Discours d’accueil du Président de la République

Discours d’accueil du Président de la République par le  Président de l’Assemblée nationale
Refaire la démocratie
Jeudi 6 octobre 2016

 

Monsieur le Président de la République,
Madame le membre du Conseil constitutionnel,
Mesdames et Messieurs les ministres et secrétaires d’Etat,
Mesdames et Messieurs les Questeurs,
Mesdames et Messieurs les Parlementaires,
Mesdames et Messieurs les élus,
Messieurs les Secrétaires généraux,  
Mesdames, Messieurs,

Je voudrais commencer par remercier les membres du groupe de travail sur l’avenir des Institutions.
Parlementaires, de droite et de gauche, universitaires, juristes, historiens, philosophes, chercheurs, syndicalistes, acteurs du monde de l’entreprise, vous avez travaillé pendant près d’un an, procédant à plusieurs dizaines d’auditions, pour établir un rapport, qui analyse de manière approfondie les racines de la crise démocratique que nous traversons. Ensemble, nous avons formulé dix-sept propositions visant à revitaliser nos Institutions.
Des propositions établies de façon soit consensuelle, soit majoritaire. En définitive, seul mon prédécesseur et collègue,  Bernard Accoyer, aura exprimé son opposition à toute évolution institutionnelle. Il n’en demeure pas moins que par la grande qualité de ses interventions, il a contribué pleinement à la richesse de nos débats. En raison d’un deuil familial, il ne peut malheureusement être parmi nous aujourd’hui.  Je tenais, néanmoins, à ce qu’il soit ici salué.

J’adresse également, et tout particulièrement mes remerciements à Michel Winock, qui a présidé à mes côtés ce groupe de travail.
Il est rare qu’un grand historien s’engage ainsi dans le débat public, au nom de l’intérêt général. Pour cette raison, notamment, je souhaite lui rendre un vif hommage.

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 Â« Refaire la démocratie » : tel est le titre que nous avons donné au rapport du groupe de travail sur l’avenir des Institutions. Telle est la raison, qui nous réunit aujourd’hui.
Ce titre est à la fois une alerte et une invitation. Il exprime une part de nos craintes, de nos espoirs, de nos aspirations.
On le dit bien souvent : la question des Institutions n’intéresse pas les Français.
Les Institutions ? Peut-être pas…
Mais la démocratie… assurément.

C’est au nom de la démocratie - qui n’est pas simplement un régime mais une manière de vivre ensemble - que les Françaises et les Français sont descendus dans les rues, sous le soleil froid et sec de janvier, pour affirmer haut et fort qu’ils ne céderaient pas face au terrorisme, qu’ils ne céderaient pas face au poison de la division et de la guerre civile que tentent d’inoculer celles et ceux à qui la démocratie fait horreur.

C’est aussi, au nom de la démocratie, qu’ils émettent leurs critiques, qu’ils expriment leurs frustrations, qu’ils demandent à être davantage entendus et leur avis pris en compte.

C’est au nom de la démocratie – disons-le clairement - qu’ils rejettent de plus en plus la vie politique, et s’enferment, paradoxalement, dans le silence assourdissant de l’abstention.

Toutes les études – je pense notamment à celles de Sciences Po et du CEVIPOF, avec qui nous avons organisé cet événement, ou encore à celle, plus récente, de l’Observatoire de la démocratie – sont unanimes : si une large majorité de nos compatriotes se déclarent profondément attachés à la démocratie, ils craignent pour plus de 70 % d’entre eux, qu’elle sombre dans les années à venir ; menacée par l’extrémisme politique, par le fondamentalisme religieux… mais aussi par le fonctionnement défaillant de la démocratie elle-même !
Une démocratie qui risque, sans l’engagement de chaque citoyen, de chaque citoyenne… de se « défaire ».

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Démocratie : voilà un mot qui porte en lui bien des exigences et des définitions.  
Etymologiquement, c’est le pouvoir du peuple sur le peuple. Le pouvoir de choisir ensemble notre avenir.
A l’époque moderne, cette idée a pris la forme de la démocratie représentative, bien éloignée de la conception de la Grèce antique.
Un régime dont découlent deux exigences : les citoyens doivent avoir le sentiment que leur volonté politique est représentée, et que cette volonté est en mesure d’agir sur le destin de la Nation.
Pourtant, dès l’origine, ce régime a été touché par un mal profond : celui que l’on nomme habituellement « crise de la représentation ». La philosophe Myriam Revault d’Allonnes a souligné, ce matin, toutes les limites de cette notion, qui est au fond aussi vieille que le régime représentatif : il suffit de penser aux attaques portées dès l’été 1789 à l’encontre - je cite -  de « l’aristocratie représentative ».  
Il n’en demeure pas moins que cette question continue d’interpeller le Parlement ; l’Assemblée nationale en particulier, puisqu’il lui appartient, en vertu de la Constitution, de représenter la Nation.
C’est pour cette raison qu’avec les autres membres du groupe de travail nous avons fait de cet enjeu, un axe central de notre réflexion ; nous reviendrons longuement, demain, sur ce sujet.

Tout en soulignant les apories d’une représentation-miroir, qui exigerait que les représentants soient une photographie exacte de la société – d’une société d’ailleurs de plus en plus complexe, et de ce fait, de plus en plus difficilement représentable – nous avons mis en avant des propositions fortes, visant à permettre une diversification des parcours et des profils, telles que la mise en place d’un véritable statut de l’élu, ou encore l’introduction d’une représentation proportionnelle à l’Assemblée nationale.
Une chose est sûre : nous n’acceptons pas le fait qu’en 1945, 98 députés étaient ouvriers ou employés, et qu’aujourd’hui, ils ne soient plus que 11.
Nous n’acceptons pas qu’un quart seulement des députés soient des femmes, et que ce chiffre soit le plus élevé jamais atteint, plaçant ainsi la France au soixante-quatrième rang mondial.
A ce titre, la réforme du non-cumul des mandats qui a été, Monsieur le Président de la République, l’un de vos combats, marque une première étape essentielle sur le long chemin vers une plus juste représentation.
Mais si nous voulons changer véritablement les choses, c’est ensemble que nous devrons nous battre : nous citoyens, partis politiques, acteurs de la société civile et également du monde économique. Je voudrais à ce titre saluer l’initiative de l’entreprise Michelin, qui ne s’est pas simplement contentée de regretter - comme on l’entend si fréquemment - qu’il n’y ait pas assez d’élus issus du secteur privé, mais qui a établi une convention pour ses salariés afin de leur permettre, dans de bonnes conditions, de s’engager, de faire campagne, et d’exercer un mandat.

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La question de la représentation n’est pas la seule qui taraude aujourd’hui notre démocratie. A la crise de la représentation s’est ajoutée une crise du pouvoir.
Une crise qui n’est, elle aussi, pas une exception française. Elle est apparue avec la montée en puissance du pouvoir exécutif ; un pouvoir de plus en plus personnalisé et cela dans quasiment tous les pays du monde, y compris ceux qui ont adopté le régime parlementaire. Cette affirmation du pouvoir exécutif, au cours de la seconde moitié du XXème siècle, s’explique aisément. Elle repose sur la montée en puissance de l’Etat, sur une demande accrue de rationalisation, d’organisation et d’efficacité.
Toutefois, comme le note l’historien Nicolas Rousselier : « ce triomphe de la démocratie exécutive n’apparaît pas total et surtout il n’apparaît pas définitif. Portée par la dynamique des Trente Glorieuses au cours desquelles la force de l’Etat, la croissance économique et le progrès social semblaient marcher de pair, la démocratie exécutive affronte à son tour une série de remises en question commencées dans les années 1990 et poursuivies avec plus de force encore depuis le début du XXIème siècle ».
Ainsi, ce n’est plus la représentativité mais l’efficacité même de la démocratie qui fait aujourd’hui débat. L’exercice du pouvoir, lui-même, qui semble poser problème.
Un auteur américain, Moises Naim, a affirmé, à ce sujet, que nous assistions à « la fin du pouvoir ». Qu’après avoir connu son apogée au XXème siècle, le pouvoir serait devenu de plus en plus dur à conserver et à exercer ; et cela, quel que soit le domaine : politique, militaire, économique, culturel… Le pouvoir ne cesse de se fragmenter, de se disperser, les acteurs de se multiplier, les institutions traditionnelles d’être concurrencées par des « micro-pouvoirs ».
Une société de plus en plus horizontale apparaît, où les barrières d’entrée et de participation sont de moins en moins élevées, et où le niveau d’information ne cesse de croître.
S’agissant du pouvoir politique, ses bases apparaissent  partout fragilisées : être élu par une majorité de votes ne garantit plus d’être en mesure de prendre des décisions et de les faire accepter.

Et cela, même lorsque le parti politique dont est issu l’exécutif est majoritaire - ce qui est d’ailleurs, soulignons-le, de plus en plus rare. En 2012, sur les 34 démocraties les plus riches, seuls 4 avaient un Président de la République ou un Premier ministre dont le parti était majoritaire au Parlement.
Le pouvoir vacille. La multiplication des scrutins, des référendums,  des primaires… rien n’y fait.
La démocratie est sommée une nouvelle fois dans son histoire d’être repensée. Car si cette société horizontale, digitalisée, informée, peut être une chance et une source de vitalité, c’est à la seule condition que notre régime ne cède pas le pas à une « vetocratie », et que nous puissions encore, ensemble, tracer  un destin collectif.
Voilà pourquoi notre rapport n’est pas seulement une critique mais aussi, par certains aspects, un hommage à la Vème République.
Vous l’avez souligné récemment, Monsieur le Président de la République : notre Constitution offre les moyens d’agir en cas de crise, face au danger, où qu’il soit.
La Vème République a été forgée dans la crise, pour répondre à la crise.
C’est la raison pour laquelle nous n’avons pas appelé à une remise en cause du « domaine réservé ». Bien au contraire. Nous avons soumis au débat une proposition, qui depuis lors a fait florès : instituer un septennat présidentiel non renouvelable.
Non pour revenir à je ne sais quel âge d’or, mais pour que le Président puisse entièrement se concentrer sur les questions du long terme : la défense, les questions internationales et européennes, la protection de l’environnement, la prise en compte des générations futures dans les choix que nous opérons aujourd’hui. Non pour semer la confusion sur le fonctionnement de l’exécutif mais au contraire pour clarifier le rôle du Président de la République par rapport à celui du Premier ministre. Une dyarchie qui s’est considérablement assombrie avec l’introduction du quinquennat et l’alignement du temps présidentiel sur le temps législatif.

De même, nous n’avons pas appelé à l’institution d’une VIème République.
Michel Winock, qui a déposé sur nos travaux la patine de l’histoire, nous prévenant ainsi de tout hubris constitutionnel,  nous l’a rappelé : les nouvelles Républiques naissent dans le sang et les larmes.
Pour autant, la majorité d’entre nous en demeure convaincue : la Vème République souffre d’un profond déficit démocratique.
Ce n’est pas dans la guerre ou la crise, mais lorsqu’elle est confrontée à la prose quotidienne, qu’elle révèle ses faiblesses.
Voilà pourquoi le citoyen doit être placé au cÅ“ur des institutions. Non dans une position passive. Mais pour être mis en capacité de contrôler nos institutions et de participer pleinement à l’élaboration des choix collectifs. En ce sens, les conceptions de la démocratie - représentative, directe, participative -  ne doivent pas être, selon nous, opposées, mais au contraire combinées.  
Ce rapport est une invitation à l’expérimentation, à l’image de celles que nous conduisons, modestement, majorité et opposition, depuis plus de quatre ans à l’Assemblée nationale. 

Les réalisations sont concrètes, je ne vais pas toutes les citer. Il suffit par exemple de penser à l’ouverture des données de notre Institution et la mise à disposition de plus de 800 000 documents en format « open data », à la mise en place d’une première consultation citoyenne sur l’élaboration d’un projet de loi,  ou encore à l’organisation avec Dominique Raimbourg, président de la commission de lois,  d’une consultation citoyenne cette fois-ci sur l’évaluation d’un texte.
Expérimentations que nous sommes bien décidés à poursuivre et à amplifier, en particulier dans le champ de l’évaluation des politiques publiques, qui est selon moi une mission d’avenir pour l’Assemblée nationale.

Mettre le citoyen au cœur des Institutions et définir clairement qui fait quoi, tel est l’objet de notre rapport. Afin de le mener à bien, nous n’avons exclu aucune question, y compris celle du nombre de députés, dont nous proposons la réduction. Des députés moins nombreux seront, selon nous, des députés mieux identifiés, plus puissants, et disposant de moyens d’expertise renforcés.

De la même manière, nous appelons à une refonte de la fabrique de la loi, de sa conception gouvernementale à son application.  Le rapport rejoint sur ce point les propositions transpartisanes faites par les députés Régis Juanico et Laure de la Raudière, dans le cadre de la mission parlementaire « Mieux légiférer ». Mission à laquelle Thierry Mandon, qui est ici présent, avait longuement participé avant de rejoindre le gouvernement.

Nous proposons ainsi d’organiser un débat préalable aux travaux des commissions, de limiter les navettes inutiles, de mettre en place une procédure visant à écarter de la discussion en séance publique les amendements déjà discutés en commission, et également de limiter le droit d’amendement du gouvernement sur ses propres textes, droit dont il abuse trop souvent. Rappelons le, entre 2012 et 2014, 1767 amendements gouvernementaux ont été adoptés, soit deux fois plus qu’il y a dix ans.

Repenser ses missions et sa place dans notre démocratie, telle est la volonté de l’Assemblée nationale.
Telle est la volonté également d’autres institutions.
A ce titre, je voudrais saluer la démarche du Président du Conseil économique, social et environnemental, Patrick BERNASCONI, qui nous a sollicités pour participer à ces débats. Nous sommes très heureux qu’il puisse intervenir demain, et nous dire ce que peut être, ce que doit être, selon lui, l’avenir de l’Institution qu’il préside.

Il ne m’a visiblement pas tenu rigueur des propositions que j’ai pu par le passé avancer, et semble, dans tous les cas, considérer tout comme moi, qu’il est urgent de repenser notre démocratie.

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Monsieur le Président de la République,
Mesdames et Messieurs les parlementaires,
Mesdames, Messieurs,

La révolution numérique, le défi écologique, la mondialisation, la décentralisation, l’affirmation de l’Europe, la naissance de l’Euro, la mutation du capitalisme, la montée en puissance de l’individu, l’accélération des rythmes de vie, la médiatisation continue de la vie publique… tout cela, nous ne pouvions pas le prévoir en 1958.

Nous avons changé de monde.  Or la Ve République n’a pas été pensée pour ce monde-là.
Cela ne la condamne pas à disparaître mais à s’adapter.

Bien sûr, on peut estimer que ce rapport est « hors sujet », que la démocratie ne mérite pas un débat.
Après tout, la démocratie, c’est aussi la liberté d’opinion…
Mais quand je vous vois tous réunis ici, jeunes et moins jeunes, citoyens et citoyennes, parlementaires et élus, de droite et de gauche, je me dis que le cours des choses est peut-être appelé à changer.

Monsieur le Président de la République, vous qui êtes le gardien de nos Institutions, vous qui en avez éprouvé les forces et les faiblesses, nous vous remercions d’avoir accepté de participer à nos débats.