Inauguration d’une sculpture en hommage aux Compagnons de la Libération
Mardi 27 mai 2014 à 17h30
immeuble Jacques Chaban-Delmas
101 rue de l’Université
Monsieur le Ministre, cher Kader,
Mesdames et Messieurs les parlementaires,
Monsieur le Gouverneur militaire de Paris, mon Général,
Messieurs les Officiers généraux,
Madame l’Adjointe à la maire de Paris,
Monsieur l’Adjoint au maire de l’Île-de-Sein,
Messieurs les Compagnons de la Libération, Anciens combattants et anciens résistants,
Monsieur le Secrétaire général de l’Ordre de la Libération,
Monsieur Vincent Barré,
Madame Chaban-Delmas,
Mesdames et Messieurs,
Bienvenue à l’Assemblée nationale pour ce moment d’art et d’Histoire qui suspend nos occupations quotidiennes, rigoureuses, parfois laborieuses, pour un moment de recueillement, de contemplation et de souvenir et, je l’espère, d’espoir dans l’avenir.
Dans ce hall du 101, rue de l’Université, des dizaines, des centaines de personnes, tous les jours, députés et journalistes, intellectuels et lycéens, syndicalistes et chefs d’entreprises, simples citoyens et amis étrangers, passent, attendent, s’impatientent et repassent.
Avant ce jour, ils ne traversaient ce hall qu’avec, dans l’esprit, les soucis, occupations ou joies fugaces que le hasard et leur agenda voulaient bien leur concéder. Désormais, l’Histoire et la gloire de la France surgiront dans leur journée, comme des invitées imprévisibles. Car ce fut cela, ce sentiment qui étreignit le général de Gaulle, le chef de la France Libre, ce jour d’automne 1940, lorsqu’il décida de créer l’ordre des Compagnons de la Libération.
Ce n’était pas une simple récompense. Le général voulait un ordre spécial, un ordre comme il n’en existait pas, un ordre lié au 18 juin, lié à cette idée que la France se libérerait grâce à son courage, grâce à son héroïsme. C’était la reconnaissance, pour toujours, entre eux et pour la nation qu’ils avaient libérée, de ceux qui dirent non. A l’heure dernière, le général de Gaulle ne voulut, dans ce tout petit cimetière de Colombey-les-Deux-Eglises, en plus de sa famille et des habitants du village, n’être entouré que d’eux. Eux, ceux auprès de qui toute reconnaissance est insuffisante, toute postérité encore trop ingrate, et tout recueillement toujours dérisoire.
Essayons tout de même.
Cette colonne de rameaux bourgeonnants montant vers le ciel, cette tour de branches bronzées, ces entrelacs de bois donnent une impression étrange. Une impression de fragilité, mais aussi d’infini. Il semble qu’un rien peut tout détruire.
Mais il semble aussi que tout est possible lorsque se croisent et se mêlent les plus grandes légèretés si elles sont ensemble, si elles s’enchevêtrent, si elles prennent le risque de l’attache, de la chaîne qu’on ne rompt pas. La branche la plus terminale peut alors devenir la racine la plus fondamentale, le rameau le plus ultime devient alors le bourgeon le plus initial. C’est le miracle de la solidarité. Quel Résistant, qui s’est cru alors au bout de la vie, à la pointe du lâche fusil que l’ennemi fasciste tendait comme la faux du destin, ne s’est pas senti non pas presque mort, mais, au contraire, presque immortel ? Quel Résistant n’a pas alors vu dans un éclair, non seulement sa vie qui défilait, mais toute l’Histoire que son sacrifice rendait ainsi possible ? Quel Résistant ne dédia pas sa mort à sa mère, à son père, mais aussi à tous ses enfants, qu’aujourd’hui, dans ce hall, nous sommes encore ?
Les 1038 Compagnons de la Libération ne sont pas 1038 individus, ils sont autant le symbole des nations insurgées et victorieuses qu’un drapeau des nations unies.
Vous êtes ce symbole, Messieurs les Compagnons de la Libération présents ce soir, Fred Moore, Louis Cortot, Edgard Tupët-Thomé, représenté par sa femme et sa fille. Je tiens également à rendre hommage à René Marbot, membre de la Fondation de la France libre, et à Léon-Jacques Mayer, membre de la mythique 2ème DB.
Je salue également les régiments distingués par l’ordre représentés ici : le 3ème Régiment d’Artillerie Coloniale, la 13ème Demi-Brigade de Légion Étrangère, le 1er Régiment de Spahis, la corvette Aconit.
Et quelle émotion de voir se lever la mémoire de villes entières. Je salue chaleureusement Catherine Vieu-Charier, représentant la Maire de Paris et Ambroise Menou, représentant le Maire de l’Ile-de-Sein, cette sentinelle de l’Europe, dont les 128 pêcheurs ont gagné Londres immédiatement après l’appel du 18 juin, et qui fit dire au général de Gaulle voyant le quart de ses premiers fidèles venus de Sein : « l'île de Sein est un quart de la France ».
Au nom de la représentation nationale, je tiens à rendre hommage au sculpteur, qui est parmi nous, Vincent Barré.
M. Barré, bravo. Votre travail artistique, historique, philosophique, est remarquable.
Je sais que vous avez puisé votre inspiration aussi dans votre histoire familiale, dans celle de votre père Claude, de votre oncle Jacques, dont j’ai parcouru le livre passionnant sur les maquis de la guerre des Alpes.
Votre œuvre est entre de bonnes mains, et entre quels murs !
Nous sommes dans le bâtiment Jacques Chaban-Delmas, l’un des présidents les plus illustres de l’Assemblée nationale, un des 1038, qui fut Compagnon de la Libération avant d’occuper le perchoir à plusieurs reprises et de diriger, en 1969, le gouvernement de la nouvelle société. Il avait l’enthousiasme de la liberté, et il tenta tout pour le concilier avec les exigences d’une société apaisée. C’est avec une grande émotion que nous rendons hommage à son épouse Micheline Chaban-Delmas, présente aujourd’hui. Grâce à votre mari, chère Madame, l’esprit de la Résistance était au cœur de nos institutions. Nous en avons bien besoin en ce jour.
Les temps ne sont pas toujours calmes pour les amants de la liberté, de la tolérance, de l’égalité, de la fraternité, de la République.
Votre statue, M. Barré, n’est pas chose inerte. Elle nous invite à la bataille, à refuser toutes les fatalités.
Après quelques minutes de contemplation de cette statue, des souffrances et des gloires qui en émanent, qui a peur de la bataille ? Personne.
Je tiens également à rendre hommage au journaliste, grand reporter, Benoît Hopquin, qui publie en ce moment un livre stupéfiant de témoignages directs de plusieurs Compagnons de la Libération, dont plusieurs sont présents, Nous n’étions pas des héros. Leurs histoires commencent parfois en Afrique, en Angleterre, passent par des prisons, hélas souvent françaises, par la 2ème DB du maréchal Leclerc, cette division homérique, et des moments de courage et de camaraderie édifiants pour le lecteur. A la fin du chapitre sur le témoignage de Jacques Hébert, qui repoussa la barbarie jusqu’au nid d’aigle de Berchtesgaden, vous évoquez sa phrase à la vue des quelques photos d’époque : « on était des gosses ». Peut-être, M. Hébert. Vous êtes jeunes sur les photos, c’est vrai. Jeunes, beaux, pleins de vie, souvent rieurs.
Depuis quelques temps que je fréquente les institutions les plus graves, les plus solennelles, je vois tant de gens qui sont fiers de ne plus ressembler à cela. On met tant de temps à se composer une figure de gravité, de crédibilité, de rigueur.
On met tant de temps à savoir ne plus rire pour impressionner, pour paraître plus important et plus efficace. Léonard de Vinci, un de vos prédécesseurs M. Barré, avait déjà prévenu, dans un de ses carnets, qu’à 40 ans, on avait le visage qu’on méritait.
Oui, vous étiez des gosses, comme les soldats de l’an II, comme le Marius de Victor Hugo sur sa barricade, comme les assaillants de la Somme. Oui, vous étiez des gosses, comme cette jeunesse qui attend, aujourd’hui, dehors, partout en France, partout en Europe, de pouvoir prouver ce qu’elle vaut, cette jeunesse qui, grâce à vous, n’est plus obligée de se faire tuer pour la liberté mais qui désirerait tant pouvoir continuer à rire et à servir. Vous étiez des gosses, mais ce sont les gosses qui sont capables de se faire tuer en riant et qui parfois sauvent le monde. Ce sont les mêmes à qui il faut aujourd’hui parler, et qu’on ignore.
Vous étiez des gosses, mais non seulement vous vous êtes battus et vous avez libéré la patrie des Droits de l’Homme, mais vous avez créé et inspiré le Conseil national de la Résistance.
Et nous vivons encore sur le fondement de ses principes et de son idéal. Vous étiez des gosses, mais vous nous avez libérés du passé, et vous avez fondé l’avenir. C’est aux gosses de tous les héroïsmes, aux gosses de toutes les audaces, aux gosses de toutes les fulgurances que cette statue s’adresse aussi.
A ce titre, je suis très heureux, au nom de la représentation nationale, de vous remettre, Messieurs les Compagnons de la Libération Moore, Cortot et Tupët-Thomé, la médaille de l'Assemblée nationale.
Merci Mesdames et Messieurs les Compagnons de la Libération.
Merci à tous.