Les Mardis de l’Avenir
« Comment faire évoluer le droit pour mieux protéger l’environnement ? »
Mardi 3 novembre 2015 – Hôtel de Lassay
Madame la Garde des Sceaux, Ministre de la Justice, chère Christiane, actuellement au banc du Gouvernement au Sénat pour la discussion du projet de loi organique sur la justice du 21ème siècle et qui nous fait la gentillesse de nous rejoindre d’ici une heure, dès la suspension de séance,
Messieurs les Professeurs de droit,
Mesdames et Messieurs les députés,
Madame la Conseillère d’État,
Mesdames et Messieurs les avocats et juristes,
Mesdames et Messieurs,
Chers amis,
C’est avec une grande fierté et déjà avec une pointe de nostalgie que je vous accueille ce soir à l’Hôtel de Lassay pour ce qui sera peut-être la dernière séance des Mardis de l’Avenir.
Les Mardis de l’Avenir ont été créés il y a deux ans dans la perspective de la future loi sur la transition énergétique, qui est aujourd’hui promulguée. Face au succès de cette première saison, nous avons poursuivi nos débats avec un deuxième cycle sur la transition écologique au sens large, avec pour horizon la COP21. Elle débute désormais dans 27 jours au Bourget, en Seine-Saint-Denis !
La réussite de la COP21 dépendra de notre capacité à engager toute la société dans la transition écologique. C’est aussi à cette grande ambition qu’ont souhaité répondre les Mardis de l’Avenir. Et je tiens ici à remercier tous ceux qui ont participé durant deux années à cette aventure. C’est votre engagement à tous qui a permis de rendre ces instants de débats possibles et si enrichissants.
Nous avons voulu montrer que, tant que la pensée unique considérera que l’écologie est un domaine à part, nous ne pourrons pas réussir collectivement et globalement la transition écologique. La transition écologique doit irriguer l’ensemble de nos politiques publiques.
Cette conviction a été notre fil rouge, et c’est ainsi que nous avons débattu de nombreux sujets et avons reçu la ministre des Outre-mer, le ministre de l’Agriculture, le ministre de l’Économie, le ministre du Budget, la ministre de l’Éducation, la ministre de la Santé… Et je suis extrêmement heureux et fier de conclure ce chapitre avec la Garde des Sceaux.
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Nous avons choisi d’aborder ce soir le thème « Comment faire évoluer le droit pour mieux protéger l’environnement ? Le 12 décembre 1999, le pétrolier Erika, transportant 30 000 tonnes de fioul, faisait naufrage au large des côtes bretonnes. La marée noire provoquée souillait 400 kilomètres de côtes et mazoutait plus de 150 000 oiseaux. Treize ans plus tard, la Cour de cassation reconnaissait le préjudice écologique « consistant en l’atteinte directe ou indirecte portée à l’environnement et découlant de l’infraction ». Pour la première fois, elle constatait de manière explicite la notion de préjudice écologique. Cette décision exemplaire était urgente et marque une réelle avancée. Mais elle est aussi symbolique de la jeunesse du droit de l’environnement et de sa construction encore balbutiante.
Le droit évolue avec les enjeux sociétaux. La prise en compte des risques environnementaux et de la dégradation de notre milieu naturel est récente à l’échelle de l’histoire de notre société. Il est donc normal que l’adaptation du droit le soit. Comment le droit aurait-il pu anticiper ce que les scientifiques eux-mêmes n’avaient pas encore considérés et appréhendés ? Nous ne pouvons donc exiger d’un droit si récent d’être parfaitement lisible et absolument complet.
Nous devons reconnaitre déjà de grands progrès dans l’adaptation de notre droit. Le droit européen d’abord est souvent une formidable impulsion et contraint souvent les Etats membres à renforcer leur législation environnementale. De ce point de vue, la France n’a pas à rougir. Nous fêtons, en effet, un anniversaire : il y a dix ans, la Charte de l’environnement venait renforcer le bloc de constitutionnalité au côté de la Déclaration des Droits de l’Homme et du citoyen de 1789, du préambule de la Constitution de 1946, et de la Constitution de 1958.
Ce texte reconnait dans son article 1 « le droit de chacun de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé ». C’était l’objet de notre dernier débat.
Mais la grande innovation de ce texte réside en ce qu’il nous engage en nous fixant des devoirs. Son article 4 énonce « l’obligation pour toute personne de contribuer à la réparation des dommages qu’elle cause à l’environnement dans les conditions définies par la loi ». La teneur de cette Charte ainsi que sa valeur juridique signalent toute l’importance de la préoccupation environnementale dans notre droit.
Malgré ces avancées, nous devons soulever ici une incohérence malheureuse : entre ce texte fondateur et une jurisprudence innovante, la loi se distingue par son silence. Elle n’a pas su s’emparer de ce texte et en prendre la pleine mesure.
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Il manque un véritable fondement à la responsabilité environnementale. Le droit de l’environnement apparait souvent comme un droit fortement technique, un empilement de normes administratives, qui manquerait de cohérence. Quant au droit commun, il apparait souvent incapable de saisir dans toute sa complexité la matière environnementale et ne permet pas aujourd’hui de réparer efficacement un préjudice écologique.
La jurisprudence aussi avancée soit-elle ne peut réussir à elle seule à combler cette lacune. Il est temps que le législateur intervienne pleinement et transcrive dans la loi les valeurs portées par la Charte de l’environnement. C’est pourquoi il me semble aujourd’hui indispensable d’intégrer l’exigence de la protection de l’environnement à notre matrice juridique, à ce texte sublime de 1804 qui a su garder toute sa pertinence et toute sa force malgré des évolutions sociétales considérables. Je parle évidemment du Code civil. C’est par cette intégration dans le Code civil que nous clarifierons réellement la position du droit face à l’enjeu de protection de l’environnement. Cette clarification n’a rien d’anodine. On a une tendance trop fréquente à séparer l’action du droit de la prévention.
Je considère pour ma part que plus notre droit sera clair et sans aucune ambiguïté, plus les citoyens et les entreprises seront vigilants quant à leurs actions et intégreront l’exigence environnementale. Je tiens à saluer ici le travail admirable produit par des juristes présents ce soir.
Ce complément apporté au Code civil devrait s’accompagner d’une modernisation du droit environnemental afin de le rendre le plus lisible possible.
Cette double démarche permettra à la fois de prévenir davantage les atteintes portées à l’environnement, de sanctionner efficacement le préjudice écologique et de réparer au mieux les dégâts portés à notre milieu naturel.
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Cependant, même si nous faisons évoluer notre droit, l’adaptation du droit ne pourra pas être efficace sans l’appropriation par le citoyen de ses droits et devoirs envers l’environnement. Derrière ce défi de la réforme de notre droit, se cache évidemment un enjeu démocratique puissant. Le besoin démocratique est fort dans notre pays. Les initiatives sur le terrain se multiplient et le souci d’instaurer un véritable dialogue environnemental est omniprésent. Le citoyen doit être intégré à la réforme du droit de l’environnement, par une participation du public rénovée, renouvelée pour être bien réelle et efficace
L’enjeu écologique est l’affaire de tous et le droit permet à la démocratie de s’en saisir. Je laisse maintenant toute sa place au débat : comment armer le droit face au défi de la protection de notre environnement.
Je remercie une fois de plus Amandine Bégot pour la qualité de son animation et je lui passe la parole en vous remerciant tous de votre présence. Continuez à vous interroger, à questionner, à vous montrer curieux. Soyez des citoyens éclairés. Et rappelez-vous toujours que j’ai souhaité faire de l’Hôtel de Lassay une maison ouverte sur le monde et que vous y serez toujours les bienvenus.