Dévoilement de la plaque en hommage à Jacques Barrot
Mercredi 29 mars 2017 – Assemblée nationale
Messieurs les Premiers ministres, cher Lionel JOSPIN, cher Jean-Pierre RAFFARIN,
Monsieur le Président, cher Jean-Louis DEBRÉ,
Mesdames et Messieurs les membres du Conseil constitutionnel,
Mesdames et Messieurs les ministres,
Mesdames et Messieurs les députés, mes chers collègues,
Mesdames et Messieurs les membres de la famille de Jacques BARROT,
Mesdames, Messieurs,
Nous sommes réunis aujourd’hui pour rendre hommage à un grand homme, grand homme d’Etat, grand homme d’Europe, et par-dessus tout, un grand député.
Oui, Jacques BARROT était l’un des plus brillants acteurs de l’hémicycle de la République, cet hémicycle qu’il a fréquenté pendant près de quarante ans, et où nous allons inscrire son nom pour toujours.
Jacques BARROT était de ceux qui faisaient vivre, dans nos murs et au-delà, la démocratie parlementaire, l’action publique, l’idéal de transformation du monde qui est le sens profond de la politique.
Avec lui, nous honorons un immense législateur. Haute figure de la démocratie chrétienne en France et en Europe, Jacques Barrot avait l’âme d’un centriste : passionnément modéré, mais certes pas modérément engagé.
Son tempérament prudent, sa recherche constante de l’équilibre, par le dialogue, par le consensus, faisaient de lui un brillant parlementaire. Mais ce qui demeure avant tout à travers son souvenir, c’est son engagement passionné, pour la France, pour l’Europe, pour la démocratie.
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Quoique fils de député, Jacques BARROT n’était pas né pour la politique. Il avait commencé sa route ailleurs, sur les chemins de la foi, au grand séminaire du Puy, et ensuite au séminaire universitaire de Lyon. C’est comme séminariste qu’il effectue son service militaire, en Algérie, où il est affecté dans une unité chargée de la politique de pacification à la fin de la guerre.
Au plus près des villageois, il œuvre pour l’éducation, et s’investit pour l’amélioration des conditions de vie dans ce milieu rural. Le lien fidèle tissé pendant ces mois de 1962 perdurera jusqu’à la fin de sa vie, comme en témoigne la venue à ses obsèques, en décembre 2014, d’une famille algérienne rencontrée à cette époque.
Revenu en France, il bifurque vers des études de droit, puis vers Sciences Po, à Paris.
Il ne sait pas encore que son destin va basculer. Le 8 juin 1966, Noël BARROT, son père, député de la Haute-Loire depuis vingt ans, questeur depuis dix ans, s’effondre d’une crise cardiaque dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
Jacques n’a pas encore trente ans et le voilà propulsé, à la demande des amis politiques de son père, aux fonctions électives locales, puis, l’année suivante, à la députation.
Il conservera toute sa vie l’héritage de son père, humaniste chrétien, résistant de l’Armée secrète pendant la Seconde guerre mondiale, ce père dont François Mitterrand lui avait dit un jour qu’il le considérait comme un Juste parmi les nations.
Son fils en gardera une certaine idée de la politique, marquée par une méfiance à l’égard des pièges du pouvoir, et par le désir d’être utile, au plus près de ses concitoyens.
C’est ainsi que Jacques BARROT commence son chemin politique, qui se prolongera pendant près de quarante ans. Aujourd’hui encore, il continue dans les esprits à incarner son département, la Haute-Loire, dont il fut député dix fois de suite, et dont il présida le conseil général pendant près de trente ans.
Car si Jacques BARROT et la Haute-Loire sont devenus indissociables dans les esprits, c’est bien parce que son engagement était d’abord local, et que la marque concrète de son action se lit encore dans les paysages altiligériens. Pendant toutes ces années, dans sa ville, dans son département, il est en effet un infatigable défenseur du désenclavement et du développement local.
Sa ville d’Yssingeaux, qu’il dirige pendant onze ans, en témoigne.
Il s’attache à moderniser ses équipements, avec un nouveau complexe omnisport dont l’architecture est intégrée au paysage, avec l’installation d’une Ecole nationale professionnelle, avec encore le développement du festival de musique sacrée de la Chaise Dieu, qui réunit chaque année des milliers de mélomanes et d’artistes de renommée internationale.
Fidèle toute sa vie à son identité régionale, Jacques BARROT était aussi un grand homme d’Etat au plan national. Il appartient à la « génération LECANUET », celle du Centre démocrate, héritier du MRP. L’ancrage centriste est indubitable, avec, pour modèles, les humanistes chrétiens, Germaine POINSO-CHAPUIS, André DILIGENT, Eugène CLAUDIUS-PETIT, Joseph FONTANET, et bien sûr, Jacques DUHAMEL.
L’enjeu, pour les centristes, est alors de trouver comment avoir une efficacité politique, dans un paysage politique polarisé, du fait du mode de scrutin, autour de deux grandes coalitions.
C’est la raison pour laquelle Jacques BARROT rejoint, à l’Assemblée nationale, le groupe « Progrès et Démocratie Moderne » : avec lui, il entend mener une opposition non pas systématique, mais constructive.
Dès l’année suivante, en mai 1968, il vote la censure du gouvernement de Georges POMPIDOU : comme il l’expliquera plus tard, il a alors « l’intuition qu’il faut aller au-devant d’une plus grande justice sociale, et d’une société moins hiérarchisée ». Il conservera cette liberté de jugement à travers tous ses mandats, et c’est ainsi qu’il votera, en 1981, pour l’abolition de la peine de mort, malgré les réticences rencontrées sur le sujet dans sa circonscription.
Le centre ouvert : voilà sa devise, avec comme seul fil directeur l’impératif de sa conscience. En 1988, il tentera avec le groupe Union du centre une ouverture vers le réformisme de Michel ROCARD.
Il reviendra ensuite vers l’union traditionnelle de la droite et du centre-droit, en 1999 avec le club « Dialogue et Initiative », puis en soutenant Jacques CHIRAC en 2002. Le choc du 21 avril, qui place Jean-Marie LE PEN au second tour de la présidentielle, l’atteint profondément : dénonçant une « catastrophe démocratique », il en tire la leçon de l’union nécessaire. Il participe dans la foulée à la création de l’UMP autour de Jacques CHIRAC, et devient le président du groupe parlementaire de la majorité présidentielle à l’Assemblée nationale.
L’Assemblée nationale qu’il n’a jamais quittée, ou presque. Elu depuis 1967, il a été sept fois ministre entre 1974 et 1997 ; mais à chaque fois, il passe presque autant de temps au Parlement qu’aux ministères, négociateur inlassable, en recherche permanente du consensus le plus équilibré.
S’il s’investit sur de nombreux sujets, sa prédilection va aux affaires sociales. Dans les différents gouvernements auxquels il participe, il est d’abord chargé du logement, puis de la santé, et enfin du travail - avec un léger détour par le commerce et l’artisanat. D’avril 1986 à mai 1988, il préside également la Commission permanente des Affaires culturelles, familiales et sociales, fonction à laquelle il donne un relief tout particulier.
Sous la première cohabitation, il fait face en effet à des records d’activité législative, concernant entre autres le droit du travail, l’audiovisuel, la presse, l’université. Dans ce contexte politique et social tendu, Jacques BARROT déploie avec une grande habileté ses talents de négociateur et de modérateur.
Quelques années plus tard, sa présidence de la Commission des Finances, d’avril 1993 à juin 1995, lui laissera un souvenir moins agréable.
Malgré l’intérêt qu’il porte à la matière économique et financière, l’application stricte de l’article 40 de la Constitution l’oblige à jouer le rôle du limitateur, voire du policier, fonction qui ne convient guère à son tempérament conciliateur.
Pourtant, Jacques BARROT était capable de colères mémorables, dont se souviennent ceux qui l’ont connu à l’Assemblée nationale. Ses relations avec ses collègues, avec le personnel, ou encore avec les membres du gouvernement étaient marquées par une grande affectivité : c’était son idée de la sociabilité politique, élément incontournable pour le négociateur acharné qu’il était.
Parlementaire, ministre, dans toutes ses fonctions Jacques BARROT avait à cœur de servir la France et les Français, dans la recherche constante de l’intérêt général.
L’intérêt général qui, pour lui, s’étendait bien au-delà des frontières de son pays. Car Jacques BARROT était aussi un Européen convaincu.
C’est en 2004 qu’il commence donc cette nouvelle étape de sa carrière : le moment européen.
Vice-Président de la Commission européenne chargé des Transports, il s’emploie à mettre en œuvre une politique de mobilité durable en Europe. La mobilité, c’est à ses yeux la condition de la rencontre entre les peuples.
Il ouvre cinq chantiers majeurs : l’investissement dans les réseaux transeuropéens ; la dynamisation des modes alternatifs à la route, grâce au marché unique ; la combinaison des modes de transport, qui est un facteur de compétitivité ; la valorisation de l’innovation technologique ; et enfin, la sécurité des transports. Grâce à ces grands réseaux de transport qui relient les pays et les peuples d’Europe, il espère développer encore le marché unique. Il le fait dans le respect de l’environnement, avec le souci du progrès social. C’est ainsi qu’il instaure un temps de repos de deux jours pleins, au minimum, tous les quinze jours, pour les conducteurs routiers. Parmi ses grandes fiertés, il y a encore la relance du projet européen « Galileo » de navigation par satellite.
Quatre ans plus tard, lui qui s’était préparé à la fonction de Garde des Sceaux trouve en Europe le moyen de réaliser son rêve, en devenant Commissaire européen à la Justice. En avance sur son temps, il travaille à un régime d’asile européen commun.
Il est également l’artisan du programme pluriannuel de Stockholm, qui prépare un véritable espace européen commun pour la justice et la sécurité.
Quel que soit le sujet, il a une conviction profonde : les Européens doivent s’unir. L’Europe est à ses yeux, selon ses propres mots, « notre avenir et notre espérance, une absolue nécessité ».
Lumière sur sa route personnelle, il croyait aussi que l’Europe pouvait être une lumière pour le monde : elle préfigurerait ainsi, dans son esprit, une possible gouvernance mondiale, celle d’une mondialisation humaine et réussie.
Nommé au Conseil constitutionnel en février 2010 par mon prédécesseur, Bernard ACCOYER, Jacques BARROT était devenu l’un des « Sages » de notre République. Jusqu’au dernier jour, il s’est employé à veiller au respect des valeurs de la République et de l’état de droit.
Mesdames et Messieurs,
Jacques BARROT était un homme de conviction, pour qui l’action politique n’allait pas sans vision.
La sienne était européenne, et même au-delà : elle était celle de la grande aventure humaine, de ses routes incertaines, de ses grands défis, de ses beautés multiples.
Pour avancer sereinement sur ces routes, jonchés des pièges du pouvoir, des dangers de l’intransigeance mais de ceux aussi de la faiblesse, Jacques BARROT avait des règles fermes.
Il refusait par exemple de tomber dans la tentation de l’immédiateté, dans la facilité des petites phrases et la médiocrité des mots de communicants. Pour lui, l’expression médiatique n’avait de sens que quand elle défendait une conviction puissante, dans un moment où l’enjeu était grave.
En honorant aujourd’hui Jacques BARROT, immense député, grand homme d’Etat, serviteur infatigable de la démocratie en France et en Europe, nous méditons aussi les leçons de ceux qui sont venus avant nous.
Qu’on partage ou non ses convictions, force est de reconnaître la droiture de cet homme intègre, la constance de son engagement, au service de ses valeurs et de ses principes.
Dans tout son parcours, on retrouve l’idéal de liberté et d’accomplissement de la personne, on sent le goût de l’engagement et de l’action, le sens du service et de l’invention concrète de l’avenir.
Jacques BARROT sera à jamais présent sur les bancs de notre hémicycle : c’est le sens de la cérémonie d’aujourd’hui. Mais plus encore, ce qui continuera à vivre dans ces murs, c’est la passion de l’action publique qui était la sienne ; c’est ce souci d’une vie meilleure, ce tempérament de bâtisseur, tenace, déterminé.
En rendant hommage, deux ans après sa disparition soudaine, à ce grand député, l’Assemblée nationale réaffirme son attachement aux principes fondamentaux de la démocratie parlementaire, qu’il a si bien incarnés parmi nous. A travers Jacques BARROT, la République humaniste, l’idéal européen, les valeurs fondamentales de dignité de la personne continuent à briller sur ces bancs d’une lumière encore plus vive.