Discours de Claude Bartolone devant l’Assemblée nationale de Côte d’Ivoire

Discours du Président de l’Assemblée nationale,
M. Claude Bartolone,
devant l’Assemblée nationale de Côte d’Ivoire
Abidjan, le 24 octobre 2014

Excellence Monsieur le Président de l’Assemblée nationale,
Cher Guillaume Soro,
Mesdames et Messieurs, Honorables députés,
Chers collègues,

Je mesure l’immense honneur que vous me faites, en m’invitant à m’exprimer devant votre Assemblée. J’en suis extrêmement touché, ému, et je vous en remercie, sincèrement et chaleureusement.

Monsieur le Président, je vous remercie pour les aimables paroles que vous avez eues à mon égard. Vous l’avez dit. Ma visite ici à Abidjan est une « première ».

Je dois vous le confier : je m’en étonne, tant ce déplacement m’est apparu comme une évidence, et, dans le même temps, je m’en réjouis – qui ne serait pas honoré d’être le premier Président de l’Assemblée nationale française à prendre la parole dans votre hémicycle et, à travers vous, chers collègues, de pouvoir m’adresser à la nation ivoirienne ?

Trois mois après le Président de la République, M. François Hollande, en visite à Abidjan à l’invitation de Son Excellence Monsieur Alassane Ouattara, je viens, à mon tour, à votre invitation, vous exprimer le respect et l’estime, l’amitié indéfectible, et la solidarité du peuple français pour le peuple ivoirien. Mme Patricia Adam, présidente de la Commission de la

Défense, M. Pascal Terrasse, Président du groupe d’amitié France-Côte d’Ivoire et M. Alain Marsaud, député des Français de l’étranger, m’accompagnent et sont tout aussi heureux que moi de participer à cette visite historique.

***

Notre proximité, et la singularité des liens qui unissent les Français et les Ivoiriens, sont d’abord le fruit de l’histoire.

Permettez-moi, Monsieur le Président, de revenir quelques minutes sur ce passé conjoint, à la fois douloureux et riche, dense, sur cette histoire qui nous a construits, et nous a légué une langue, des populations, et des cultures en partage.

Je veux rendre un premier hommage à tous les Ivoiriens qui se sont dressés, sur le champ de bataille, pour la France, et pour défendre les valeurs universelles que sont la liberté et l’égalité.

Le peuple français et la Représentation nationale leur sont redevables et pour toujours reconnaissants. Nous n’oublierons pas, nous n’oublierons jamais, que de jeunes soldats ivoiriens, trop nombreux, trop souvent engagés malgré eux, à deux reprises au cours du XXème siècle, ont sacrifié leur vie pour notre pays. Et nous devons particulièrement nous le rappeler en cette année 2014, où nous commémorons le centenaire de la Première guerre mondiale, mais aussi le 70ème anniversaire du débarquement de Provence, commémorations auxquelles le Président de la République, Monsieur Alassane Ouattara, a participé le 15 août dernier.

Je pense également aux Ivoiriens qui se sont investis dans le champ politique français. Une voix d’ici, de Côte d’Ivoire, une voix puissante, s’est levée, dès la sortie de la dernière guerre, dans notre hémicycle. Elle a inspiré, aux députés de métropole, la nécessité de sortir totalement de l’injustice et de l’inégalité entre les peuples. 

Cette voix, qui est devenue mondialement connue, vous l’aurez compris, est celle de feu Félix Houphouët-Boigny.

Félix Houphouët-Boigny a consacré sa vie, certes, à votre pays, à votre nation, à la consolidation de votre Etat, mais il a aussi beaucoup donné au nôtre. Son souvenir habite encore le Palais Bourbon.

Désormais, son nom est à jamais gravé dans notre histoire constitutionnelle, puisqu’il figure, en tant que membre du Gouvernement, parmi les signataires de la Constitution qui régit, toujours, le fonctionnement de la République française.

***

Alors que plus d’un demi-siècle nous sépare des indépendances, nos relations n’ont jamais cessé. Elles ont connu, comme toutes les amitiés intenses, des incompréhensions, des maladresses, et des moments de rejets parfois violents.
 
Mais les liens humains, culturels, économiques que nous avons tissés ont toujours été plus forts. Aujourd’hui, plus de 100.000 ressortissants ivoiriens en France et plus de 15.000 ressortissants français en Côte d’Ivoire – c’est la communauté française la plus nombreuse de la région – donnent vie à la relation bilatérale. Parmi eux, l’on compte de nombreux franco-ivoiriens, qui lui donnent corps également.

Si la France et la Côte d’Ivoire ont pu, au fil du temps, nouer de nouvelles alliances, instaurer et renforcer des actions de coopération dans leur voisinage immédiat, puis se tourner vers d’autres continents, ma conviction intime est que ces orientations, nouvelles, légitimes, ne doivent pas détourner nos deux pays l’un de l’autre.

Nous avons passé du temps à nous connaître, nous avons souffert, mais cela nous a rendu plus forts, et nous avons, désormais, une langue et des populations en commun. Nous avons donc, aujourd’hui, le devoir de mettre cette proximité au service de nouveaux projets, au profit d’un rapprochement accru, et d’une unité renforcée sur le plan international. C’est ainsi que je vois notre relation : solide dans ses fondations, elle peut se projeter, confiante et sereine, dans l’avenir.

***

Car c’est aussi ce message que je suis venu délivrer : ma foi en l’avenir. En l’avenir de la Côte d’Ivoire, en l’avenir de la France. En l’avenir de l’Afrique, en celui de l’Europe. Et en ce que nous allons encore pouvoir bâtir ensemble.

Aujourd’hui, en m’exprimant devant vous, Monsieur le Président, Honorables Députés, j’ai conscience que ma visite intervient trois ans après une crise post-électorale meurtrière, moins de dix ans après une guerre civile tragique et après plusieurs années d’une instabilité dont le peuple ivoirien n’a que trop souffert.

Or, je le sais – et je le vois – la Côte d’Ivoire se redresse, déjà !

Vous portez, Mesdames et Messieurs les députés, chers collègues, les espoirs et les aspirations du peuple ivoirien. A travers vous, c’est donc à toute la population ivoirienne que je souhaite dire mon optimisme.

Votre pays, le peuple que vous représentez, forcent mon admiration.

Je suis admiratif de la capacité des Ivoiriens à se relever, à réunir leurs forces, à rechercher la cohésion. A rappeler au monde entier que la Côte d’Ivoire est un immense pays, riche de la diversité de ses ressources et de celle de ses femmes et de ses hommes. Á peine trois ans après cette crise, un vent puissant souffle de nouveau, il souffle l’espérance, l’espoir de vous rendre la place qui est la vôtre en Afrique : celle d’un modèle, d’une référence, d’une avant-garde, sur un continent qui lui-même porte l’avenir du monde.

Alors que la reprise économique mondiale reste fragile et incertaine, et que ce sont des regards inquiets qui se tournent vers la zone euro, les résultats économiques de l’Afrique, au contraire, nous confirment la résilience du continent, face à une crise grave, parmi les plus graves que le monde ait connues au cours du dernier siècle.

Au dynamisme de la croissance des pays africains, il faut ajouter leur vitalité démographique, leurs immenses ressources naturelles. Ce potentiel économique, encore insuffisamment exploité, peut faire espérer de multiples bienfaits, à la condition d’une égale répartition des richesses et à celle d’un développement harmonieux du territoire.

La France, vous le savez, veut amener l’Europe à s’investir davantage en Afrique, à s’y impliquer, à s’ouvrir toujours davantage vers le Sud. Je suis un fils de la Méditerranée, un enfant de Sicile, de Malte et de Tunis, et je rêve que nous cessions de voir cet espace comme une frontière culturelle, économique, et humaine infranchissable entre nos deux continents.

Je suis par ailleurs persuadé que la Côte d’Ivoire peut stimuler l’essor de l’Afrique et servir de modèle. Je le dis d’autant plus assurément qu’elle l’a déjà fait.

Je fais référence, vous vous en doutez, au « miracle ivoirien », à cet exemple de développement économique et de stabilité, de cohésion, qui a constitué, dans la seconde moitié du vingtième siècle, une fierté pour la région et le continent.

Et j’en suis convaincu : nous assistons, depuis deux ans, au retour des conditions qui ont fait ce miracle. Le « miracle ivoirien » se rappelle à nous.

Il nous dit que rien n’a changé. Que la foi des hommes est toujours là, que leur courage, leur détermination, leur force de travail, demeurent. Vous avez traversé la guerre civile, connu le conflit et la division, versé du sang et des larmes, mais vous avancez, d’un pas décidé, vers l’unité et la réconciliation. Avec la sagesse de vos traditions, le dynamisme de votre jeunesse, et avec courage, vous avez déjà surmonté d’immenses obstacles, et ce sera, j’en suis persuadé, comme toujours, pour vous imposer avec éclat.

Les crises les plus fortes sont derrière vous, je le crois, nous le croyons en France.

Beaucoup de choses ont été entreprises, depuis trois ans. Sur le plan économique, le constat est sans ambiguïté, avec un taux de croissance de plus de 8%. C’est le reflet d’une paix retrouvée mais aussi le résultat de politiques permettant d’augmenter l’investissement public, de mobiliser l’investissement extérieur, et de réformer l’économie. De la même manière, je veux saluer les progrès réalisés en matière de désarmement et de réinsertion, un chantier délicat après tant d’années de crises. Dans ce domaine aussi, vous êtes un modèle, que d’autres nations observent attentivement.

Ensuite, je le vois, les choses avancent sur le plan politique.

La réconciliation, comme toujours, exige du temps et des efforts, l’équilibre à trouver entre pardon et sanction est délicat. Mais je sais qu’au fond, la volonté de dialoguer est là, de part et d’autre, et c’est l’essentiel. C’est ce qui fait et fera la force de votre pays.

Pour citer, justement, Félix Houphouët-Boigny, « le dialogue est l’arme des forts et non des faibles (…) Dans la recherche de la paix, de la vraie paix, de la paix juste et durable, on ne doit pas hésiter, un seul instant, à recourir, avec obstination au dialogue. ».

Ce dialogue existe, il avance. Je forme donc le vœu qu’à ma prochaine visite, l’ensemble des forces politiques ivoiriennes puissent être représentées à l’Assemblée nationale, pour que le Parlement fasse vivre le débat démocratique, qu’il soit, définitivement, « le cœur battant de la démocratie ».

Évidemment, des incertitudes persistent. Évidemment, des efforts doivent encore être déployés. Mais quel pays pourrait se prévaloir de n’avoir aucun progrès à réaliser ?

Il faut laisser le temps aux réformes. Nous autres, responsables politiques, devons rendre des comptes à des populations d’autant plus impatientes qu’elles sont parfois, trop souvent, dans la souffrance. Nous devons leur montrer le cap, notre volonté, notre détermination à perfectionner toujours notre action.

Je vous le dis donc, non pas en donneur de leçon, mais en observateur engagé, en ami aussi, et en homologue surtout : tout est toujours perfectible. C’est justement ce qui fait la beauté de notre engagement politique et lui donne tout son sens. 

***

Monsieur le Président, Cher Guillaume,
Mesdames et Messieurs les Députés,
Chers collègues,

Nos Assemblées sont les lieux où vivent et s’épanouissent nos démocraties, où elles se grandissent, où elles se consolident. Elles sont les lieux où toutes les forces et les voix de la nation peuvent être représentées, doivent débattre, pour se confronter ou pour s’unir.

Notre responsabilité d’élu national est grande, notre position est exigeante.

Le premier devoir qui nous incombe, c’est de lutter, sans relâche, pour l’indépendance de nos Parlements. Nous devons faire respecter leurs prérogatives à des gouvernements trop souvent tentés de nous rendre passifs, de nous transformer en chambres d’enregistrement résignées. C’est un combat de tous les instants, auquel je sais que vous vous livrez, Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les députés, avec énergie.

Vous avez eu à cœur de rappeler au Gouvernement, à de multiples reprises, que le fait de disposer d’une majorité au Parlement ne garantissait pas d’obtenir systématiquement son soutien. Je vous en félicite. Je le répète d’ailleurs en France, chaque fois que j’en ai l’occasion : il y a le temps du débat, celui du compromis, puis seulement le temps de l’unité. Cette règle, je ne cesse de la rappeler dans mon propre pays.

Le second devoir, c’est celui de l’exemplarité. Il en va de notre crédibilité, de la crédibilité de la classe politique dans son ensemble. Il en va du lien de confiance qui doit relier nos peuples à leurs représentants et donc de la stabilité de la vie politique.

Exemplarité dans le respect des lois et des institutions, exemplarité dans l’usage des deniers publics. J’ai consacré les deux premières années de mon mandat à la Présidence de l’Assemblée nationale française à y renforcer les règles de déontologie, et je m’impose de rester attentif aux mesures prises ailleurs, et dont nous pourrions, encore, nous inspirer.

Le troisième devoir, selon moi, est justement cette nécessité absolue de nouer, avec les autres Parlements de par le monde, des relations de coopération suffisamment denses pour nous rendre plus forts collectivement. C’est indispensable, selon moi, dans un monde qui se globalise, et où les accords entre gouvernements se multiplient.

Ces accords, qui engagent, sur le long terme, les législations, les finances de l’Etat et ses modes de fonctionnement, nous les ratifions, certes. Mais je souhaite que nous puissions mener, directement entre parlementaires, en toute franchise, en amont comme en aval, des discussions approfondies sur les sujets d’intérêt commun.

C’est pour moi le sens de la diplomatie parlementaire. Je veux nouer ce dialogue avec mes partenaires européens, tant nos législations sont désormais liées, mais je veux aussi le nouer avec les Parlements des autres pays frères et amis, au premier rang desquels figure votre Assemblée.

Aujourd’hui, en signant un Protocole d’Accord qui liera durablement nos Assemblées, nous rappelons notre volonté de renforcer notre coopération qui, même si elle n’avait jamais été formalisée, est ancienne et déjà importante – votre Assemblée est, Chers collègues ivoiriens, le premier partenaire de l’Assemblée nationale française en Afrique.

Mais au-delà de cette coopération technique, indispensable au renforcement de nos institutions, je souhaite que la signature de ce Protocole insuffle davantage de dialogue, davantage d’écoute réciproque.

Car Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les Députés, si je m’exprime devant votre Assemblée – et c’est un immense honneur que vous me faites – je viens, aussi et surtout, pour écouter, apprendre, et comprendre.

Je viens m’interroger, avec votre aide, sur l’action de la France et son image, sur la façon dont elle peut au mieux vous accompagner, sans préjuger ce dont nous pouvons encore chacun tirer de la relation exceptionnelle qui nous lie.

Je me permets, pour illustrer l’état d’esprit dans lequel je me trouve, de citer l’un de vos plus illustres hommes de lettres, Jean-Marie Adiaffi, qui, dans l’un de ses ouvrages, La carte d’identité, écrivait les mots suivants : « … il faut avoir l’humilité d’écouter la voix des autres et, plutôt que d’en comparer le timbre et la mélodie avec la nôtre, il faut l’entendre par ce qu’elle dit… ».

C’est le sens que je veux – c’est le sens que nous voulons – donner à notre visite.

Le « partenariat » entre nos deux pays est réel. Mais ce terme est froid, il est terne, il ne reflète ni l’émotion que je ressens aujourd’hui, en m’exprimant devant vous, ni la richesse de l’histoire que nous avons en commun. Il n’évoque ni les déchirures que nous avons connues, ni l’intimité à laquelle nous sommes parvenus.

Je veux donc plutôt écouter votre voix comme la voix d’un ami, d’un frère à qui je n’aurais pas eu l’occasion de parler depuis de trop nombreuses années.

Je suis venu à votre rencontre pour vous entendre m’éclairer sur la situation dans votre beau pays.

Je veux aussi vous écouter me parler de la France, et de la France et de la Côte d’Ivoire réunies.

Je ne veux rien comparer, je ne veux rien préjuger, je veux d’abord vous parler.

Lors des échanges que nous aurons au cours des prochaines heures, et dans tous les domaines qui caractérisent la relation franco-ivoirienne, je vous invite donc, avec force et énergie, à me parler avec la même franchise et le même effort de compréhension.

Je suis impatient de ces échanges.

Pour conclure, je voudrais vous remercier, Monsieur le Président, et vous remercier tous collectivement, Mesdames et Messieurs les Députés, pour l’accueil très chaleureux que vous m’avez réservé, ainsi qu’à toute la délégation qui m’accompagne. Je m’en souviendrai toute ma vie. 

Vive notre amitié,

Vive notre partenariat !

Vive la France !

Vive la Côte d’Ivoire !