Discours de M. Claude BARTOLONE,
Président de l’Assemblée nationale
Installation du groupe de travail sur l’avenir des Institutions
Monsieur le Président, cher Michel Winock,
Mesdames et Messieurs les parlementaires, chers collègues,
Mesdames et Messieurs les personnalités qualifiées,
Je suis très heureux de pouvoir procéder aujourd’hui à l’installation de notre groupe de travail sur l’avenir des Institutions, et cela aux côtés de Michel Winock.
En notre nom à tous les deux, je salue les membres ici présents et les remercie sincèrement d’avoir bien voulu participer à cette aventure, tant les parlementaires - députés et sénateur - que les personnalités qualifiées qui ont accepté de venir travailler au sein de cette mission, et cela à titre bénévole.
De la même manière, je tiens à vous remercier, cher Michel Winock, d’avoir accepté de co-présider avec moi cette mission. Vous qui n’avez cessé, à travers vos ouvrages et vos enseignements, d’éclairer notre présent à la lumière du passé. Un passé qui en matière d’Institutions invite à beaucoup d’humilité.
En 1793, les constituants de la première République proclamèrent à l’article 28 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, dans sa version de l’époque : « Un peuple a toujours le droit de revoir, de réformer et de changer sa Constitution. Une génération ne peut assujettir à ses lois, les générations futures ».
Force est de constater que notre pays a suivi ce principe à la lettre. La France a ainsi connu près d’une quinzaine de Constitutions – au sens large que peut recouvrir ce terme – une monarchie constitutionnelle, deux Empires, cinq Républiques… Tant et si bien qu’il est légitime de se demander si, en vérité, changer nos Institutions n’est pas un tropisme français face à l’adversité.
Vous reviendrez sans doute, cher Michel Winock, dans quelques instants, sur cette « exception française ».
Pour ma part, je voudrais vous dire à toutes et à tous ici, pourquoi cette réflexion sur l’avenir de nos Institutions m’apparaît néanmoins indispensable, et pour quels motifs j’ai souhaité la création de ce groupe de travail.
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Bien évidemment, j’entends ceux qui nous expliquent que l’urgence est économique et que la question des institutions serait, en vérité, secondaire. J’entends ceux qui soutiennent que le problème ne relève pas des Institutions mais du comportement des hommes et des femmes politiques. J’entends ceux qui affirment que la Constitution de la Vème République garantit la stabilité de notre pays et que, par conséquent, toute révision constitutionnelle serait dans le contexte actuel une prise de risque majeure.
J’entends, mais je ne partage pas totalement leur avis.
Que les dérives d’une minorité aient contribué à ronger la confiance entre les citoyens et leurs élus, qui peut le nier ? Que, plus généralement, les hommes politiques aient leur part de responsabilité dans la situation sociale et économique dans laquelle se trouve notre pays, qui peut le nier ?
Mais penser que les comportements et les actions politiques ne sont pas déterminées, en partie, par les Institutions et par les règles que nous fixons, je ne le crois pas.
De la même manière, s’il s’agit d’affirmer que le fait de réviser la Constitution n’est pas un acte anodin, qu’une révision de notre norme suprême doit avoir été mûrement réfléchie, j’en suis le premier convaincu. Que la Vème République ait réussi à apporter de la stabilité à notre pays, qu’elle ait su surmonter toutes les crises depuis 1958, j’en suis conscient.
Mais penser que la Vème République soit restée la même depuis sa naissance, je ne le crois pas. Doit-on rappeler que notre Constitution a connu 24 révisions ?
Je pense, pour ma part, que s’il s’agit d’évoquer le risque que présenterait une réforme constitutionnelle insuffisamment pensée, alors il conviendrait d’abord d’évoquer certaines des dernières révisions constitutionnelles. A titre d’exemple, je ne suis pas sûr que toutes les conséquences politiques du quinquennat et de l’inversion du calendrier électoral aient été véritablement anticipées.
L’erreur selon moi est que bien souvent nous avons cédé à des modes ou procédé à des modifications par petites touches sans jamais engager une véritable réflexion sur ce que nous attendions de nos Institutions.
Enfin, s’agissant de l’urgence économique, il est évident que la situation préoccupante dans laquelle se trouvent bon nombre de nos concitoyens doit être la priorité. Mais cela n’exclut nullement de s’interroger sur nos Institutions, bien au contraire. Car il ne peut y avoir de réponses que collectives, aux problèmes que traverse un pays. Or, un projet collectif nécessite nécessairement de disposer d’une démocratie qui fonctionne et à laquelle participent véritablement ses citoyens.
Aujourd’hui le fonctionnement de nos Institutions est mis en cause sur deux points essentiels.
Les Françaises et les Français se sentent, tout d’abord, insuffisamment écoutés, reconnus et représentés. Ce n’est d’ailleurs pas spécifique à notre pays. La question se pose dans un grand nombre de démocraties représentatives, qui voient la défiance s’accroître, et le fossé entre les élus et les électeurs se creuser chaque jour un peu plus.
Beaucoup de nos compatriotes doutent ensuite, de la capacité de la politique à pouvoir changer le cours des choses. Beaucoup se mettent à penser que le cours de l’Histoire serait désormais entre les mains de la mondialisation, de l’économie, de l’Europe et du marché. Que le peuple français ne serait plus maître de son avenir.
Voilà deux questions essentielles sur lesquelles nous devrons nous pencher.
Comment nos Institutions peuvent-elles - car elles le doivent - contribuer à rétablir le lien de confiance entre les élus et leurs électeurs ? Comment faire en sorte que le peuple français ait à nouveau le sentiment d’être maître de son destin ?
L’une des clefs réside sans doute dans notre capacité à remettre le citoyen au cœur des Institutions. À lui rendre le pouvoir qui est le sien, lui qui s’estime trop souvent dépossédé et par voie de conséquence, incapable de s’inscrire dans un projet commun.
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Voilà quelques-unes des réflexions qui m’ont conduit à créer ce groupe de travail qui présente en tout point un caractère exceptionnel.
Exceptionnel, parce que pour la première fois sous la Vème République l’avenir de nos Institutions n’est pas pensé dans le cadre d’une commission ou d’un comité créés par l’exécutif mais dans le cadre d’un groupe de travail à l’Assemblée nationale, placé sous le regard des citoyens.
Exceptionnel, parce que ce groupe de travail n’est pas uniquement composé de spécialistes et de techniciens, comme cela a toujours été le cas depuis 1958, mais plus largement de femmes et d’hommes politiques, de juristes, d’universitaires, d’intellectuels, d’acteurs de terrain.
Car notre objectif ambitieux n’est pas simplement de proposer une révision constitutionnelle, mais d’identifier ce que devraient être selon nous les institutions françaises au XXIème siècle. Dans un pays qui a connu depuis 1958 de profondes mutations que cela soit la mondialisation, la montée en puissance de l’Union européenne, la décentralisation, l’émergence des enjeux de long terme, la contraction du temps médiatique, les nouvelles revendications des individus ou bien encore la place accrue des experts…
Le constat sera à mon sens tout aussi important que les propositions que nous formulerons. Sur ce point, il n’est d’ailleurs pas nécessaire de nous livrer à un inventaire à la Prévert mais d’identifier quelques mesures phares de nature à changer véritablement le cours des choses.
J’aimerais également vous dire dans quel état d’esprit j’aborde cette mission. Nous sommes beaucoup ici à avoir d’ores et déjà formulé des propositions. Nous les évoquerons, bien évidemment. Mais si nous voulons que cette mission débouche véritablement sur quelque chose, nous devrons être capables de nous mettre d’accord sur quelques principes et d’aborder ce débat non pas simplement pour défendre sa position mais pour faire émerger des propositions communes. Je le dis ici, je veillerai à respecter moi-même ce principe.
Car qu’on se le dise : cette mission ne poursuit aucun plan caché. Elle ne répond à aucun agenda.
Le rapport qu’elle remettra et dont nous serons avec Michel Winock les rapporteurs, n’aura pour objet que d’éclairer le débat, qui in fine devra être tranché par les Françaises et les Français, peut-être, qui sait, lors des prochaines élections présidentielles.
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Mesdames et Messieurs,
Pour conclure, j’aimerais vous dire combien cette réunion a pour moi valeur de symbole.
Comme vous l’avez sans doute vu, nous vous proposons de nous attarder dans le cadre de nos débats sur la question du « Parlement du non-cumul ». La réforme du non-cumul des mandats qui entrera en vigueur en 2017 nous invite en effet à réfléchir sur ce que devra être demain un parlementaire. Un parlementaire encore plus actif qu’aujourd’hui, certes, mais pour poursuivre quelles missions et quels objectifs ? Pour ma part, je suis convaincu qu’une partie des réponses à la crise démocratique que traverse notre pays se trouve ici au Parlement.
Une chose est sûre : pendant des décennies le Parlement a attendu d’être « revalorisé », comme si cela devait nécessairement provenir d’une décision extérieure. Avec ce groupe de travail, il a l’occasion de prouver qu’il est peut-être le plus à même de penser son avenir.
Je vous remercie.
Je cède la parole à Michel Winock.
Je revendrai par la suite rapidement sur la méthode de travail que nous vous proposons d’adopter. Puis je vous inviterai à réagir, notamment sur les thèmes que nous vous avons proposés.