Dîner « Goût de France », Hô-Chi-Minh-Ville

Dîner « Goût de France »
21 mars 2016
Résidence de France, Hô-Chi-Minh-Ville

Monsieur l’Ambassadeur,
Monsieur le Consul général,
Cher Thierry Drapeau,
Mesdames, Messieurs, chers amis,

C’est un grand plaisir d’être parmi vous ce soir, à l’occasion de ce dîner « Goût de France », dans les jardins de la Résidence de France. C’est la deuxième édition de « Goût de France », et certains d’entre vous sont déjà fidèles à cet événement gastronomique français, puisqu’ils étaient déjà présents l’an dernier.

La gastronomie à la française n’est pas toujours ce que l’on croit. Bien sûr, cela peut être un instant, comme ce soir, de raffinement et de délices, de haute gastronomie.

Mais, la gastronomie à la française, celle qui a été inscrite par l’UNESCO au patrimoine immatériel de l’humanité, c’est aussi aller déguster un plat familial dans un petit bistrot ou dans une brasserie. L’élite de la gastronomie n’est que la plus haute expression de toute une culture, que l’amour des produits de la terre, des troupeaux, de l’art culinaire, déclinent au plus près des foyers, des familles, des commerçants. Le secret de notre gastronomie, vous le connaissez, c’est la science de la rencontre, du partage.

Ce soir, ici à Saïgon, le partage est double. Nous allons partager ce délicieux dîner, ce moment agréable et fraternel. Si nous regardons le sens des mots, en français, le compagnon est celui avec lequel on partage le pain. Et comment appelle-t-on des personnes qui partagent un même repas ? Des convives… c’est-à-dire des personnes qui vivent ensemble.

Partager un repas est au cœur de notre gastronomie… comme au cœur de la gastronomie vietnamienne d’ailleurs.

Et c’est là le deuxième temps de notre partage ce soir. Français et Vietnamiens ont en partage cette culture culinaire, qui fait que de la cuisine impériale à la cour de Hué au petit restaurant de tous les jours, la cuisine occupe aussi une place centrale dans la culture et dans la société vietnamienne.

Et le repas est un temps de convivialité et d’apaisement. Dans notre culture comme dans la culture vietnamienne, c’est une parenthèse dans l’agitation, un moment privilégié de communion, et, quand nous l’utilisons pour travailler, il nous apporte toujours davantage. Combien, en effet, de contrats ont-ils été signés et d’affaires résolues autour d’une bonne table ? Combien, surtout, de mots d’affection, d’expression d’idées ont été murmurés, exprimés, chantés ? Nous savons, nous Français, que les restaurants parisiens furent, sous la Révolution française, les antichambres des affirmations politiques de la liberté et de l’égalité.

Compte tenu de la place de la cuisine dans nos sociétés, la gastronomie fait bien souvent écho à des souvenirs familiaux, voire des traditions familiales.

Si nous ne sommes pas tous de grands chefs – comme Thierry Drapeau, qui va enchanter nos papilles ce soir – nous avons tous des souvenirs d’enfance autour de la table, d’une recette à nulle autre pareille, de moments partagés en famille, avec des amis… Et nous avons tous ce goût des bonnes choses.

J’ai la chance, par ma famille, d’être au confluent de plusieurs cultures. Mon père sicilien, ma mère maltaise, mon enfance tunisienne et ma vie française m’ont fait découvrir mille saveurs, mille odeurs, mille recettes qu’un être humain emmène dans son existence pour la stimuler, la parfumer, l’orner.

Je suis issu du monde de l’huile d’olive, des pâtes italiennes, du pain sans sel, du vin des terres chaudes des pentes de l’Etna, de l’anchois et des sauces tomate.

L’art culinaire est même une histoire de famille, puisque mon petit frère, qui a passé plus de temps en Italie que moi, a ouvert un restaurant italien à Paris, et vit dans l’odeur des mozzarellas et du parmesan. Vous imaginez comme je l’envie souvent !

Moi, je me bats contre des projets de loi, des amendements législatifs, des analyses juridiques ; lui se bat contre un poulpe qui résiste ou des spaghettis durs à cuire. C’est tout de même plus savoureux !

Ce soir, pour le jour du printemps, plus de 1700 chefs sur cinq continents célèbrent, exaltent, magnifient le génie culinaire français.

La France a hissé la cuisine à la dignité de l’œuvre d’art. J’espère, j’ose croire, qu’un jour cher Thierry Drapeau, la postérité mondiale se souviendra de vous et de vos confrères comme on se souvient d’une époque de grands peintres, d’une époque de grands philosophes, et qu’une culture gastronomique est l’expression d’une volonté d’excellence et d’une époque qui aime le talent et le bon goût.

Alors, ce soir, partageons un moment magique dans un lieu qui ne l’est pas moins. Suspendons toute querelle, tout travail, tout effort, pour offrir au delta du Mékong l’humble présent du savoir-faire français, qui, plus encore qu’une technique, est tout d’abord une volonté de vivre, et de vivre ensemble.

Comme le disait le plus grand cuisinier de notre histoire, qui fut d’ailleurs aussi député, Jean-Anthelme Brillat-Savarin, « la table est le seul endroit où l'on ne s'ennuie jamais pendant la première heure ». Je suis certain que ce soir, on ne s’ennuiera pas une seule minute.

Levons nos verres. Vive le Vietnam ! Vive le peuple vietnamien ! Vive la cuisine française !