Madame, chère Carole, mademoiselle, chère Ariane, monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, mesdames, messieurs, il est des hommages que l’on ne devrait pas avoir à prononcer parce que l’avenir ne devrait jamais disparaître avant d’avoir succédé au passé.
Olivier Ferrand était notre avenir. Impatient de servir la République, il était à l’image de ces nouveaux députés qui siègent parmi nous aujourd’hui, quel que soit leur parti, quelles que soient leurs idées. Il est mort au seuil d’une vie nouvelle, une vie parlementaire qu’il avait tant voulue et pour laquelle il avait tant donné.
Ses premiers mots dans cet hémicycle, Olivier Ferrand n’aura jamais eu le temps de les prononcer.
Tout est allé si vite.
Le dimanche 17 juin, Olivier Ferrand était élu député de la huitième circonscription des Bouches-du-Rhône. Le lendemain, il accordait une interview au quotidien La Provence. Le journal raconte qu’Olivier Ferrand avait téléphoné à l’Assemblée nationale et dit de manière simple, directe, spontanée : « Allô l’Assemblée nationale ? Je suis Olivier Ferrand. Je suis nouveau député et je cherche à savoir comment ça marche. » Ces mots en disent long sur sa détermination, sa volonté de comprendre, son impatience à se mettre au service des Français.
La nouvelle législature s’est officiellement ouverte le mardi 26 juin. Olivier était parmi nous, ici, dans cet hémicycle.
Le destin a voulu que le samedi 30 juin au matin, la mort le terrasse, lui, le sportif, l’homme d’action qui détestait l’immobilisme, au retour d’une course à pied, à l’image de la vie qu’il avait choisie : aller vite, s’éprouver, se dépasser. Il a trouvé la mort à Velaux, le berceau de sa famille paternelle où habitaient ses grands-parents, dans le sud de la France où il avait vécu toute sa jeunesse et qu’il chérissait tant. La veille encore, il assistait au dîner annuel de ses amis les Gracques.
Fidèle à sa famille, fidèle à ses amis, fidèle à ses convictions et à ses ambitions, qu’il avait grandes, jamais il ne se sera économisé.
À vingt ans, il avait quitté le Midi pour poursuivre ses études à Paris. Après HEC, Sciences Po et l’ENA, Olivier Ferrand avait commencé sa carrière de haut fonctionnaire comme administrateur civil au ministère de l’économie. Il avait débuté à la direction générale du Trésor, où il suivait les négociations financières internationales. Il était ensuite devenu conseiller technique pour les affaires européennes auprès du Premier ministre, Lionel Jospin.
Responsable pour les questions européennes et internationales au sein de son organisation politique, maire-adjoint du troisième arrondissement de Paris entre 2001 et 2007, Olivier Ferrand avait créé en 2008 Terra Nova, un laboratoire d’idées à l’échelle française et plus encore européenne. Précurseur, il souhaitait rénover le débat démocratique et faire émerger de nouvelles idées. Terra Nova s’était entouré d’experts au niveau international, national et local. Pas question de rester entre soi, au sein d’une élite de privilégiés, il s’agissait de faire appel à toutes les forces de notre pays : aux parlementaires, aux universitaires, aux dirigeants d’entreprise, aux acteurs de la société civile, dans toute leur diversité.
Passionné par l’analyse de notre société, Olivier Ferrand était convaincu que c’était par les idées que sa famille politique retrouverait la confiance des Français. Cet homme aux dons multiples était reconnu pour ses tribunes dans la presse et ses interventions percutantes dans les débats. Tour à tour expert, journaliste ou chroniqueur, son visage était devenu familier pour beaucoup de Françaises et beaucoup de Français.
Mais pour que son action prenne tout son sens, Olivier Ferrand avait décidé de l’inscrire désormais dans un cadre institutionnel, démocratique et républicain. L’élection au suffrage universel et le mandat de député constituaient les suites logiques de ses engagements politiques et personnels.
Le soir de son élection à l’Assemblée, Olivier Ferrand avait eu le succès modeste : « Ma victoire tient en trois mots : chance, courage et porte-à-porte. »
Du courage, il n’en aura jamais manqué. Il s’était battu pour gagner une circonscription législative réputée ingagnable, où aucun député de sa famille politique n’avait été élu depuis plus de trente ans. Par son travail, par son courage, il avait gagné la confiance d’une partie des Français. Il savait qu’il devrait désormais, comme nous tous, se partager entre l’Assemblée nationale et sa vie en circonscription. Heureux de pouvoir mettre en pratique les projets dont il fourmillait, il souhaitait créer une « maison de la circonscription » ouverte à tous les habitants. Il voulait que ceux-ci viennent y débattre avec des personnalités sur les sujets qui pouvaient les toucher ou simplement les intéresser. Engagé, il voulait agir, s’impliquer et, enfin, rendre compte du mandat qui lui avait été confié.
À l’Assemblée nationale, Olivier Ferrand s’était inscrit comme membre de la commission des finances. Il aurait tant aimé participer aux débats qui sont les nôtres en ce moment sur l’avenir de l’Europe et sur le traité de stabilité. Nous aurions tant aimé l’écouter.
La bataille législative avait été rude ; elle l’est bien souvent. Mais, malgré une campagne éprouvante, jamais il n’avait envisagé d’interrompre ce rythme trépidant. Olivier Ferrand avait hâte, c’était un homme pressé, c’était un homme impatient, un jeune député promis à une carrière éclatante. Il voulait moderniser et réformer notre pays, améliorer la vie de ses habitants. Comme pour les Gracques à l’époque de la Rome antique, sa destinée aura été à la fois tragique et brillante.
Sans doute sommes-nous beaucoup ici à nous souvenir du moment exact où nous avons appris sa disparition. Car, à cet instant, nous avons su que nous ne perdions pas seulement un collègue, un représentant de la nation, un député, mais aussi une part de notre avenir, quelle que soit notre famille, quelles que soient nos idées.
À vous Carole, son épouse, à vous Ariane, sa fille, dont je connais l’autre cordon ombilical qui reliait vos sens à ceux d’Olivier, à ses parents, à sa famille politique, à ses amis, j’adresse, au nom de tous les députés de l’Assemblée nationale et en mon nom personnel, mes condoléances profondément émues et attristées.