Ouverture de la journée interparlementaire

Ouverture de la réunion interparlementaire
sur la responsabilité sociétale des entreprises et le détachement des travailleurs
salle Lamartine 18 mai 2016, 9h30

Je suis heureux de vous accueillir aujourd’hui si nombreux à l’Assemblée nationale. En effet, les représentants de 22 chambres de 18 États membres de l’Union européenne, ainsi que du Parlement européen, nous font l’honneur de leur présence à cette réunion interparlementaire.

C’est la quatrième fois depuis 2012 que l’Assemblée nationale organise une telle réunion interparlementaire, à l’initiative, comme pour les précédentes, de la commission des Affaires européennes. Je tiens à remercier sa Présidente, Mme Danielle Auroi, pour cette nouvelle manifestation de l’implication concrète des Parlements nationaux dans le débat démocratique européen. Ils sont le relais de la souveraineté des peuples.

Représentants des peuples souverains qui, ensemble, forment le peuple européen, il est en effet de notre devoir, par nos échanges, nos rapports et nos propositions, de participer activement à l’espace politique européen.

Cet approfondissement démocratique est indispensable, si l’on veut que l’Union renoue avec ses peuples. Face aux crises européennes, au moment où montent dangereusement nationalismes et extrémismes, il est plus que jamais nécessaire de refonder le projet politique européen, au plus près des aspirations populaires.

Les deux questions qui seront abordées aujourd’hui sont justement de celles qui préoccupent les citoyens européens, qu’ils soient travailleurs ou simples consommateurs. Elles concernent toutes deux la question de la responsabilité des entreprises, au-delà de leurs frontières nationales.

En effet, la responsabilité sociétale des entreprises, c’est la grande affaire de notre temps économique. Il est fini le temps où le libéralisme devait construire à tout prix un progrès technique sur la ruine de ceux qu’il considérait comme archaïques, démodés, arriérés.

Les entreprises, l’économie, on l’a trop oublié, ce sont d’abord des gens, des êtres humains, des travailleurs, des commanditaires et des clients. Nous sommes tous dans l’humanité.

La responsabilité sociétale des entreprises renvoie au constat qu’avec la mondialisation des chaînes d’approvisionnement, l’activité des entreprises européennes doit respecter les principes sur lesquels l’Europe s’est construite: dans les pays où sont installés leurs filiales, leurs sous-traitants ou leurs fournisseurs, les entreprises sont ambassadrices du rêve européen. Elles doivent respecter les droits humains, sociaux et environnementaux, pour les travailleurs extra-communautaires et pour les travailleurs européens.

Les États membres ont été les premiers à chercher à responsabiliser les entreprises pour leurs activités à l’étranger. Parmi de nombreuses initiatives nationales, vous me pardonnerez, je l’espère, de citer la proposition de loi française relative au devoir de vigilance des sociétés mères et donneuses d’ordre, adoptée en deuxième lecture le 23 mars dernier.

Cependant, les initiatives nationales ne sauraient à elles seules suffire et une action au niveau européen apparaît indispensable.

Certes, les entreprises de certains secteurs sensibles sont déjà soumises à des obligations européennes en matière de RSE, mais la question d’une RSE applicable à toutes les entreprises doit être posée afin que l’objectif de compétitivité des entreprises européennes ne remette pas en cause le développement durable – social et environnemental – qui est aussi l’un des objectifs de l’Union. On ne vaincra pas contre nos principes.

C’est exactement la même problématique pour le deuxième sujet à l’ordre du jour de la rencontre d’aujourd’hui. La libre circulation des personnes – donc des travailleurs – entre les États membres est, incontestablement, l’un des apports majeurs de la construction européenne. Mais c’est aussi un atout économique pour nos entreprises ! Bien sûr, tout le monde le sait, le détachement des travailleurs peut être à l’origine d’abus de la part d’entreprises qui profiteraient des différences en matière de règles fiscales et sociales entre les États membres pour pratiquer un dumping au détriment de leurs concurrents, comme des travailleurs nationaux.

Il faut donc se réjouir que l’Union européenne, dès 1996, ait cherché à encadrer le détachement des travailleurs en les faisant bénéficier d’un « noyau dur » de droits en vigueur dans l’État membre d’accueil, même s'ils restent les employés de l’entreprise qui les détache et relèvent donc de la législation de l’État membre d’origine.

Cet encadrement n’est certes pas parfait, malgré une première révision de la directive en 2014. La Commission elle-même en convient et a proposé le 8 mars 2016 une révision des règles sur le détachement de travailleurs au sein de l'Union européenne afin de les adapter aux besoins actuels.

Cette initiative vient de faire l’objet d’un « carton jaune » de la part des parlements de onze pays de l’Union, au titre du contrôle de subsidiarité, dont plusieurs sont représentés aujourd’hui.

J’espère personnellement que le processus législatif ne va pas s’embourber car nous restons, pour notre part, attachés à la révision de cette directive. Il ne s’agit pas, bien sûr, de faire obstacle à la libre circulation des travailleurs, ni à la libre-concurrence, qui sont des piliers de la construction européenne, mais, au contraire, de mettre en œuvre les conditions pour que ces deux libertés puissent s’exercer correctement, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui.

Je souhaite que notre rencontre permette à tous d’exprimer les positions de chacun et ainsi de contribuer à lever les réticences ou malentendus.

Vous l’aurez compris, ces deux sujets renvoient à la nécessité d’une Europe qui ne soit pas seulement économique mais aussi sociale. Certes, l’Europe doit soutenir la croissance des entreprises, mais ne doit pas se faire au détriment des droits sociaux, humains et environnementaux, à l’intérieur comme à l’extérieur de l’Union européenne. Et c’est le rôle de la politique de le rappeler, de l’imposer, de s’en réjouir. Puisque nous sommes dans la salle Lamartine, je citerai ce grand député qui fut un immense poète « Qui peut créer dédaigne de détruire ». Qu’il avait raison : si la politique peut créer des droits, alors l’homme raisonnable n’aura plus à détruire ses rêves.

Cette réunion interparlementaire est non seulement la marque, concrète, de l’implication des Parlements nationaux dans les Affaires européennes mais également un utile rappel des bénéfices que tous, citoyens, États membres, et même États tiers, pouvons retirer d’une Europe qui fonctionne et va de l’avant.

L’Europe n’est pas qu’un rêve ou qu’un agglomérat institutionnel. C’est une échelle de l’action politique, un sujet de puissance, un levier pour améliorer la vie. Je ne me satisferai jamais qu’elle ne puisse pas faire tant de belles choses.

Je souhaite donc que vos débats sur la RSE et le détachement des travailleurs soient fructueux et contribuent à l’émergence de positions communes qui, j’en suis sûr, contribueront construire un monde, pour demain, plus juste, plus égalitaire, plus populaire.