,

Je le disais en introduction : à première vue, André MARIE et Robert SCHUMAN ne se ressemblent pas.
Et pourtant, rien ne les rassemble davantage que cet hémicycle, où ils travaillèrent côte à côte pendant des décennies.

Il est juste que l’Assemblée nationale rende aujourd’hui hommage à ceux qui l’ont défendue aux heures sombres de notre histoire, et qui, par leur travail précis et inspiré, ont fait honneur à l’idéal de notre institution – celui de la démocratie parlementaire.

A cette heure où, pour nous aussi, des tempêtes se dessinent, souhaitons savoir, à notre tour, trouver et conserver ce qui nous rassemble.

Je vous remercie.